Pot-Bouille

Emile Zola - 1882

Chapitre 1 - Visite de l'immeuble de la rue de Choiseul

De "Le vestibule et l’escalier..." à "...nous voici chez vous."




Plan de la fiche sur Pot-Bouille de Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Le roman Pot-Bouille de Emile Zola est paru en 1882. Zola y montre un immeuble parisien dans lequel vit une bourgeoisie qui, derrière un luxe de façade, montre des comportements peu respectables (adultères, complots, intrigues…). L'expression pot-bouille désignait une cuisine populaire, de faible qualité, comme les comportements des bourgeois de cet immeuble.

    Fils de François Mouret et de Marthe Rougon, Octave Mouret arrive de Plassans et vient s'installer à Paris pour y faire fortune. Grâce aux Campardon, il trouve à se loger, rue de Choiseul, dans "une maison neuve" de quatre étages. Sous l'escorte bienveillante de M. Campardon qui le mène à sa chambre, Octave découvre un immeuble aux allures luxueuses, aux dehors respectables.

Pot-Bouille - Zola


Texte étudié

Pot-Bouille
Chapitre 1 (extrait)

[…]

Le vestibule et l’escalier étaient d’un luxe violent. En bas, une figure de femme, une sorte de Napolitaine toute dorée, portait sur la tête une amphore, d’où sortaient trois becs de gaz, garnis de globes dépolis. Les panneaux de faux marbre, blancs à bordures roses, montaient régulièrement dans la cage ronde ; tandis que la rampe de fonte, à bois d’acajou, imitait le vieil argent, avec des épanouissements de feuilles d’or. Un tapis rouge, retenu par des tringles de cuivre, couvrait les marches. Mais ce qui frappa surtout Octave, ce fut, en entrant, une chaleur de serre, une haleine tiède qu’une bouche lui soufflait au visage.
— Tiens ! dit-il, l’escalier est chauffé ?
— Sans doute, répondit Campardon. Maintenant, tous les propriétaires qui se respectent, font cette dépense… La maison est très bien, très bien…
Il tournait la tête, comme s’il en eût sondé les murs, de son œil d’architecte.
— Mon cher, vous allez voir, elle est tout à fait bien… Et habitée rien que par des gens comme il faut !
Alors, montant avec lenteur, il nomma les locataires. À chaque étage, il y avait deux appartements, l’un sur la rue, l’autre sur la cour, et dont les portes d’acajou verni se faisaient face. D’abord, il dit un mot de M. Auguste Vabre : c’était le fils aîné du propriétaire ; il avait pris, au printemps, le magasin de soierie du rez-de-chaussée, et occupait également tout l’entresol. Ensuite, au premier, se trouvaient, sur la cour, l’autre fils du propriétaire, M. Théophile Vabre, avec sa dame, et sur la rue, le propriétaire lui-même, un ancien notaire de Versailles, qui logeait du reste chez son gendre, M. Duveyrier, conseiller à la cour d’appel.
— Un gaillard qui n’a pas quarante-cinq ans, dit en s’arrêtant Campardon, hein ? c’est joli !
Il monta deux marches, et se tournant brusquement, il ajouta :
— Eau et gaz à tous les étages.
Sous la haute fenêtre de chaque palier, dont les vitres, bordées d’une grecque, éclairaient l’escalier d’un jour blanc, se trouvait une étroite banquette de velours. L’architecte fit remarquer que les personnes âgées pouvaient s’asseoir. Puis, comme il dépassait le second étage, sans nommer les locataires :
— Et là ? demanda Octave, en désignant la porte du grand appartement.
— Oh ! là, dit-il, des gens qu’on ne voit pas, que personne ne connaît… La maison s’en passerait volontiers. Enfin, on trouve des taches partout…
Il eut un petit souffle de mépris.
— Le monsieur fait des livres, je crois.
Mais, au troisième, son rire de satisfaction reparut. L’appartement sur la cour était divisé en deux : il y avait là madame Juzeur, une petite femme bien malheureuse, et un monsieur très distingué, qui avait loué une chambre, où il venait une fois par semaine, pour des affaires. Tout en donnant ces explications, Campardon ouvrait la porte de l’autre appartement.
— Ici, nous sommes chez moi, reprit-il. Attendez, il faut que je prenne votre clef… Nous allons monter d’abord à votre chambre, et vous verrez ma femme ensuite.
Pendant les deux minutes qu’il resta seul, Octave se sentit pénétrer par le silence grave de l’escalier. Il se pencha sur la rampe, dans l’air tiède qui venait du vestibule ; il leva la tête, écoutant si aucun bruit ne tombait d’en haut. C’était une paix morte de salon bourgeois, soigneusement clos, où n’entrait pas un souffle du dehors. Derrière les belles portes d’acajou luisant, il y avait comme des abîmes d’honnêteté.
— Vous aurez d’excellents voisins, dit Campardon, qui avait reparu avec la clef : sur la rue, les Josserand, toute une famille, le père caissier à la cristallerie Saint-Joseph, deux filles à marier ; et, près de vous, un petit ménage d’employés, les Pichon, des gens qui ne roulent pas sur l’or, mais d’une éducation parfaite… Il faut que tout se loue, n’est-ce pas ? même dans une maison comme celle-ci.
À partir du troisième, le tapis rouge cessait et était remplacé par une simple toile grise. Octave en éprouva une légère contrariété d’amour-propre. L’escalier, peu à peu, l’avait empli de respect ; il était tout ému d’habiter une maison si bien, selon l’expression de l’architecte. Comme il s’engageait, derrière celui-ci, dans le couloir qui conduisait à sa chambre, il aperçut, par une porte entr’ouverte, une jeune femme debout devant un berceau. Elle leva la tête, au bruit. Elle était blonde, avec des yeux clairs et vides ; et il n’emporta que ce regard, très distinct, car la jeune femme, tout d’un coup rougissante, poussa la porte, de l’air honteux d’une personne surprise.
Campardon s’était tourné, pour répéter :
— Eau et gaz à tous les étages, mon cher.
Puis, il montra une porte qui communiquait avec l’escalier de service. En haut, étaient les chambres de domestique. Et, s’arrêtant au fond du couloir :
— Enfin, nous voici chez vous.

