Pierre et Jean

Guy de Maupassant

La plage de Trouville - Chapitre 5

De "Il allait maintenant..." à "...c'était toujours la même chose."




Plan de la fiche sur le chapitre 5 de Pierre et Jean de Maupassant :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

      Pierre acquiert progressivement la certitude de l'infidélité de sa mère, ses soupçons deviennent de plus en plus forts et nourrissent une angoisse qui le pousse à s'évader et à fuir le milieu familial quelques heures. Dans ce chapitre 5 de Pierre et Jean de Guy de Maupassant, nous changeons de lieu : Pierre se rend à Trouville.

      La présentation de cette plage et la découverte du jeu de la séduction des femmes jouent un rôle révélateur de l'hallucination de Pierre.

Pierre et Jean - Maupassant



Texte étudié

    Il allait maintenant, frôlant les groupes, tournant autour, saisi par des pensées nouvelles. Toutes ces toilettes multicolores qui couvraient le sable comme un bouquet, ces étoffes jolies, ces ombrelles voyantes, la grâce factice des tailles emprisonnées, toutes ces inventions ingénieuses de la mode depuis la chaussure mignonne jusqu'au chapeau extravagant, la séduction du geste, de la voix et du sourire, la coquetterie enfin étalée sur cette plage lui apparaissaient soudain comme une immense floraison de la perversité féminine. Toutes ces femmes parées voulaient plaire, séduire, et tenter quelqu'un.
    Elles s'étaient faites belles pour les hommes, pour tous les hommes, excepté pour l'époux qu'elles n'avaient plus besoin de conquérir. Elles s'étaient faites belles pour l'amant d'aujourd'hui et l'amant de demain, pour l'inconnu rencontré, remarqué, attendu peut-être.
    Et ces hommes, assis près d'elles, les yeux dans les yeux, parlant la bouche près de la bouche, les appelaient et les désiraient, les chassaient comme un gibier souple et fuyant, bien qu'il semblât si proche et si facile. Cette vaste plage n'était donc qu'une halle d'amour où les unes se vendaient, les autres se donnaient, celles-ci marchandaient leurs caresses et celles-là se promettaient seulement. Toutes ces femmes ne pensaient qu'à la même chose, offrir et faire désirer leur chair déjà donnée, déjà vendue, déjà promise à d'autres hommes.
    Et il songea que sur la terre entière c'était toujours la même chose.

Guy de Maupassant - Pierre et Jean - Extrait du chapitre V




Annonce des axes

I. La présentation de la plage et les jeux de séduction des femmes
1. Le point de vue narratif
2. Le regard de Pierre sur les femmes

II. Un jeu marqué par la duplicité
1. Un comportement artificiel
2. Image du marché, du commerce

III. Une vision hallucinée qui sert de révélateur
1. Le spectacle de la plage est marqué par le nombre
2. Une focalisation qui se fait surtout sur les femmes
3. Des généralisations réductrices



Commentaire littéraire

I. La présentation de la plage et les jeux de séduction des femmes

1. Le point de vue narratif

Dans la première phrase, c'est le narrateur donc nous avons un point de vue zéro. Nous allons progressivement pénétrer dans le monologue intérieur de Pierre grâce au point de vue interne. En effet la deuxième phrase s'achève par "lui apparaissaient soudain" et "il songea", avant dernière phrase, qui révèle le point de vue de Pierre. Le reste du passage, encadré par ces deux phrases et constitué par les réflexions de Pierre, ne cherche ni à relativiser son jugement sur les femmes ni à mettre de la distance et nuancer son propos.

2. Le regard de Pierre sur les femmes

Il s'impose à nous à travers des images très fortes et très variées qui se succèdent.

a - leur beauté :

- champ lexical de la beauté : adjectifs (jolies, mignonne, belles…), noms (toilettes, étoffes, grâce, coquetterie, séduction…), comparaisons (comme un bouquet, comme une immense floraison…).
- syntaxe accumulative : effet souligné par la longueur de la phrase, omniprésence de la beauté.

b - mais une beauté chargé d'intention :

- la récurrence de "pour" à la fin du premier paragraphe (anaphore, reprise de la même construction "elles s'étaient fait belles pour…") et la récurrence de "déjà" à la fin du deuxième paragraphe.
- Les verbes : "voulaient" et "pensaient".
- "rencontré, remarqué, attendu" : le hasard, le premier pas, l'anticipation (arrière pensée), l'ordre des participes passés employés comme adjectifs dans l'expression "l'homme rencontré, remarqué, attendu" révèle cette intentionnalité : "plaire, séduire, tenter". Elles veulent plaire par la parure : "étoffes jolies, ombrelles, tailles emprisonnées, chaussure, chapeau", par le corps (taille, geste), par la voix, par le sourire et la recherche de séduction par des adjectifs. Ce jeu n'est pas innocent, tout devient indice d'un appel.


