Biographie de l'auteur :
Wilheim Apollinaire de Kostrowitzky naît à
Rome en 1880. Il a aussi bien une grande culture artistique que littéraire.
Son premier travail est d'être précepteur d'une jeune aristocrate en Rhénanie
(des poèmes s'appelleront Rhénane). En 1907, il s'établit à Paris. Ce sera
un ami très proche de Picasso. Il aura une liaison avec Marie Laurencin (une peintre), avec laquelle
il vivra jusqu'en 1912. Il est mobilisé en 1914, blessé en 1916, trépané.
Il est mort tragiquement de la grippe espagnole en 1918 alors qu'il venait juste de se marier.
-> Lien interne :
biographie d'Apollinaire
Introduction :
Le poème
Le Pont Mirabeau est un extrait du recueil
Alcools paru
en 1913.
Apollinaire y fait allusion à sa rupture avec Marie Laurencin, une peintre avec qui il eut une liaison, et au-delà
évoque la fuite du temps semblable à l'eau qui s'en va. L'eau est un thème romantique et lyrique qui renvoie au passage du temps et à la fuite de l'amour.
Le pont Mirabeau (moderne pour l'époque de l'écriture du poème) est situé à Auteuil et fut emprunté par le poète lorsqu'il rentrait de chez Marie Laurencin.
Texte du poème Le Pont Mirabeau de Apollinaire :
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Lu par Apollinaire
Le Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Apollinaire, Alcools (1912)
Le Pont Mirabeau (Paris)
Guillaume Apollinaire
La forme poétique
a. 4 quatrains et refrain sous forme de distique (2 petits vers qui reviennent toujours). Forme : 10/4/6/10.
b. Refrain : vers impairs, heptasyllabes (élément essentiel de la musicalité depuis Verlaine)
c. Premier vers repris à la fin = circularité du poème.
d. Nombreuses répétitions dont le refrain donnent une impression de monotonie, de plainte, et rapprochent ce texte d'une complainte.
Analyse linéaire
I. Le lieu évocateur de l'amour passé - Vers 1 à 6
C'est le Pont Mirabeau de Paris qui le fait se souvenir (pont qu'Apollinaire empruntait lorsqu'il rentrait de chez Marie Laurencin).
L'eau est un élément habituel du poème lyrique pour exprimer la fuite du temps. Ici, elle est nommée, c'est la Seine.
Le vers 1 utilise le
présent de vérité générale "coule", c'est quelque chose d'immuable, comme le temps qui passe.
Le pont est le symbole de ce qui lit les choses entre elles, tout comme l'amour.
Au vers 2, l'utilisation de l'adjectif possessif "nos" ("nos amours") montre que
l'amour a été réciproque.
Cependant,
l'amour dont il est question ici est terminé ("souvienne" vers 3 et utilisation de l'imparfait "venait" vers 4).
Cet amour était heureux puisque "La joie venait toujours".
Aux vers 2 et 3, le décasyllabe est rompu (4+6), ce qui donne une rime masculine isolée ("amours"), comme le poète, au milieu des rimes féminines. Le vers est à l’image de la rupture amoureuse. Ce schéma est reproduit dans les 4 quatrains.
Cette découpe des vers est une marque de modernité poétique.
Les vers 5 et 6 ("Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure") reviennent après chaque quatrain du poème,
tel le refrain d'une chanson.
Dans ce de refrain, l'opposition pluriel / singulier ("Les jours s'en vont je demeure") montre la
solitude du poète, et souligne encore une fois que la relation amoureuse est terminée.
II. La réminiscence de l'amour - Vers 7 à 12
Dans ces vers, le poète se rappelle de son amour. Ce souvenir est bien vivant, comme le montre l'utilisation du présent.
Au vers 7 ("Les mains dans les mains restons face à face"), la
double répétition ("main" et "face") montre la
complicité du couple et renvoie à l'idée d'un bonheur partagé.
La locution conjonctive au vers 8 "Tandis que" montre que quand les 2 amants s'aimaient, le temps qui passait ne les affectait pas et n'affectait pas leur amour, puisque l'eau passait sous eux.
Au vers 9,
la métaphore "Le pont de nos bras" montre l'amour fusionnel, et fait un parallélisme avec le pont Mirabeau.
Pourtant "l'onde si lasse" (lasse = fatiguée, ennuyée) au vers 10 montre que cet amour va s'estomper. L’
allitération en [s] dans "si lasse" sonne comme une plainte, et impose un rythme lent à la lecture rendant compte de cette lassitude.
III. L'échec de l'amour - Vers 13 à 18
Au vers 13, Apollinaire se rapproche du Romantisme avec la comparaison "L'amour s'en va comme cette eau courante", l'utilisation de la comparaison de l'eau qui coule pour parler du temps qui passe ou de l'amour qui passe est assez commune en poésie.
Il y a une
double anaphore dans ce quatrain : "comme" (3 fois) et "L'amour s'en va" (2 fois).
Cette double anaphore fait résonner ce quatrain comme une litanie (plaintes répétées sans cesse) du poète qui désespéré de cet amour qui s'éteint.
La répétition de "L'amour s'en va" insiste sur la disparition de cet amour.
La paronomase (employer dans une même phrase des mots dont le son est semblable, mais le sens différent) aux vers 15 et 16
"la vie est lente" / "violente" montre la douleur du poète.
La diérèse sur "violente" insiste sur cette douleur. De plus, le mot se lit vi-o-lente (vie-eau-lente) qui reprend les thèmes du poème.
A noter au vers 16 la majuscule à "Espérance", ce qui n'est pas sans rappeler le poème de Baudelaire
Spleen - LXXVIII.
IV. La fuite du temps - Vers 19 à 24
De nouveau dans ce quatrain, il y a une
double anaphore : ("passent les" et "ni"), qui résonne comme une litanie.
Le
champ lexical du temps est très présent dans ce quatrain : "jours", "semaines", "temps passé".
Le parallélisme entre le temps passé et les amours et la double négation "ni" ("Ni temps passé / Ni les amours reviennent")
montrent une même irréversibilité du temps qui passe et des amours qui s'estompent.
Le déterminant possessif du vers 2 "'nos amours" est devenu ici un article défini ("les amours" - vers 21), le poème devient plus universel.
Au vers 22 (dernier vers avant la reprise du refrain),
le premier vers est répété "Sous le pont Mirabeau coule la Seine",
ces 2 vers forment une boucle comme les heures et les semaines qui se répètent inlassablement.
Il n'y pas de ponctuation dans le poème. Les vers s'enchainent les uns après les autres sans que rien ne puisse les arrêter à l'image de l'eau qui coule et du temps qui passe.
Dans le refrain "Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure" (champ lexical du temps très présent : "nuit", "heure", "jours"), l'antithèse entre les jours qui "s'en vont" (mouvement) et l'immobilité du poète
"je demeure" insiste sur l'immobilité du poète -> il semble montrer son incapacité à changer le cours du temps.
Conclusion
Le pont Mirabeau de Apollinaire est donc un poème original qui reprend un thème conventionnel dans une structure où les termes, les sonorités et la disposition des mots forment des correspondances. Seule la peine de l'auteur semble demeurer face au temps qui passe.