Plan de la fiche sur
le chapitre 8 de Pierre et Jean de Maupassant :
Introduction
Présenter l'auteur,
Guy de Maupassant, et l'œuvre :
Pierre et Jean.
Situation du passage : Après la querelle entre les deux frères qui a aboutit à la révélation pour Jean de sa filiation, par les propos de son frère, appuyés par l'aveu de sa mère.
Il se retrouve seul après avoir raccompagné sa mère, ce qui le mène à réfléchir à la nouvelle situation qui se pose à lui : un dilemme : doit-il ou non renoncer à l'héritage ?
Texte étudié
Et longtemps il médita, immobile sur les coussins, imaginant et rejetant des combinaisons sans trouver rien qui pût le satisfaire.
Mais une idée soudain l'assaillit : - Cette fortune qu'il avait reçue, un honnête homme la garderait-il ?
Il se répondit : "Non", d'abord, et se décida à la donner aux pauvres. C'était dur, tant pis. Il vendrait son mobilier et travaillerait comme un autre, comme travaillent tous ceux qui débutent. Cette résolution virile et douloureuse fouettant son courage, il se leva et vint poser son front contre les vitres. Il avait été pauvre, il redeviendrait pauvre. Il n'en mourrait pas, après tout. Ses yeux regardaient le bec de gaz qui brûlait en face de lui de l'autre côté de la rue. Or, comme une femme attardée passait sur le trottoir, il songea brusquement à Mme Rosémilly, et il reçut au coeur la secousse des émotions profondes nées en nous d'une pensée cruelle. Toutes les conséquences désespérantes de sa décision lui apparurent en même temps. Il devrait renoncer à épouser cette femme, renoncer au bonheur, renoncer à tout. Pouvait-il agir ainsi, maintenant qu'il s'était engagé vis-à-vis d'elle ? Elle l'avait accepté le sachant riche. Pauvre, elle l'accepterait encore ; mais avait-il le droit de lui demander, de lui imposer ce sacrifice ? Ne valait-il pas mieux garder cet argent comme un dépôt qu'il restituerait plus tard aux indigents ?
Et dans son âme où l'égoïsme prenait des masques honnêtes, tous les intérêts diffusés luttaient et se combattaient. Les scrupules premiers cédaient la place aux raisonnements ingénieux, puis reparaissaient, puis s'effaçaient de nouveau.
Il revint s'asseoir, cherchant un motif décisif, un prétexte tout-puissant pour fixer ses hésitations et convaincre sa droiture native. Vingt fois déjà il s'était posé cette question : "Puisque je suis le fils de cet homme, que je le sais et que je l'accepte, n'est-il pas naturel que j'accepte aussi son héritage ?" Mais cet argument ne pouvait empêcher le "non" murmuré par la conscience intime.
Guy de Maupassant - Pierre et Jean - Début du chapitre VIII
Annonce des axes
I. Les changements d'avis, l'évolution de la réflexion
1. Un "non" catégorique
2. Un renversement
3. "Et" = Les doutes qui aboutissent au "oui" implicite
II. Un subtil jeu entre discours et récit
1. Discours direct
2. Discours indirect libre
3. L'ironie du narrateur dans les passages de récit pur
Commentaire littéraire
I. Les changements d'avis, l'évolution de la réflexion
Entre le début de l'extrait où apparaît le premier "Non" et la fin de l'extrait où apparaît le deuxième,
apparemment rien n'a changé dans l'état d'esprit de Jean, or à y regarder de
plus près, si on suit les mouvements du texte, on voit qu'il y a trois temps
dans l'évolution de sa réflexion. Ces trois temps sont marqués
par "D'abord", "Or", et "Et".
1. Un "non" catégorique
De "Il se répondit : "Non"" à "de l'autre côté de la rue."
- La première décision est rapportée au style direct, en un seul mot : "Non".
- Jean se tourne vers l'avenir. Cf. verbes au conditionnel : "vendrait", "travaillerait", "redeviendrait".
-> Cette décision semble irrévocable.
- Le premier argument est fourni implicitement par la question : "Cette fortune qu'il avait reçue, un honnête homme la garderait-il ?" (-> interrogation rhétorique).
- Le deuxième argument constitue le fait que la situation serait supportable puisqu'il était déjà pauvre avant : "Il avait été pauvre, il redeviendrait pauvre."
2. Un renversement
De "Or, comme une femme attardée passait sur le trottoir" à "un dépôt qu'il restituerait plus tard aux indigents ?"
