La Peau de chagrin

Honoré de Balzac

L'acquisition de la peau de chagrin

De "- Retournez-vous…" à "…Dieu t'exaucera. Soit."


Plan de la fiche sur L'acquisition de la peau de chagrin - La Peau de chagrin - Honoré de Balzac :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Introduction

    Doit-on vendre son âme au diable pour être heureux ? Chacun poursuit une certaine quête du bonheur et on peut légitimement se poser la question de savoir jusqu’où on peut aller pour satisfaire ce désir.
    Balzac, dans son roman intitulé La Peau de chagrin paru en 1831, invite le lecteur à y réfléchir à travers le personnage de Raphaël de Valentin. Celui-ci voit son projet de suicide repoussé par la rencontre avec un étrange antiquaire dont la boutique semble nous faire plonger dans un univers fantastique qui ressemble aux enfers dont le vieil homme serait le gardien. Dans le passage que nous nous proposons d’étudier, Raphaël se trouve toujours dans cette boutique et l’antiquaire va lui proposer un étrange pacte : accepter une peau de chagrin qui lui permettra de réaliser tous ses vœux mais qui à chaque vœu, lui fera perdre un peu de sa vie.
    Nous pouvons alors nous demander en quoi ce passage scelle la destinée de Raphaël.
    Dans un premier temps, nous étudierons la mystérieuse peau de chagrin ; dans un second temps nous nous intéresserons au pacte singulier passé entre Raphaël et l’antiquaire.

Honoré de Balzac
Honoré de Balzac


Texte étudié


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com




- Retournez-vous, dit le marchand en saisissant tout à coup la lampe pour en diriger la lumière sur le mur qui faisait face au portrait, et regardez cette PEAU DE CHAGRIN, ajouta-t-il.
Le jeune homme se leva brusquement et témoigna quelque surprise en apercevant au-dessus du siège où il s’était assis un morceau de chagrin accroché sur le mur, et dont la dimension n’excédait pas celle d’une peau de renard ; mais, par un phénomène inexplicable au premier abord, cette peau projetait au sein de la profonde obscurité qui régnait dans le magasin des rayons si lumineux que vous eussiez dit d’une petite comète. Le jeune incrédule s’approcha de ce prétendu talisman qui devait le préserver du malheur, et s’en moqua par une phrase mentale. Cependant, animé d’une curiosité bien légitime, il se pencha pour la regarder alternativement sous toutes les faces, et découvrit bientôt une cause naturelle à cette singulière lucidité : les grains noirs du chagrin étaient si soigneusement polis et si bien brunis, les rayures capricieuses en étaient si propres et si nettes que, pareilles à des facettes de grenat, les aspérités de ce cuir oriental formaient autant de petits foyers qui réfléchissaient vivement la lumière. Il démontra mathématiquement la raison de ce phénomène au vieillard, qui, pour toute réponse, sourit avec malice. Ce sourire de supériorité fit croire au jeune savant qu’il était dupe en ce moment de quelque charlatanisme. Il ne voulut pas emporter une énigme de plus dans la tombe, et retourna promptement la peau comme un enfant pressé de connaître les secrets de son jouet nouveau.

- Ah ! ah ! s’écria-t-il, voici l’empreinte du sceau que les Orientaux nomment le cachet de Salomon.
- Vous le connaissez donc ? demanda le marchand, dont les narines laissèrent passer deux ou trois bouffées d’air qui peignirent plus d’idées que n’en pouvaient exprimer les plus énergiques paroles.
- Existe-t-il au monde un homme assez simple pour croire à cette chimère ? s’écria le jeune homme, piqué d’entendre ce rire muet et plein d’amères dérisions. Ne savez-vous pas, ajouta-t-il, que les superstitions de l’Orient ont consacré la forme mystique et les caractères mensongers de cet emblème qui représente une puissance fabuleuse ? Je ne crois pas devoir être plus taxé de niaiserie dans cette circonstance que si je parlais des Sphinx ou des Griffons, dont l’existence est en quelque sorte scientifiquement admise.
- Puisque vous êtes un orientaliste, reprit le vieillard, peut-être lirez-vous cette sentence. Il apporta la lampe près du talisman que le jeune homme tenait à l’envers, et lui fit apercevoir des caractères incrustés dans le tissu cellulaire de cette peau merveilleuse, comme s’ils eussent été produits par l’animal auquel elle avait jadis appartenu.
- J’avoue, s’écria l’inconnu, que je ne devine guère le procédé dont on se sera servi pour graver si profondément ces lettres sur la peau d’un onagre.
Et, se retournant avec vivacité vers les tables chargées de curiosités, ses yeux parurent y chercher quelque chose.
- Que voulez-vous ? demanda le vieillard.
- Un instrument pour trancher le chagrin, afin de voir si les lettres y sont empreintes ou incrustées.
Le vieillard présenta son stylet à l’inconnu, qui le prit et tenta d’entamer la peau à l’endroit où les paroles se trouvaient écrites ; mais, quand il eut enlevé une légère couche de cuir, les lettres y reparurent si nettes et tellement conformes à celles qui étaient imprimées sur la surface, que, pendant un moment, il crut n’en avoir rien ôté.
- L’industrie du Levant a des secrets qui lui sont réellement particuliers, dit-il en regardant la sentence orientale avec une sorte d’inquiétude :
- Oui, répondit le vieillard, il vaut mieux s’en prendre aux hommes qu’à Dieu !
Les paroles mystérieuses étaient disposées de la manière suivante :