II. Un jeu marqué par la duplicité

1. Un comportement artificiel

- Grâces factices.
- Tailles emprisonnées.
- Elles s'étaient faites belles.
- Couvrir le sable : femme porte un masque qui dissimule tout ce qui peut être naturel.
- Coquetterie et parées comporte une connotation rusé et duplicité.
- Epoux est isolé, apparaît une seule fois dans une forme négative : "excepté pour l'époux ". L'époux est ainsi dissocié des autres hommes.
- Répétition de "les hommes" en insistant sur le nombre, la forme attributive "pour" qui exclut l'époux souligne le jeu de ses femmes.
- Evocation d'autres hommes, l'amant, l'inconnu.
- Image de la chasse : "chassaient", "gibier" considéré comme "souple et fuyante", le vocabulaire appliqué au gibier s'applique à la femme. Fuyante, qui s'enfuie, qui manque de franchise et de loyauté, gibier "proche et facile" comparaison avec la femme facile, légère. S'ajoute la complicité de l'homme qui rentre dans ce jeu de séduction.

2. Image du marché, du commerce

Pierre dresse un parallèle péjoratif entre la recherche de la séduction et l'activité marchande. Annoncé déjà dans le premier paragraphe avec "coquetterie étalée" pour l'étalage, notion également dans le verbe "tenter" pour la marchandise. Des corps du premier paragraphe au deuxième paragraphe.


III. Une vision hallucinée qui sert de révélateur

1. Le spectacle de la plage est marqué par le nombre

De nombreux pluriels plus les noms ayant un sens collectif : "groupe", "bouquet", "gibier". "vaste" souligne l'ampleur du tableau, tableau qui s'étendra à la terre entière à la fin. La scène déborde aussi temporellement : "amant d'aujourd'hui et demain", "toujours". Dans l'image de la chasse, les hommes et les femmes se font complices du même jeu, l'humanité entière est concernée par l'ensemble de la séduction.

2. Une focalisation qui se fait surtout sur les femmes

érer par la multiplication des verbes qui sont des verbes d'actions : "plaire, séduire, conquérir, offrir, faire, désirer". Les femmes ont l'initiative de l'action. Les hommes par comparaison en un verbe réduit : "appelaient, désiraient, chassaient", cette disproportion très révélatrice, les femmes mènent le jeu.
Dans la métaphore de la halle, l'inventaire est exclusivement féminin et il est souligné par : "les unes", "les autres", "celles-ci", "celles-là". Le regard de Pierre se consacre sur leur comportement. Mais à travers ce regard, il laisse libre court à ses obsessions. Pierre part de l'évocation de la beauté, puis par glissement il évoque celle de la séduction, de la coquetterie et enfin de la perversité. De la même manière, nous observons le même glissement dans la succession de termes. Pierre croit prouver la culpabilité des femmes en employant des mots de plus en plus lourds de reproches. De plus, il pense mener une déduction rigoureuse en utilisant des liens logiques : "donc". Il a ainsi déformé la réalité.

3. Des généralisations réductrices

"toutes ces femmes" avec la récurrence de "toutes", les femmes de la plage, les femmes de la société, sa mère.
"tous les hommes" -> aucun sens de la nuance de Pierre.
"ne… que", une restriction, vision réductrice.
"Et il songea que sur la terre entière c'était toujours la même chose", entière = tous les lieux, toujours = toutes les époques, chose = tous les comportements.





Conclusion

    Vision collective à travers ces différents procédés qui intègrent la mère, sous l'image de cette plage apparaît ainsi la réponse à la question qui le hante (sa mère a-t-elle eu un amant ? Sa mère avait comme les autres, voilà tout ! Sa mère se trouve ainsi déculpabilisé). Cette description trahit le regard de Pierre, ses obsessions, ses efforts pour accepter la situation. Une autre question se pose au lecteur : cette plage révèle-t-elle à Pierre la comédie des hommes ou bien Pierre projette-t-il sur le décors sa vision des hommes ?

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Merci à Romain pour cette analyse sur le chapitre 5 de Pierre et Jean de Maupassant