Pot-Bouille

Emile Zola - 1882

Chapitre 13 - La mise à nu de l'adultère entre Octave et Berthe

De "Tous les fonds de casserole..." à "...et ils aspiraient au soulagement de ne plus se voir."




Plan de la fiche sur Pot-Bouille de Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Le roman Pot-Bouille de Emile Zola est paru en 1882. Zola y montre un immeuble parisien dans lequel vit une bourgeoisie qui, derrière un luxe de façade, montre des comportements peu respectables (adultères, complots, intrigues…). L'expression pot-bouille désignait une cuisine populaire, de faible qualité, comme les comportements des bourgeois de cet immeuble.

    Si les ardeurs d'Octave pour Berthe, dont il est devenu l'amant, ne semblent pas faiblir, celles de Berthe se sont refroidies, notamment depuis sa nuit passée chez Octave un mardi, jour où Auguste, le mari de Berthe se rend désormais à Lyon pour régler ses affaires de commerce de soieries. Au matin, elle s'était en effet retrouvée confondue par sa bonne, Rachel, dont elle avait dû acheter le silence. Un mardi où Rachel n'est pas là, Octave propose à Berthe de le rejoindre dans la chambre de la bonne. Berthe ne vient pas, mais va néanmoins voir son amant au petit matin pour lui donner des explications.

Pot-Bouille - Zola


Texte étudié

Pot-Bouille
Chapitre 13 (extrait)

[…]

Tous les fonds de casserole, toutes les vidures de terrine y passèrent, pendant que Lisa s’acharnait sur Berthe et sur Octave, arrachant les mensonges dont ils couvraient la nudité malpropre de l’adultère. Ils restaient, la main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner les yeux ; et leurs mains se glaçaient, et leurs yeux s’avouaient l’ordure de leur liaison, l’infirmité des maîtres étalée dans la haine de la domesticité. C’était ça leurs amours, cette fornication sous une pluie battante de viande gâtée et de légumes aigres !
— Et vous savez, dit Hippolyte, que le jeune monsieur se fiche absolument de la paroissienne. Il l’a prise pour se pousser dans le monde… Oh ! un avare au fond malgré sa pose, un gaillard sans scrupule, qui, avec son air d’aimer les femmes, leur flanque très bien des gifles !
Berthe, les yeux sur Octave, le regardait blêmir, la face bouleversée, si changé, qu’il lui faisait peur.
— Ma foi ! ils se valent, reprit Lisa. Je ne donnerais pas non plus grand’chose de sa peau, à elle. Mal élevée, le cœur dur comme une pierre, se fichant de tout ce qui n’est pas son plaisir, couchant pour l’argent, oui pour l’argent ! car je m’y connais, je parie qu’elle n’a pas même de plaisir avec un homme.
Des larmes jaillirent des yeux de Berthe. Octave regardait son visage se décomposer. Ils se trouvaient comme écorchés au sang l’un devant l’autre, mis à nu, sans protestation possible. Alors, la jeune femme, suffoquée par cette bouche de puisard qui la souffletait, voulut fuir. Il ne la retint pas, car le dégoût d’eux-mêmes faisait de leur présence une torture, et ils aspiraient au soulagement de ne plus se voir.

Zola - Pot-Bouille - 1882




Annonce des axes

I. Monde parallèle et polyphonie narrative
1. Une structure binaire complexe
2. En miroir des maîtres, les domestiques
3. Cette structure binaire mime la réalité des personnages de l'immeuble

II. Un tableau expressionniste de la décomposition morale et physique
1. La décomposition et l'excrémentiel constituent la thématique dominante du passage
2. Ce leitmotiv possède en outre une fonction d'agent narratif
3. La décomposition morale véhiculée par la décomposition physique des deux personnages

III. De l'usage de la satire
1. Le comique de situation
2. Détournement de la scène d'amour
3. Regard critique de sociologue et jugement moral



Commentaire littéraire

I. Monde parallèle et polyphonie narrative

1. Une structure binaire complexe

L'extrait présente une structure binaire complexe activée par la présence du chœur de la domesticité qui se livre, à travers des commérages, à une critique acerbe des maîtres.

Le mouvement duel ressort de la posture même des deux amants : dans la chambre de Rachel, Berthe et Octave sont "main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner les yeux". Au dehors, autour de l'escalier de service sur lequel donnent les cuisines de tous les appartements, les domestiques déversent leurs ordures, comme tous les matins : ordures physiques, résidus de nourriture et ordures morales, descriptions de l'ignominie de leurs maîtres. La structure binaire s'inscrit dans la structure spatiale. Côté cour, cuisine, escalier de service / côté appartements, escalier central. On retrouve d'ailleurs cette opposition dans tout le livre.


2. En miroir des maîtres, les domestiques

Le Couple Octave / Hippolyte, (Hippolyte étant le maître d'hôtel des Duveyrier). Berthe / Lisa (la bonne des Campardon).
Hippolyte s'acharne sur Octave dénonçant son arrivisme sans borne et sa fourberie : "Oh ! un avare au fond malgré sa pose, un gaillard sans scrupules".
De son côté, comme en relais, Lisa se répand en abominations sur Berthe en qui elle voit une femme vénale et frigide : "- Ma foi ! ils se valent, reprit Lisa. Je ne donnerais pas non plus grand-chose de sa peau, à elle. [...] couchant pour de l'argent, oui pour de l'argent, car je m'y connais, je parie qu'elle n'a pas même de plaisir avec un homme".

