Plan de la fiche sur
le chapitre 6 de Pierre et Jean de Maupassant :
Introduction
Ce texte est un extrait du roman naturaliste
Pierre et Jean de
Maupassant, roman publié en 1888.
Situation du passage :
- Après l'annonce de l'héritage. Objectif de la journée : partie de pêche pour fêter l'installation de Jean,
- Après l'épisode du portrait : Pierre a désormais la certitude de ce qui s'est passé.
Ici, jean dévoile son amour à Mme Rosémilly puisqu'il veut l'épouser. Nous assistons là à la réaction de celle-ci.
Texte étudié
Ils grimpèrent sur un roc un peu haut, et lorsqu'ils y furent installés côte à côte, les pieds pendants, en plein soleil, elle reprit :
"Mon cher ami, vous n'êtes plus un enfant et je ne suis pas une jeune fille. Nous savons fort bien l'un et l'autre de quoi il s'agit, et nous pouvons peser toutes les conséquences de nos actes. Si vous vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour, je suppose naturellement que vous désirez m'épouser." Il ne s'attendait guère à cet exposé net de la situation, et il répondit niaisement :
"Mais oui.
- En avez-vous parlé à votre père et à votre mère ?
- Non, je voulais savoir si vous m'accepteriez." Elle lui tendit sa main encore mouillée, et comme il y mettait la sienne avec élan :
"Moi, je veux bien, dit-elle. Je vous crois bon et loyal. Mais n'oubliez point que je ne voudrais pas déplaire à vos parents.
- Oh ! pensez-vous que ma mère n'a rien prévu et qu'elle vous aimerait comme elle vous aime si elle ne désirait pas un mariage entre nous ?
- C est vrai, je suis un peu troublée." Ils se turent. Et il s'étonnait, lui, au contraire qu'elle fût si peu troublée, si raisonnable. Il s'attendait à des gentillesses galantes, à des refus qui disent oui, à toute une coquette comédie d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau !
Et c'était fini, il se sentait lié, marié, en vingt paroles.
Guy de Maupassant - Pierre et Jean - Extrait du chapitre V
Annonce des axes
I. Une scène de demande en mariage étrange, décalée par rapport aux conventions romanesques habituelles
1. Une inversion des rôles
2. Deux caractères opposés
II. Une critique du mariage de la part du narrateur
1. L'absence de tendresse
2. Des préoccupations bourgeoises surtout de la part de Mme Rosémilly
3. Le mariage comme piège
Commentaire littéraire
I. Une scène de demande en mariage étrange, décalée par rapport aux conventions romanesques habituelles
1. Une inversion des rôles
- Traditionnellement la demande est assurée par les hommes, or ici les rôles sont inversés : "je suppose naturellement que vous désirez m'épouser" -> c'est Mme Rosémilly qui formule elle-même la demande. Or à la ligne précédente, Jean n'a parlé que d'amour : "vous vous décidez aujourd'hui à me déclarer votre amour".
- C'est elle qui mène la conversation
- Elle pose les questions et induit les réponses -> elle met en place le contrat
- Elle parle pour deux : "vous / je" (première réplique), "l'un et l'autre", "nous"
- C'est elle qui littéralement demande la main : "Elle lui tendit sa main encore mouillée".
- Contrairement à l'idée de l'époque, selon laquelle dans ce genre de situation l'homme agit avec raison et la femme avec frivolité, ici, les rôles sont également inversés. Cf. fin du texte :
- Elle = "si peu troublée, si raisonnable",
- Lui = "coquette comédie".
-> Adjectif féminin
En plus de l'inversion des rôles, les personnages ont des caractères opposés.
2. Deux caractères opposés
- Raison / trouble
Mme Rosémilly apparaît comme une femme de tête qui impose son jugement
Cf. verbes d'estimation et de prise de décision : "savons", "pouvons peser toutes les conséquences", "décidez", "suppose", "désirez m'épouser" -> elle fait preuve d'un raisonnement froid.
