Plan de la fiche sur la corruption des ménages -
Le père Goriot de Balzac :
Introduction
Ce texte est un extrait du roman
Le Père Goriot de
Honoré de Balzac, paru en 1835.
Vautrin arrêté, Eugène enfin libre de toute pression pernicieuse a passé une soirée charmante entre le et père et la fille dans l’appartement payé par Goriot. Tous deux ont annoncé leur départ à maman Vauquer. Eugène apporte à Delphine l’invitation au bal de madame de Beauséant. Ainsi s’est achevée la troisième partie, Trompe-la-Mort.
Le lendemain, les deux pensionnaires attendent les déménageurs quand Delphine d’abord, puis Anastasie se présentent à la chambre de leur père, porteuses toutes deux de dramatiques nouvelles.
Pour l’une et l’autre le désordre de leur vie se situe sur deux plans, à envisager successivement : l’échec de le relation conjugale et les compromissions d’argent.
L’enjeu du texte :
Il contribue à l’apprentissage d’Eugène en le faisant témoin d’une scène de mœurs où s’étalent les déchirements de sentiments et d’argent des filles Goriot. Le deuxième objectif du narrateur est d’introduire le thème du dénouement, celui de l’agonie, en insistant sur la blessure mortelle infligée au père.
Honoré de Balzac
Texte étudié
- Mon cher père ! allez-y prudemment. Si vous mettiez la moindre velléité de vengeance en cette affaire, et si vous montriez des intentions trop hostiles, je serais perdue. Il vous connaît, il a trouvé tout naturel que, sous votre inspiration, je m'inquiétasse de ma fortune; mais, je vous le jure, il la tient en ses mains, et a voulu la tenir. Il est homme à s'enfuir avec tous les capitaux, et à nous laisser là, le scélérat ! Il sait bien que je ne déshonorerai pas moi-même le nom que je porte en le poursuivant. Il est à la fois fort et faible. J'ai bien tout examiné. Si nous le poussons à bout, je suis ruinée.
- Mais c'est donc un fripon ?
- Eh bien! oui, mon père, dit-elle en se jetant sur une chaise en pleurant. Je ne voulais pas vous l'avouer pour vous épargner le chagrin de m'avoir mariée à un homme de cette espèce-là ! Moeurs secrètes et conscience, l'âme et le corps, tout en lui s'accorde! c'est effroyable: je le hais et le méprise. Oui, je ne puis plus estimer ce vil Nucingen après tout ce qu'il m'a dit. Un homme capable de se jeter dans les combinaisons commerciales dont il m'a parlé n'a pas la moindre délicatesse, et mes craintes viennent de ce que j'ai lu parfaitement dans son âme. Il m'a nettement proposé, lui, mon mari, la liberté, vous savez ce que cela signifie ? si je voulais être, en cas de malheur, un instrument entre ses mains, enfin si je voulais lui servir de prête-nom.
- Mais les lois sont là ! Mais il y a une place de Grève pour les gendres de cette espèce-là, s'écria le père Goriot ; mais je le guillotinerais moi-même s'il n'y avait pas de bourreau.
- Non, mon père, il n'y a pas de lois contre lui. Ecoutez en deux mots son langage, dégagé des circonlocutions dont il l'enveloppait: " Ou tout est perdu, vous n'avez pas un liard, vous êtes ruinée; car je ne saurais choisir pour complice une autre personne que vous; ou vous me laisserez conduire à bien mes entreprises. " Est-ce clair ? Il tient encore à moi. Ma probité de femme le rassure; il sait que je lui laisserai sa fortune, et me contenterai de la mienne. C'est une association improbe et voleuse à laquelle je dois consentir sous peine d'être ruinée. Il m'achète ma conscience et la paye en me laissant être à mon aise la femme d'Eugène. " Je te permets de commettre des fautes, laisse-moi faire des crimes en ruinant de pauvres gens ! " Ce langage est-il encore assez clair ? Savez-vous ce qu'il nomme faire des opérations ? Il achète des terrains nus sous son nom, puis il y fait bâtir des maisons par des hommes de paille. Ces hommes concluent les marchés pour les bâtisses avec tous les entrepreneurs, qu'ils payent en effets à longs termes, et consentent, moyennant une légère somme, à donner quittance à mon mari, qui est alors possesseur des maisons, tandis que ces hommes s'acquittent avec les entrepreneurs dupés en faisant faillite. Le nom de la maison Nucingen a servi à éblouir les pauvres constructeurs. J'ai compris cela. J'ai compris aussi que, pour prouver, en cas de besoin, le paiement de sommes énormes, Nucingen a envoyé des valeurs considérables à Amsterdam, à Londres, à Naples, à Vienne. Comment les saisirions-nous ?