Vitupérant et médisant à l'instar de leurs maîtres, les domestiques en proposent le reflet à peine déformé. La domesticité apparaît en miroir de la classe bourgeoise.


3. Cette structure binaire mime la réalité des personnages de l'immeuble

Thème du double au travers d'une dynamique "morale" entre l'apparence et le réel. Les domestiques mettent à jour le réel en "arrachant les mensonges dont ils [Octave et Berthe, les bourgeois] couvraient la nudité malpropre de l'adultère".


II. Un tableau expressionniste de la décomposition morale et physique

La décomposition et l'excrémentiel font office à la fois de thème et d'agent de la narration.

1. La décomposition et l'excrémentiel constituent la thématique dominante du passage

Celui-ci se présente comme le ressort des révélations malsaines et du déballage quasi libérateur des domestiques. Voir le champ lexical de la putrescence : "vidure", "malpropre", "ordure", "viande gâtée", "aigres", "se décomposer", "bouche de puisard".
La liaison d'Octave et de Berthe est ainsi traînée dans la boue "C'était ça leurs amours, cette fornication sous une pluie battante de viande gâtée et de légumes aigres !"


2. Ce leitmotiv possède en outre une fonction d'agent narratif

Cette scène sert d'avant-propos à la rupture du couple Octave / Berthe. Elle annonce ou provoque la rupture. Elle scelle la chute de Berthe et le départ d'Octave de l'immeuble.

Aux immondices des propos de la domesticité fait écho un silence à la fois approbateur et flagellateur des amants : "leurs yeux s'avouaient l'ordure de leur liaison, l'infirmité des maîtres étalée dans la haine de la domesticité" ; "Ils se trouvaient comme écorchés au sang l'un devant l'autre, mis à nu, sans protestation possible" ; "cette bouche de puisard qui la souffletait".
Aussi ne s'impose-t-il alors aux amants qu'une seule issue possible, la fuite : "le dégoût d'eux-mêmes faisait de leur présence une torture, et ils aspiraient au soulagement de ne plus se voir".


3. La décomposition morale véhiculée par la décomposition physique des deux personnages

Il s'agit notamment des regards de Berthe sur Octave qui le voit "blêmir, la face bouleversée, si changé qu'il lui faisait peur". Quant à Octave, il regarde le visage de Berthe "se décomposer".
Les réactions d'Octave et de Berthe sont éloquentes : "leurs mains se glaçaient", "des larmes jaillirent des yeux de Berthe", "alors, la jeune femme, suffoquée".


III. De l'usage de la satire

1. Le comique de situation

Cet extrait présente une situation inversée où Berthe et Octave se trouvent en position d'infériorité, voire encore "d'infirmité". Ils paraissent en effet non seulement "déplacés" mais aussi "déclassés" dans la chambre de la bonne de Berthe, où ils n'ont rien à faire ni l'un ni l'autre.
Pour Octave la déconvenue est à la mesure de ses appétits sexuels comme de son avidité. Au lieu d'avoir la nuit d'amour dont il avait rêvé, Octave n'a au petit matin, que l'injure des domestiques.


2. Détournement de la scène d'amour

C'est un détournement de la scène d'amour, sous une pluie d'ordures et de restes de nourriture avariée. L'attirail de la scène d'amour est déroulé, mais de manière caustique : des mains qui se glacent, des yeux qui au lieu de s'avouer l'amour, s'avouent l'ordure d'une liaison, des blêmissements et des larmes issus de la torture des paroles des domestiques et du "dégoût d'eux-mêmes et non du tourment amoureux. "Il ne la retint pas, car le dégoût d'eux-mêmes faisait de leur présence une torture, et ils aspiraient au soulagement de ne plus se voir."


3. Regard critique de sociologue et jugement moral

Si chez Flaubert, le rire est l'expression littéraire d'une conception pessimiste du monde, fondée sur le postulat d'un Dieu railleur, chez Zola, la fonction du rire s'avère, comme dans cette scène, démonstrative et didactique, fidèle par-là au principe du naturalisme.
Le projet de Zola dans Pot-Bouille et bien de "montrer la bourgeoisie mise à nu". Cette scène est explicitement porteuse de ce projet : "Ils se trouvaient comme écorchés au sang l'un devant l'autre, mis à nu, sans protestation possible".
A propos d'Octave, nous sont révélés son goût immodéré pour l'argent ("avare") ainsi que son ambition démesurée ("il l'a prise pour se pousser dans le monde", "sans scrupules").
Le portrait de Berthe n'est guère plus reluisant : "mal élevée", sans générosité ni amour ("le cœur dur comme une pierre"), aimant l'argent plus que tout autre ("couchant pour l'argent") et, enfin, inapte au plaisir ( je parie qu'elle n'a même pas de plaisir avec les hommes").





Conclusion

    Derrière les portraits au vitriol de Berthe et d'Octave, c'est bien l'hypocrisie de la classe bourgeoise qui est dénoncée dans cette scène. Celle-ci apparaît ainsi avec ses faussetés (l'adultère), sa vénalité (la passion de l'argent) mais également ses difformités (l'absence d'humanité et l'apathie).

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse de Pot-Bouille de Zola