Jean, lui, semble troublé et pris au dépourvu :
- "il répondit niaisement", "il s'étonnait",
- Répétition de "s'attendre à" : "Il ne s'attendait guère" et "Il s'attendait à des gentillesses galantes, (…)" -> cette expression montre bien ce à quoi s'attendait Jean.
- Rapide / prend son temps
Mme Rosémilly
- interrompt les effusions : "vous n'êtes plus un enfant",
- résume la situation : "nous savons fort bien l'un et l'autre",
- va directement au but avec la demande en mariage.
Alors que Jean entend traîner un petit peu et profiter du moment présent
- Rythme ternaire qui évoque la volonté du personnage,
- Décalage de la fin : "Et c'était fini",
- Rythme long de la phrase précédente qui est rompu par la brièveté de ce terme,
- Discours direct qui montre bien la pensée de Jean.
- Réserve / élan
Jean est du côté enthousiaste comme le montrent certaines expressions :
- "avec élan",
- "Oh !" -> lié à l'interrogation rhétorique qui suit,
- Répétition du verbe "aimer", verbe "désirait" -> verbes de sentiment.
Tous ces termes montrent la sincérité enthousiaste du personnage.
D'un autre côté, Mme Rosémilly apparaît beaucoup plus forte -> "Je vous crois bon et loyal".
-> On a ici une scène totalement décalée, avec des personnages mal assortis, qui traduit implicitement l'idée que le narrateur se fait du mariage.
TRANSITION
Implicitement, par la manière dont il rapporte l'événement, le narrateur porte un regard critique sur l'amour et sur le mariage.
II. Une critique du mariage de la part du narrateur
1. L'absence de tendresse
- Les personnages sont très distants : ce sont deux étrangers l'un pour l'autre : "côte à côte, les pieds pendants" : leur attitude est un peu ridicule.
- Dans Pierre et Jean, l'eau est souvent symbole de désir. Ex : Jean rêvant d' "une coquette comédie d'amour mêlée à la pêche, dans le clapotement de l'eau". Or, la situation, ici, est l'exact inverse : les deux personnages s'éloignent symboliquement de l'eau au moment où leur amour devrait culminer.
- L'échange verbal est limité au minimum :
- "Mon cher ami" est le seul terme affectif, encore que très distant,
- "Ils se turent", "en vingt paroles" montrent bien la brièveté de l'échange.
2. Des préoccupations bourgeoises surtout de la part de Mme Rosémilly
- Il y a de sa part un refus des jeux amoureux : "je ne suis pas une jeune fille"
- Elle utilise le vocabulaire de la logique ("peser", "conséquences"...)
- Elle se préoccupe exclusivement de l'avis des parents Roland (4 des 7 répliques de la conversation tournent autour de ce sujet : les citer)
La seule expression de "sentimentalité" qu'elle manifeste pour Jean ("Je vous crois bon et loyal" = sous-entendu : "vous ferez un bon mari") montre bien cette idée très conventionnelle et peu tendre du mariage et de l'amour.
3. Le mariage comme piège
En regard de la situation où se trouvent les deux personnages (une partie de pêche), le lecteur a ici l'impression que Jean est pris dans les filets de Mme Rosémilly : l'expression "il se sentait lié, marié" est assez explicite de ce point de vue.
C'est comme si la proie que devait être pour lui Mme Rosémilly avait capturé le pêcheur : "Et c'était fini".
Ceci est très représentatif de la vision que Maupassant donne du mariage à travers le livre.
-> Développer cela dans l'ouverture de la conclusion, en amorçant ainsi un thème de discussion possible.
Conclusion
Dans cet extrait de
Pierre et Jean, on assiste à une scène de demande en mariage peu ordinaire. En effet nous avons pu voir que les rôles des deux personnages étaient inversés, sans doute en raison de leurs caractères opposés.
On a ici un texte qui est très satirique sous son air froid et objectif puisque le mariage est évoqué ici par Maupassant comme un piège et quelque chose qui conduit de toute façon les personnages vers une impasse.