Zola - Pot-Bouille - 1882




Annonce des axes

I. Une scène d'exposition
1. Une visite guidée emblématique
2. L'état des lieux
3. La galerie des personnages

II. La stratification spatiale : scènes, seuils et coulisses
1. La théâtralisation du décor : trompeuses apparences...
2. L'apparat du faste
3. Un espace compartimenté

III. Habitat et habitants
1. Au-delà de la métonymie, une théorie littéraire
2. Une ironie diffuse



Commentaire littéraire

I. Une scène d'exposition

Lors de cet extrait, nous assistons à la présentation de la maison de la rue de Choiseul ainsi que de ses habitants, microcosme qui constituera le cadre principal du roman.

1. Une visite guidée emblématique

M. Campardon qui réceptionne Octave orchestre la visite de l'immeuble. Cette scène d'exposition s'organise de façon toute théâtrale : mise en place du décor, des personnages, de la situation, voire encore du lecteur. La présentation des lieux par M. Campardon, architecte, à Octave, nouveau venu dans l'immeuble, mime en effet notre propre position de lecteur pénétrant, à la suite du narrateur, dans un univers inconnu et étranger.


2. L'état des lieux

Selon un parcours progressif, suivant un mouvement ascendant, la visite de M. Campardon secondée par le mouvement du regard d'Octave nous fait voir l'immeuble. L'apparence de luxe et de confort frappe le nouveau locataire qui éprouve une certaine satisfaction : "L'escalier, peu à peu, l'avait empli de respect ; il était tout ému d'habiter une maison si bien". Ses premiers émois, à la découvre du vestibule avec sa "chaleur de serre" et ses débauches de faste ("un luxe violent", "toute dorée", "feuilles d'or"…), semblent sinon oubliés, du moins dissipés.


