Plan de la fiche sur Le convoi funèbre de Goriot -
Le père Goriot de Balzac :
Introduction
Ce texte est un extrait du roman
Le Père Goriot de
Honoré de Balzac, paru en 1835.
Dans les pages précédentes du roman
Le Père Goriot, le narrateur a raconté la mort du père. Il a insisté sur la solitude de cette agonie : au retour de la soirée chez madame de Beauséant, Eugène a trouvé Goriot mourant. Christophe envoyé auprès des filles pour un secours d’argent n’obtient rien, Anastasie est en conférence avec son mari, Delphine dort. Les longues plaintes du père désignent l’objet de son mal : « Ne pas les avoir, voilà l’agonie ». Eugène effectue alors une démarche vers chacune d’elles, vainement. Anastasie seule viendra, mais trop tard, son père aura sombré dans l’inconscience. Goriot meurt sans avoir revu celles à qui il a tout sacrifié.
La narrateur a montré aussi la sollicitude d’Eugène auprès de
l’agonisant, son dévouement, sa fidélité envers ce vieil homme, qu’il soigne
et veille avec constance, tout imprégné encore des valeurs affectives de sa famille.
L’enjeu du texte :
Cette dernière page du roman
Le Père Goriot raconte la brève cérémonie funèbre du malheureux Père Goriot. Elle fournit les derniers éléments nécessaires au dénouement : les thèmes essentiels de l’œuvre, abandon du père et ambition exacerbée de Rastignac, s’y trouvent liés l’un a l’autre et traités avec le maximum d’intensité. Un double itinéraire s’achève, celui d’une vie de dévouement man récompensée pour le père, et celui d’une éducation pour Eugène. Le commentaire envisagera successivement les deux parties du texte, l’une consacrée au disparu et l’autre à rastignac.
Honoré de Balzac
Texte étudié
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Lu par Nicole Delage - source : litteratureaudio.com
Les deux prêtres, l'enfant de choeur et le bedeau vinrent et donnèrent tout ce qu'on peut avoir pour soixante-dix francs dans une époque où la religion n'est pas assez riche pour prier gratis. Les gens du clergé chantèrent un psaume, le Libera, le De profundis. Le service dura vingt minutes. Il n'y avait qu'une seule voiture de deuil pour un prêtre et un enfant de choeur, qui consentirent à recevoir avec eux Eugène et Christophe.
- Il n'y a point de suite, dit le prêtre, nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures et demie.
Cependant, au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se présentèrent et suivirent le convoi jusqu'au Père-Lachaise. A six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l'un d'eux, s'adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien, il fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Le jour tombait, un humide crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un coeur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta.
Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses: "A nous deux maintenant!"
Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société,
Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen.
Le Père Goriot - Honoré de Balzac
Annonce des axes
I. Goriot : les funérailles d’un pauvre
II. Rastignac : l’achèvement d’un itinéraire
Commentaire littéraire
I. Goriot : les funérailles d’un pauvre
Ces funérailles se déroulent sous le triple signe de l’abandon, de la précipitation et de la contrainte d’argent.
L’abandon du père par les filles sa solitude près la mort comme dans l’agonie, sont perceptibles à travers plusieurs expressions : « Il n’y avait qu’une seul voiture de deuil… Il n’y a point de suite… deux voitures armoriées mais vides ». On remarquera l’alliance de ces deux termes, « armoriées mais vides », qui marque la noblesse du titre alliée à l’absence de sentiments : le cœur des filles est vide comme les voitures. Socialement, les apparences sont sauves, les filles sont représentées aussi par leurs domestiques, « les gens de ses filles ». Leur absence porte la triste confirmation d’un abandon perpétré dès longtemps pour les raisons de prestige social, le père ancien commerçant, et de surcroît ruiné, étant une compagnie peu distinguée.
La précipitation, la hâte d’en finir sont manifestes à travers un lexique temporel qui souligne de façon réitérée le caractère expéditif de ces funérailles de pauvre. Toutes les interventions du clergé sont parcimonieusement chronométrées : « Le service dura vingt minutes… Nous pouvons aller vite… il est cinq heures et demie… A six heures, le Père Goriot… ». Enfin, tous disparaissent « aussitôt que fut dite la courte prière… ».Cette impression de funérailles au pas de course est accentuée par la notation dépouillée des faits, qui sont dits brièvement, dans leur nudité, sans commentaire. Toute une série de verbes au passé simple établit la succession nue et banale des évènements : « Les deux prêtres… vinrent et donnèrent,… les gens du clergé chantèrent,… deux voitures armoriées mais vides se présentèrent et suivirent… le corps du Père Goriot fut descendu… ». La structure de la phrase suggère même un escamotage de la descente dans la fosse, cet acte essentiel traité en quelques mots étant aussitôt supplanté par la débandade de tous : « A six heures, le corps du Père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l’argent de l’étudiant ».Vous aurez noté, dans cette ample période, la disproportion entre la partie très brève consacrée au défunt, oublié sitôt après le mot « fosse », et la fuite des assistants longuement évoquée.
La contrainte de l’argent a été dominante tout au long du roman ; elle est rappelée ici dans un registre lexical très insistant, et elle s’exerce jusqu’au bord de la tombe : à l’église, Goriot obtient « tout ce qu’on peut avoir pour soixante-dix francs », car « le religion n’est pas assez riche pour payer gratis ». Au cimetière, le clergé mesure son temps sur « l’argent de l’étudiant ». Dans la fosse même, « l’un des fossoyeurs lui demanda un pourboire ». Alors « Eugène fut forcé d’emprunter vingt sous à Christophe ». L’argent toujours : jusqu’au bout de la vie, et dans la mort même, sans argent on n’a rien. Il conditionne aussi l’intervention du clergé, qui est assimilée à une prestation de service exactement tarifiée.