Eugène entendit le son lourd des genoux du père Goriot, qui tomba sans doute sur le carreau de sa chambre.
- Mon Dieu, que t'ai-je fait ? Ma fille livrée à ce misérable, il exigera tout d'elle s'il le veut. Pardon, ma fille! cria le vieillard.
- Oui, si je suis dans un abîme, il y a peut-être de votre faute, dit Delphine. Nous avons si peu de raison quand nous nous marions ! Connaissons-nous le monde, les affaires, les hommes, les moeurs ? Les pères devraient penser pour nous. Cher père, je ne vous reproche rien, pardonnez-moi ce mot. En ceci la faute est toute à moi. Non, ne pleurez point, papa, dit-elle en baisant le front de son père.
- Ne pleure pas non plus, ma petite Delphine. Donne tes yeux, que je les essuie en les baisant. Va ! je vais retrouver ma caboche, et débrouiller l'écheveau d'affaires que ton mari a mêlé.
- Non, laisse-moi faire ; je saurai le manoeuvrer. Il m'aime, eh bien, je me servirai de mon empire sur lui pour l'amener à me placer promptement quelques capitaux en propriétés. Peut-être lui ferai-je racheter sous mon nom Nucingen, en Alsace, il y tient. Seulement venez demain pour examiner ses livres, ses affaires. Monsieur Derville ne sait rien de ce qui est commercial. Non, ne venez pas demain. Je ne veux pas me tourner le sang. Le bal de madame de Beauséant a lieu après-demain, je veux me soigner pour y être belle, reposée, et faire honneur à mon cher Eugène ! Allons donc voir sa chambre.
En ce moment une voiture s'arrêta dans la rue Neuve-Sainte-Geneviève, et l'on entendit dans l'escalier la voix de madame de Restaud, qui disait à Sylvie : - Mon père y est-il ? Cette circonstance sauva heureusement Eugène, qui méditait déjà de se jeter sur son lit et de feindre d'y dormir.
- Ah ! mon père, vous a-t-on parlé d'Anastasie ? dit Delphine en reconnaissant la voix de sa soeur. Il paraîtrait qu'il arrive aussi de singulières choses dans son ménage.
- Quoi donc! dit le père Goriot : ce serait donc ma fin. Ma pauvre tête ne tiendra pas à un double malheur.
- Bonjour, mon père, dit la comtesse en entrant. Ah ! te voilà, Delphine.
Madame de Restaud parut embarrassée de rencontrer sa soeur.
- Bonjour, Nasie, dit la baronne. Trouves-tu donc ma présence extraordinaire ? Je vois mon père tous les jours, moi.
- Depuis quand ?
- Si tu y venais, tu le saurais.
- Ne me taquine pas, Delphine, dit la comtesse d'une voix lamentable. Je suis bien malheureuse, je suis perdue, mon pauvre père ! oh ! bien perdue cette fois !
- Qu'as-tu, Nasie ? cria le père Goriot. Dis-nous tout, mon enfant. Elle pâlit. Delphine, allons, secours-la donc, sois bonne pour elle, je t'aimerai encore mieux, si je peux, toi !
- Ma pauvre Nasie, dit madame de Nucingen en asseyant sa soeur, parle. Tu vois en nous les deux seules personnes qui t'aimeront toujours assez pour te pardonner tout. Vois-tu, les affections de famille sont les plus sûres. Elle lui fit respirer des sels, et la comtesse revint à elle.
- J'en mourrai, dit le père Goriot. Voyons, reprit-il en remuant son feu de mottes, approchez-vous toutes les deux. J'ai froid. Qu'as-tu, Nasie ? dis vite, tu me tues...