Ce qui voulait dire en français :
SI TU ME POSSÈDES, TU POSSÉDERAS TOUT.
MAIS TA VIE M’APPARTIENDRA. DIEU L’A
VOULU AINSI. DÉSIRE, ET TES DÉSIRS
SERONT ACCOMPLIS. MAIS RÈGLE
TES SOUHAITS SUR TA VIE.
ELLE EST LA. À CHAQUE
VOULOIR JE DÉCROITRAI
COMME TES JOURS.
ME VEUX-TU ?
PRENDS. DIEU
T’EXAUCERA.
SOIT !

Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831


La découverte de la peau de chagrin
La découverte de la peau de chagrin



Annonce des axes

I. Une mystérieuse peau de chagrin
1. Une description surprenante
2. La magie de cette peau
3. La progression des réactions de Raphaël

II. Un pacte singulier
1. La position dominante du vieillard
2. La mort toujours présente
3. La fatalité



Commentaire littéraire

I. Une mystérieuse peau de chagrin

1. Une description surprenante

Au départ, peau qui apparaît comme ordinaire : description détaillée, comparaison avec une peau de renard.
L'attention du lecteur est néanmoins attirée sur cette peau de chagrin : insistance par la répétition de l’expression « Peau de chagrin » + choix de la typographie (majuscule puis italique).
Peau associée à la lumière. Ainsi projette-t-elle des « rayons lumineux » qui s’inscrivent dans un réseau lexical de la lumière (à citer). Intensité de la lumière marquée par l’adverbe « si » (des rayons si lumineux) et « vivement » (réfléchissait vivement la lumière).
Opposition entre la lumière vive et la « profonde obscurité ». Emploi de verbes d’action pour parler de la peau, comme si c’était elle qui agissait. Le marchand éclaire par ailleurs la peau à l’aide d’une lampe mais en réalité la lumière émane de la peau elle-même.

Transition : Cette peau est tout à fait étonnante dans sa description et semble de fait appartenir au registre du merveilleux.

2. La magie de cette peau

Présentation de la peau qui plonge Raphaël et le lecteur dans l’univers du conte, du merveilleux (référence à l’Orient qui est le berceau des contes, écritures mystérieuses sur la peau qui lui donnent un pouvoir magique (texte indélébile, tous les vœux exaucés)…). Cela contribue à nous faire perdre nos repères. Cela nous amène dans un univers différent du nôtre.
Champ lexical du conte et de la mythologie (« jadis », etc.).
Terme « talisman » utilisé plusieurs fois (c’est d’ailleurs le titre de cette partie du roman). Le talisman est un objet auquel on confère un pouvoir magique.
Référence au cachet de Salomon : il s’agit de l’étoile à 6 branches représentée selon la tradition sur la bague de Salomon et qui donnait à son possesseur un pouvoir absolu.

Transition : Face à cette singulière et magique peau, Raphaël va donc tenter de trouver une explication logique et rationnelle.

3. La progression des réactions de Raphaël

Phénomène vu à travers le regard de Raphaël. Mais ce phénomène semble dépasser la réalité -> champ lexical de l’inexplicable avec « énigme » par exemple ou encore « mystérieuse ».
D’abord, Raphaël est surpris par cette peau et ne croit pas à son pouvoir (« brusquement », « prétendu talisman », etc.)
Ensuite, il se montre curieux (« animé »).
Puis il tente de comprendre, de donner une explication à ce qu’il voit. On a ainsi tout un champ lexical de la science avec « démontrer ».
Enfin, la tentative d’explication ayant échoué, celle-ci laisse place à l’inquiétude du héros « avec une sorte d’inquiétude ».