3. La galerie des personnages

A mesure qu'il gravit les étages et atteint un nouveau palier, M. Campardon convoque les habitants introduisant par-là au lecteur, le personnel romanesque de l'intrigue à venir. Il établit avec force détails la fiche signalétique de chacun des locataires précisant en outre sa situation topologique dans l'immeuble.
Le premier étage, ainsi, est occupé par M. Vabre, le propriétaire de l'immeuble, et ses deux fils Auguste et Théophile.
Au second étage, M. Campardon passe rapidement devant la porte de "gens qu'on ne voit jamais, que personne ne connaît" et où loge semble-t-il un "monsieur qui fait des livres".
Au troisième étage, habitent Mme Juzeur, un "monsieur distingué" qui loue, une fois la semaine, une chambre et la famille Campardon.
Le quatrième étage, enfin, où se trouve la chambre d'Octave est occupé par la famille Josserand dont le père est caissier et les Pichon, "petit ménage d'employé".
En somme, dans "une maison comme celle-ci", Octave est assuré d'avoir des "excellents voisins", à commencer par M. Campardon lui-même.

La distribution géographique des locataires reproduit, en l'inversant, la hiérarchie sociale et le système de classes : des plus riches aux plus pauvres, du propriétaire aux domestiques, des professions libérales aux employés. Au fur et à mesure que l'on s'élève spatialement, on chute d'une catégorie sociale et économique.


II. La stratification spatiale : scènes, seuils et coulisses

1. La théâtralisation du décor : trompeuses apparences...

Pointant le vernis ostentatoire de la respectabilité bourgeoise, Zola utilise dans cet extrait la métaphore théâtrale. Puisque la morale bourgeoise n'est qu'une façade, les personnages de Pot-Bouille apparaîtront en perpétuelle représentation.

L'immeuble de la rue de Choiseul suggère un véritable décor de théâtre. Cet édifice tout neuf semble avoir été transporté là, comme on installe les éphémères architectures des expositions universelles. L'effet est au demeurant accentué par la riche et clinquante décoration de la maison, mais dont le luxe n'est qu'une parodie.
Le vocabulaire employé par Zola est péjoratif : le vestibule et l'escalier sont d'"un luxe violent", les couleurs sont pastel et de mauvais goût : "des panneaux" "blancs à bordures roses" ou vives et agressives : "un tapis rouge", des "feuilles d'or" ornent la rampe d'escalier. Des panneaux "en faux marbre" décorent l'entrée, ainsi qu'une figure de femme, "une sorte de Napolitaine", tandis que la rampe d'escalier "imitait le vieil argent". Comme M. Campardon le fait d'ailleurs remarquer à Octave, "ces maisons-là, c'est bâti pour faire de l'effet".


2. L'apparat du faste

Mais tout comme les décors ont, au théâtre, leur envers, la maison bourgeoise de Pot-Bouille, sous les riches dehors, cache sa lésinerie et ses mesquineries. Le luxe bourgeois est un apparat d'apparence, comme le montre les mots "faux" ("faux marbre"), "imitait"... Il a pour fonction avérée d'en imposer au visiteur qui, comme Octave dans le premier chapitre, s'y laisse prendre. Il devine bien d'une certaine façon le leurre de toute cette pompe quand il aperçoit qu'à partir du troisième étage, le tapis rouge est remplacé par une simple toile grise : "Octave en éprouva une légère contrariété d'amour-propre."
Plus tard, lorsque Trublot lui ouvrira les yeux, il en ressentira une déception et une franche amertume : "Il regardait les murailles, comme vexé de ne pas avoir lu tout de suite au travers, derrière les faux marbres et le carton-pâte luisant de dorure" (chapitre VI).


3. Un espace compartimenté

L'édifice tout entier est ainsi placé sous le double signe de la duplicité et des clivages. Ces divisions et parallélismes sont d'abord et avant tout inscrits dans la spatialité : "A chaque étage, il y avait deux appartements, l'un sur la rue, l'autre sur la cour, et dont les portes d'acajou verni se faisaient face". Au riche escalier sur lequel ouvrent les "belles portes d'acajou luisant" répond en effet la cour des cuisines où les domestiques jettent, en même temps que les ordures et les eaux grasses, des mots ignobles sur leurs maîtres. Tout comme ses habitants, la maison bourgeoise est une maison hypocrite.