II. Rastignac : l’achèvement d’un itinéraire
En un court moment, et en quelques phrases, le deuil dans le cœur d’Eugène est supplanté par le désir de parvenir.
L’adieu au passé est suscité par le choc des vingt sous qu’il n’a pas et qui agissent sur Eugène comme un déclic révélateur de l’égoïsme social : « Ce fait si léger en lui-même détermina chez Rastignac un accès d’horrible tristesse ». Il prend alors une conscience plus aiguë que jamais de son dénuement personnel. Le jeune homme d’autrefois meurt à ce moment : le spectacle de la pauvreté entraîne la révolte, le refus de se laisser réduire soi-même à l’état d’un Goriot. Ici, Eugène pleure sur un mort qui est aussi l’adolescent d’hier, un garçon honnête et pauvre, auquel il dit adieu. La scène est réussie sur le plan poétique : le crépuscule de la journée, le déclin de la saison, la mort du père et la fin des illusions, tout cela est dans le même tonalité triste.
Le passage du passé à l’avenir est instantané chez rastignac. Il ne reste pas longtemps prisonnier de sa tristesse, il trouve vite en lui une détermination nouvelle : « Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta ». Le passage de la tombe où gît la victime vers les nuages, ce mouvement d’ascension du regard, marque le retour à la vie, le recommencement de l’espérance, une deuxième naissance. Plongé dans ses méditations, concentré sur sa pensée, Eugène est devenu un autre homme ; ce court début de phrase, « Il se croisa les bras, regarda les nuages… », marque la détermination et la foi dans l’avenir.
Paris apparaît alors comme objet de désir. L’espérance retrouvée, c’est la fascination du Paris élégant, perçu comme ne proie désirable. Il faut faire l’analyse précise de l’avant-dernier paragraphe où chaque terme montre les séductions de ce monde sous le regard d’un homme jeune. La sensualité de paris est dans « tortueusement couché », comme dans une pose de courtisane. L’éclat des fêtes est celui d’une ville où « commençaient à briller les lumières », qui annoncent les dîners, les bals de la nuit. La richesse fascine Rastignac, il voit les seuls beaux quartiers, « là où vivait ce beau monde ». Enfin, comme prolongement de tout ce spectacle significatif, émerge le désir réaffirmé de participer au festin, de jouir des douceurs offertes, « un regard qui semblait par avance en pomper le miel », qui dit l’appétit sensuel de savourer, d’avaler à longs traits.
La volonté exacerbée de la conquête s’énonce de façon concentré dans la fameuse apostrophe à la capitale : « A nous deux maintenant ! ». Par là, l’ambitieux affirme sa volonté de prendre possession de tout ce qui s’offre et se déploie sous son regard. Par ce langage de conquérant un peu théâtral et emphatique, en harmonie avec la pose physique, il marque l’assurance de la jeunesse, sa détermination, sa présomption aussi.
Rastignac ne reste jamais longtemps au stade du désir, chez lui le passage à l’acte est immédiat : « Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen », un dîner d’ambitieux plus que d’amoureux, il n’est plus désigné par son prénom Eugène, il est Rastignac, et cela sonne dur, pour un dîner chez une femme désignée du nom de son mari banquier, et pas son nom d’amante, Delphine. Dîner chez elle dès ce soir-là, c’est renoncer à la juger, c’est accepter sa sècheresse de cœur, son ingratitude filiale, c’est donc la traiter en instrument d’un ambition. Parvenir en exploitant l’amour à des fins mercantiles : voilà Rastignac qui met en pratique les conseils exposés autrefois à Eugène par Vautrin.
Conclusion
Cette dernière page du roman est le point de rencontre des thèmes importants : une vie s’achève, une autre commence.
Le thème fondamental du roman, l’égoïsme préféré et pratiqué au lieu de la générosité, reçoit ici son ultime et capitale expression : la mort même peut effacer le culte d’intérêt personnel dans les cœurs indifférents. La méconnaissance des bons et des grands sentiments a été poussée jusqu’aux extrêmes limites : Goriot est désavoué par tus, par ses filles absentes de son lit de mort et du cimetière, et aussi par le jeune homme, qui certes s’est occupé de lui affectueusement, mais qui va vivre selon les principes opposés aux siens.
Une ultime et décisive leçon. Face à la tombe, Eugène a scruté le fond des cœurs. La mort pathétique de père marque la fin de son éducation. Le voilà seul désormais face à la vie, en position d’adulte ; ses maîtres, ou ses inspirateurs, l’ont quitté : Mme de Beauséant retirée, Vautrin arrêté, Goriot mort. A lui de vivre en assumant un chois déjà largement engagé et renforcé par l’épisode final. Le destin du père Goriot aura contribué jusqu’au bout à l’apprentissage d’Eugène.
Les deux fils de l’intrigue se rejoignent au bord de la tombe de Goriot : celui du père dépouillé et celui du jeune homme ambitieux, cependant que la filiation plus discrète avec Vautrin s’affirme dans la décision d’utiliser Delphine, femme du banquier, à ses fins d’enrichissement.