Transition : Raphaël se trouve devant un objet a priori magique dont il essaye malgré tout de comprendre le mécanisme. Mais sa tentative se solde par un échec et c’est une fois de plus l’antiquaire qui domine le passage et prouve sa supériorité face au pacte singulier qui va être conclu.


II. Un pacte singulier

1. La position dominante du vieillard

Dès le début avec le « - Retournez-vous » le vieillard s’impose dans une attitude dominante par rapport à Raphaël (tournures impératives qui marquent l’ordre et que l’on retrouve à plusieurs reprises). Raphaël agit ainsi selon la parole du vieillard.
Contraste entre les réactions de Raphaël et celles du vieillard : la surprise, l’incompréhension d’un côté/ sourire assuré de l’autre (« sourit avec (…) supériorité »). Expression utilisée deux fois pour marquer l’insistance.
Utilisation de superlatif relatif « plus que » pour montrer que le vieillard en sait plus.
Raphaël = celui qui ignore. Il est d’ailleurs comparé à un enfant. De plus, le vieillard lui pose une question comme un maître à son élève pour vérifier les connaissances de ce dernier.
Vieillard qui impose sa parole comme une vérité irréfutable avec des tournures au présent à valeur de vérité générale : « Il vaut mieux (…) Dieu ».

Transition : Dans ce passage, le vieillard intervient peu, agit peu, et pourtant c’est bien lui qui domine la scène par la supériorité de ses connaissances et avec lui, on sent que la mort rôde toujours autour de Raphaël.

2. La mort toujours présente

Mort toujours présente autour du vieillard. Rappel à faire entre le contraste lumière/obscurité. Le lieu ressemble à un antre infernal.
Emploi de la couleur noire qui symbolise la mort. La peau par exemple est constituée de « grains noirs ».
La peau est très vite associée à Raphaël et qualifiée de talisman. On peut noter l’ironie puisqu’un talisman est censé protéger de la mort…
Phrase étrange, quand Raphaël tente de percer le secret de cette peau, dont le complément circonstanciel de lieu renvoie à la mort « Ne veut (…) tombe ».
« malheur », « malice » sont par ailleurs des termes annonciateurs d’une catastrophe.
Texte inscrit sur la peau : idée de possession, c’est-à-dire que Raphaël n’est plus maître de sa vie, ni de son sort. Comparaison entre la peau et la vie. Le texte, dans son rétrécissement suggère déjà cette vie qui va s’évanouir (effet d’entonnoir).

Transition : La mort est donc très présente dans ce passage et marque la fatalité du destin de Raphaël.

3. La fatalité

Raphaël n’est plus maître, il est guidé par une puissance supérieure : utilisation de l’impératif par le vieillard. Ceci est prolongé par le texte inscrit sur la peau. Référence à Dieu avec le « soit ! » par exemple.
Références bibliques très présentes : cachet de Salomon, portrait de Jésus Christ juste en face de la peau (c’est hors passage étudié mais on peut le mentionner).
Texte sur la peau écrit au présent ou futur de l’indicatif. Il s’agit donc de l’expression de la réalité (présente ou à venir) et non du souhait ou de la possibilité.
Sur la peau, double sens du mot « sentence » (simple phrase ou punition) : idée d’un malheur annoncé confirmée par l’inquiétude de Raphaël  et le « oui » du vieillard, ainsi que la suite de la phrase. Il y a une sorte de menace.
« chagrin » = double sens aussi : peau d’âne ou tristesse. Double sens également puisqu’on peut se demander si cette peau va contribuer à chasser le chagrin ou au contraire le faire grandir.





Conclusion

    En quoi ce passage scelle-t-il la destinée de Raphaël ? Quand l’antiquaire fait découvrir la peau au jeune homme, il s’agit a priori d’un objet tout à fait anodin : un simple morceau de cuir. Pourtant très vite Raphaël  comprend que la peau possède des pouvoirs magiques auxquels il ne veut d’abord pas croire. Mais ses tentatives pour comprendre le fonctionnement de cet objet se soldent par un échec et il cède à cet objet auquel il est désormais associé. Il pourra exaucer tous ses souhaits, mais en échange, la peau aura pouvoir de vie ou de mort sur lui. Comme l’annonce de vieillard un peu après le passage étudié « le suicide n’est que retardé »…




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Merci à Betty pour cette analyse de L'acquisition de la peau de chagrin - La Peau de chagrin - Honoré de Balzac