- Eh bien! dit la pauvre femme, mon mari sait tout. Figurez-vous, mon père, il y a quelque temps, vous souvenez-vous de cette lettre de change de Maxime ? Eh bien! ce n'était pas la première. J'en avais déjà payé beaucoup. Vers le commencement de janvier, monsieur de Trailles me paraissait bien chagrin. Il ne me disait rien; mais il est si facile de lire dans le coeur des gens qu'on aime, un rien suffit: puis il y a des pressentiments. Enfin il était plus aimant, plus tendre que je ne l'avais jamais vu, j'étais toujours plus heureuse. Pauvre Maxime ! dans sa pensée, il me faisait ses adieux, m'a-t-il dit; il voulait se brûler la cervelle. Enfin je l'ai tant tourmenté, tant supplié, je suis restée deux heures à ses genoux. Il m'a dit qu'il devait cent mille francs ! Oh ! papa, cent mille francs! Je suis devenue folle. Vous ne les aviez pas, j'avais tout dévoré....
- Non, dit le père Goriot, je n'aurais pas pu les faire, à moins d'aller les voler. Mais j'y aurais été, Nasie ! J'irai.
A ce mot lugubrement jeté, comme un son du râle d'un mourant, et qui accusait l'agonie du sentiment paternel réduit à l'impuissance, les deux soeurs firent une pause. Quel égoïsme serait resté froid à ce cri de désespoir qui, semblable à une pierre lancée dans un gouffre, en révélait la profondeur ?
- Je les ai trouvés en disposant de ce qui ne m'appartenait pas, mon père, dit la comtesse en fondant en larmes.
Delphine fut émue et pleura en mettant la tête sur le cou de sa soeur.
- Tout est donc vrai, dit-elle.
Anastasie baissa la tête, madame de Nucingen la saisit à plein corps, la baisa tendrement, et l'appuyant sur son coeur:- Ici, tu seras toujours aimée sans être jugée, lui dit-elle.
- Mes anges, dit Goriot d'une voix faible, pourquoi votre union est-elle due au malheur ?
- Pour sauver la vie de Maxime, enfin pour sauver tout mon bonheur, reprit la comtesse encouragée par ces témoignages d'une tendresse chaude et palpitante, j'ai porté chez cet usurier que vous connaissez, un homme fabriqué par l'enfer, que rien ne peut attendrir, ce monsieur Gobseck, les diamants de famille auxquels tient tant monsieur de Restaud, les siens, les miens, tout, je les ai vendus. Vendus ! comprenez-vous ? il a été sauvé ! Mais, moi, je suis morte. Restaud a tout su.
- Par qui ? comment? Que je le tue! cria le père Goriot.
- Hier, il m'a fait appeler dans sa chambre. J'y suis allée... " Anastasie, m'a-t-il dit d'une voix... (oh ! sa voix a suffi, j'ai tout deviné), où sont vos diamants ? " Chez moi. " Non, m'a-t-il dit en me regardant, ils sont là, sur ma commode. " Et il m'a montré l'écrin qu'il avait couvert de son mouchoir. " Vous savez d'où ils viennent ? " m'a-t-il dit. Je suis tombée à ses genoux... j'ai pleuré, je lui ai demandé de quelle mort il voulait me voir mourir.
- Tu as dit cela! s'écria le père Goriot. Par le sacré nom de Dieu, celui qui vous fera mal à l'une ou à l'autre, tant que je serai vivant, peut être sûr que je le brûlerai à petit feu! Oui, je le déchiquetterai comme...
Le père Goriot se tut, les mots expiraient dans sa gorge. Enfin, ma chère, il m'a demandé quelque chose de plus difficile à faire que de mourir. Le ciel préserve toute femme d'entendre ce que j'ai entendu !
- J'assassinerai cet homme, dit le père Goriot tranquillement. Mais il n'a qu'une vie, et il m'en doit deux. Enfin, quoi ? reprit-il en regardant Anastasie.