- Dans ces lignes, nous pouvons remarquer que les connecteurs et le lexique traduisent un renversement brutal lié à un événement extérieur : le passage d'une femme qui par association d'idée fait penser à Mme Rosémilly : "Or", "brusquement", "la secousse", "en même temps" = connecteurs logiques.
- Les arguments : Pierre envisage les conséquences négatives du fait de refuser l'héritage
1. Le renoncement : rythme ternaire, gradation "Il devrait renoncer à épouser cette femme, renoncer au bonheur, renoncer à tout."
2. La trahison : "Pouvait-il agir ainsi, maintenant qu'il s'était engagé vis-à-vis d'elle ?"
3. L'obligation d'imposer à Mme Rosémilly un sacrifice financier qui n'était pas prévu au départ : "mais avait-il le droit (…), de lui imposer ce sacrifice ?"
Si l'on regarde d'un peu plus près la question que se pose Jean, on peut remarquer que la réponse y est sous-entendue : "Ne valait-il pas mieux garder cet argent (…) ?" -> Jean pense désormais accepter l'héritage.
3. "Et" = Les doutes qui aboutissent au "oui" implicite
De "Et dans son âme où l'égoïsme prenait des masques honnêtes" à la fin de l'extrait
- Le doute :
Nous pouvons remarquer
- Un lexique du combat intérieur : "luttaient", "combattaient"
- Ainsi que la répétition de "puis" ("puis reparaissaient, puis s'effaçaient")
- Et l'utilisation du terme "de nouveau"
- L'opposition entre les deux perspectives est marquée avec le "mais" ("Mais cet argument ne pouvait empêcher...")
- Et renforcée par des thermes antithétiques juxtaposés : "reparaissaient" et "s'effaçaient".
- Mais en fait, implicitement, on sent que Jean a pris sa décision :
- La question qu'il se pose est une question rhétorique : "n'est-il pas naturel que j'accepte aussi son héritage ?"
- L'adjectif "murmuré" à la fin de l'extrait est utilisé pour qualifier le "non", qui était, au départ, catégorique.
TRANSITION
De manière très habile, Maupassant alterne récit, discours direct et discours indirect libre pour mieux nous révéler la fausseté des doutes de Jean et son point de vue sur ses états d'âme.
II. Un subtil jeu entre discours et récit
Un subtil jeu entre discours et récit qui va révéler le point de vue ironique du narrateur sur les états d'âme de Jean.
1. Discours direct
(Marques distinctives : guillemets ; 2 points ; présent dominant)
- Le discours direct donne une notion de spontanéité, d'authenticité aux paroles de Jean.
- Symboliquement, ce discours est celui qui est le moins présent dans le texte.
2. Discours indirect libre
(Similitude d'expression avec le style direct, 3ème personne + passé comme temps dominant).
La forme de discours la plus présente, en alternance avec le récit.
Intérêt : L'emploi de la troisième personne et des temps du passé constitue une bonne manière de brouiller les frontières avec le récit : tantôt le lecteur sera complice du narrateur ; tantôt il sera plutôt porté à croire ce que pense le personnage.
Ce jeu a pour effet de brouiller les cartes et d'introduire un sérieux doute sur la sincérité de Jean, d'autant plus que dans les passages où le narrateur prend en charge le récit, il ne se prive pas de remarques ironiques.
3. L'ironie du narrateur dans les passages de récit pur
- Exagération contenue dans les expressions "cette résolution virile et douloureuse fouettant son courage" et "et il reçut au cœur la secousse des émotions profondes nées en nous d'une pensée cruelle" = presque une tonalité tragique déplacée ici.
- Ailleurs, le narrateur révèle clairement la vision qu'il a du personnage : "dans son âme où l'égoïsme prenait des masques honnêtes".
- Ceci nous conduit à voir l'expression "droiture native" comme une antiphrase.
- De même le "vingt fois" montre bien le caractère cupide de Mme Rosémilly dont on précise qu'elle a accepté la demande de Jean "le sachant riche".
Conclusion
Ce passage de
Pierre et Jean met en valeur la complexité du dilemme qui secoue Jean, mais l'analyse que fait le narrateur est sans concession : elle dénonce les mécanismes de l'égoïsme et de l'intérêt personnel.
Le jeu subtil sur les différentes formes de discours met à jour la fausseté de Jean -> Question : peut-on encore parler ici simplement de réalisme purement objectif quand le narrateur ne se contente pas de donner les faits, mais les interprète à sa manière pour influencer le lecteur ?