III. Habitat et habitants

1. Au-delà de la métonymie, une théorie littéraire

Pour Zola, théoricien du naturalisme, le milieu détermine le personnage qui n'est plus une "simple abstraction psychologique" : "Nous estimons, écrit Zola dans le Roman naturaliste, que l'homme ne peut être séparé de son milieu, qu'il est complété par son vêtement, par sa maison, par sa ville, par sa province".
Or chez les bourgeois, la relation entre habitat et habitant se complique. Pour affirmer son appartenance à la classe bourgeoise, l'individu doit afficher un certain nombre de signes extérieurs de richesse, de sérieux et de convenance. L'habitat devient alors prépondérant : c'est un terrain d'exposition privilégié. L'homme n'est plus seulement ici complété par le milieu dans lequel il vit et évolue : la maison crée le bourgeois, le bourgeois est l'image sérieuse et riche qu'offre son habitat. Ainsi, présentant l'immeuble à Octave, M. Campardon fait d'incessants va-et-vient entre la maison et ses locataires. La respectabilité de la maison est toute entière façonnée et même conditionnée par l'honnêteté des habitants qui y résident. Aussi n'est-il pas étonnant que M. Campardon, jugeant le romancier du second indigne du sérieux de l'immeuble, passe "sans nommer les locataires".


2. Une ironie diffuse

Polémiste féroce, Zola recourt afin de dénoncer le grotesque et le ridicule de cette demeure bourgeoise a un procédé fort subtil : l'ironie.
Dans cette scène de présentation, il s'agit, en effet, moins de dire le contraire de ce qu'on veut faire comprendre que de laisser parler les faits et les lieux eux-mêmes. La stratégie consiste alors, non pas à en rajouter, mais à en retrancher. Le dévoilement de la fausseté bourgeoise se fera d'autant plus éclatant qu'il opère derrière une représentation apparemment neutre et objective. Cette tactique perce de la description du narrateur qui associe des éléments contradictoires pour la maison. Il imbrique ainsi à propos de l'entrée de la maison le décorum et des extérieurs vulgaires et de pacotille. Il juxtapose, dans l'évocation des locataires du troisième étage, le portrait de Mme Juzeur "une petite femme bien malheureuse" et celui d'un "monsieur très distingué" qui occupe, une fois par semaine, sa chambre "pour des affaires".
Relatant les réflexions d'Octave, le narrateur glisse parfois des oxymores : "C'était une paix morte de salon bourgeois [...]" ou encore "Derrière les belles portes d'acajou luisant, il y avait comme des abîmes d'honnêteté."
L'ironie ressort en outre du discours stéréotypé et tautologique de M. Campardon dont les répliques, creuses et surfaites, s'apparentent plus à des propos de camelot vantant sa marchandise qu'à ceux d'un architecte. Ceci qu'il s'agisse de l'immeuble : "La maison est très bien, très bien..." ou encore de ses habitants : "Et habitée rien que par des gens comme il faut !".
Il arrive qu'il porte des jugements sur les locataires. Le ton autant que les propos rapportés sont alors péremptoires (M. Duveyrier), voire sarcastiques et méprisants comme au sujet du romancier du second : "La maison s'en passerait volontiers. Enfin, on trouve des taches partout...". C'est bien sûr un trait d'humour de la part de l'auteur Zola qui montre ainsi qu'il n'est pas estimé par le monde bourgeois, et réciproquement. Ou encore au sujet des Pichon, "un petit ménage d'employés", l'adjectif "petit" montrant son mépris, confirmé peu après par la phrase "Il faut que tout se loue, n'est-ce pas ?"

Il reste que le personnage de M. Campardon dégage surtout un ridicule et une fatuité tous entiers contenus dans la formule qu'il scande d'étage en étage : "- Eau et gaz à tous les étages, mon cher."





Conclusion

    A l'issue de cette vue en coupe de l'immeuble de la rue de Choiseul, le décor semble posé et les personnages prêts à s'investir de leur rôle respectif. Loin de servir de "hors-d'œuvre" ou de simple cadre aux actions, l'espace romanesque semble ici motiver la narration en même temps qu'il paraît sous-tendre une vision comme une esthétique toute naturaliste.

Telle est l'habileté de Zola dans Pot-Bouille : faire de la maison la vivante incarnation de la morale bourgeoise.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse de Pot-Bouille de Zola