- Eh bien! dit la comtesse en continuant après une pause, il m'a regardée: " Anastasie, m'a-t-il dit, j'ensevelis tout dans le silence, nous resterons ensemble, nous avons des enfants. Je ne tuerai pas monsieur de Trailles, je pourrais le manquer, et pour m'en défaire autrement je pourrais me heurter contre la justice humaine. Le tuer dans vos bras, ce serait déshonorer les enfants. Mais pour ne voir périr ni vos enfants, ni leur père, ni moi, je vous impose deux conditions. Répondez: Ai-je un enfant à moi ? " J'ai dit oui. " Lequel ? " a-t-il demandé. Ernest, notre aîné. " Bien, a-t-il dit. Maintenant, jurez-moi de m'obéir désormais sur un seul point. " J'ai juré. " Vous signerez la vente de vos biens quand je vous le demanderai. "
- Ne signe pas, cria le père Goriot. Ne signe jamais cela. Ah! ah! monsieur de Restaud, vous ne savez pas ce que c'est que de rendre une femme heureuse, elle va chercher le bonheur là où il est, et vous la punissez de votre niaise impuissance?... je suis là, moi, halte-là! il me trouvera dans sa route. Nasie, sois en repos. Ah, il tient à son héritier! bon, bon. Je lui empoignerai son fils, qui, sacré tonnerre, est mon petit-fils. Je puis bien le voir, ce marmot ? je le mets dans mon village, j'en aurai soin, sois bien tranquille. Je le ferai capituler, ce monstre-là, en lui disant: A nous deux! Si tu veux avoir ton fils, rends à ma fille son bien, et laisse-la se conduire à sa guise.
- Mon père!
- Oui, ton père ! Ah ! je suis un vrai père. Que ce drôle de grand seigneur ne maltraite pas mes filles. Tonnerre! je ne sais pas ce que j'ai dans les veines. J'y ai le sang d'un tigre, je voudrais dévorer ces deux hommes. O mes enfants! voilà donc votre vie ? Mais c'est ma mort. Que deviendrez-vous donc quand je ne serai plus là ? Les pères devraient vivre autant que leurs enfants. Mon Dieu, comme ton monde est mal arrangé ! Et tu as un fils cependant, à ce qu'on nous dit. Tu devrais nous empêcher de souffrir dans nos enfants. Mes chers anges, quoi! ce n'est qu'à vos douleurs que je dois votre présence. Vous ne me faites connaître que vos larmes. Eh bien, oui, vous m'aimez, je le vois. Venez, venez vous plaindre ici! mon coeur est grand, il peut tout recevoir. Oui, vous aurez beau le percer, les lambeaux feront encore des coeurs de père. Je voudrais prendre vos peines, souffrir pour vous. Ah ! quand vous étiez petites, vous étiez bien heureuses...
- Nous n'avons eu que ce temps-là de bon, dit Delphine. Où sont les moments où nous dégringolions du haut des sacs dans le grand grenier ?
- Mon père! ce n'est pas tout, dit Anastasie à l'oreille de Goriot qui fit un bond. Les diamants n'ont pas été vendus cent mille francs. Maxime est poursuivi. Nous n'avons plus que douze mille francs à payer. Il m'a promis d'être sage, de ne plus jouer. Il ne me reste plus au monde que son amour, et je l'ai payé trop cher pour ne pas mourir s'il m'échappait. Je lui ai sacrifié fortune, honneur, repos, enfants. Oh ! faites qu'au moins Maxime soit libre, honoré, qu'il puisse demeurer dans le monde où il saura se faire une position. Maintenant il ne me doit pas que le bonheur, nous avons des enfants qui seraient sans fortune. Tout sera perdu s'il est mis à Sainte-Pélagie.
Le Père Goriot - Honoré de Balzac
Annonce des axes
I. Les échecs de l’amour
II. Les compromissions pour l’argent
III. La préparation du dénouement
Commentaire littéraire
I. Les échecs de l’amour
La visite successive de Delphine et Anastasie est l’image même de l’échec de Goriot : échec de son amour paternel et de l’éducation aveugle donnée à ses filles.
Les malheurs de Delphine. L’immoralité du baron de Nucingen est profonde dans le domaine des mœurs : il est disposé clairement à fermer les yeux sur la liaison de sa femme si elle accepte de le seconder dans des affaires véreuses.
Les sentiments de Delphine à l’égard de son mari se partagent entre l’horreur et le mépris. Elle forme le projet d’utiliser les désirs frustrés du baron pour lui arracher des avantages financiers, de se vendre à son propre mari.
Ce sont là las signes irréfutables de la faillite d’une éducation : est posée la question de la responsabilité du père dans les désordres de sa fille.
Les égarements d’Anastasie. Chez Anastasie, qui a deux enfants adultérins, l’échec conjugal se double d’un profond déchirement de la cellule familiale : elle raconte une scène terrible où son mari a exigé et obtenu la vérité (page 305).
Anastasie a encore connu l’échec dans ses amours en dehors du mariage : Maxime son amant la dupe, la cajole et lui joue la comédie du suicide dans le seul but de lui extorquer de l’argent.
Quelle force exorbitante dans la passion d’Anastasie ! Elle a vendu les perles offertes par son mari ; ruinée, elle vient encore quémander auprès de son père les douze mille francs qui éviteraient à son amant la prison pour dettes ! Elle est immense dans sa folie : une vie détruite, une famille, une position sociale, tout cela ruiné pour un amour fou. Elle a autant de démesure que son père. Faut-il parler d’inconduite ou de passion ? Voir page 307 : « Il ne me reste plus au monde que son amour… »
II. Les compromissions pour l’argent
C’est bien sûr l’argent qui est au cœur de ce désastre. Balzac démonte avec minutie le mécanisme de l’escroquerie.
Le mécanisme frauduleux. Il est mis en place par le baron. Il consiste à faire céder les titres de propriété des constructions et à spolier les entrepreneurs en déclarant faillite des intermédiaires complices, opération de très grande envergure ; sa femme est compromise aussi, appelée à lui servir de prête-nom si nécessaire ; elle se voit contrainte d’accepter, sauf à préférer la ruine pour préserver son honnêteté (page 300). Impensable !
Les dettes d’Anastasie. Les dépenses qu’elle a engagées ont dépassé toute mesure : déjà des traites ont été payées par Goriot, qui a cédé pour cela sa coupe en vermeil (se reporter au tout début du roman) ; puis l’extravagance d’avoir vendu le collier de perles, trésor de famille, montre la folie de sa passion. Son amant est donc un jeune homme qu’elle paie, et elle paie ses dettes. Son égoïsme est sans fond à l’égard de son père ; elle conserve tout son sang-froid, elle vérifie la traite et remonte pour la faire endosser par Eugène. Elle a finalement acculée à la ruine, contrainte par son mari à consentir l’abandon de tous ses biens.
III. La préparation du dénouement
On relève au fil de la lecture de nombreuses expression préparent le lecteur à cette idée que le père ne survivra pas à la douleur de voir ses filles démunies, à la violence de leur querelle et à son impuissance pour les aider.
Voici les premières indications annonçant le thème de l’agonie, dont quelques-unes dans les pages qui précèdent notre extrait : « Tu viens, dit le vieillard, de me donner un coup de hache sur la tête (page 295)… Non, non, je ne m’en irai pas au Père-Lachaise en laissant mes filles dénuées de tout (page 297)… Si cette idée était vraie, je n'y survivrai pas (page 298)… Ma pauvre tête ne tiendra pas à un double malheur (page 302)… J’en mourrai, dit le Père Goriot (page 303)… A ce mot lugubrement jeté, comme un son du râle d’un mourrant… (page304) ». On constate l’insistance du narrateur à annoncer une agonie qui n’avait pas encore été évoquée.
Conclusion
La présence d’Eugène, qui assiste à la scène à l’insu des autres personnages, permet de réunir tous les fils de l’intrigue peu avant le dénouement. Cette scène est en même temps une méditation sur les désastres qu’entraîne l’excès de l’amour.
Eugène, témoin caché, entend toute la scène à travers la cloison de sa chambre, et cela constitue pour lui une rude leçon de choses sociales Il est plongé au coeur du bourbier parisien, qu’il avait déjà côtoyé en acceptant les hasards de la roulette pour payer les dettes de delphine. Les exigences et les plaintes des filles Goriot apportent une contribution forte à son éducation.
Le désastre des excès. Si l’on veut dégager une leçon de cette scène, on constatera que les grands sentiments n’ont eu que des conséquences nocives : Goriot est coupable et puni, pour avoir top aimé et fait par là malheur de ses proches. Anastasie est du même sang, ruinée par son amour, comme son père. Le sublime du cœur est un système inadapté au réel, donc nuisible. Dans l’ordre de la vie privée comme celui du contrat social, le culte de l’absolu débouche sur des ruines. L’amour même, et le désir de faire le bien d’autrui, doivent rester dans les bornes de la modération, et qui veut faire l’ange fait la bête.