Plan de la fiche sur
Pot-Bouille de Zola :
Introduction
Le roman
Pot-Bouille de Emile Zola est paru en 1882. Zola y montre un immeuble parisien dans lequel vit une bourgeoisie qui, derrière un luxe de façade, montre des comportements peu respectables (adultères, complots, intrigues…). L'expression pot-bouille désignait une cuisine populaire, de faible qualité, comme les comportements des bourgeois de cet immeuble.
Après de nombreuses tractations et au prix d'un mensonge éhonté sur la dot, la mère Josserand est parvenue à ses fins : marier sa fille Berthe à Auguste Vabre, le fils du propriétaire de l'immeuble, qui tient un commerce de soieries au rez-de-chaussée. Le jour du mariage, Théophile Vabre, frère du marié, découvre une lettre compromettante écrite à sa femme Valérie. Ses soupçons se tournent immédiatement vers Octave Mouret, qu'il avait aperçu la veille en compagnie de sa femme devant cette même Eglise Saint-Roch où a lieu la cérémonie du mariage.
Texte étudié
Pot-Bouille
Chapitre 8 (extrait)
[…]
Octave ouvrit la lettre. L’émotion avait grandi dans l’assistance. Des chuchotements couraient, on se poussait du coude, on regardait par-dessus les livres de messe ; personne ne faisait plus la moindre attention à la cérémonie. Les deux mariés seuls restaient graves et raides devant le prêtre. Puis, Berthe elle-même tourna la tête, aperçut Théophile qui blêmissait devant Octave ; et, dès lors, elle fut distraite, elle ne cessa de couler des regards luisants du côté de la chapelle de Saint-Joseph.
Cependant, le jeune homme lisait à demi-voix :
— « Mon chat, que de bonheur hier ! À mardi, chapelle des Saint-Anges, dans le confessionnal. »
Le prêtre, après avoir obtenu du mari un « oui » d’homme sérieux qui ne signe rien sans lire, venait de se tourner vers la mariée.
— Vous promettez et jurez de garder à monsieur Auguste Vabre fidélité en toutes choses, comme une fidèle épouse le doit à son époux, selon le commandement de Dieu ?
Mais Berthe, ayant vu la lettre, se passionnant à l’idée des gifles qu’elle espérait, n’écoutait plus, guettait par un coin de son voile. Il y eut un silence embarrassé. Enfin, elle sentit qu’on l’attendait.
— Oui, oui, répondit-elle précipitamment, au petit bonheur.
L’abbé Mauduit, étonné, avait suivi la direction de son regard ; et il devina qu’une scène inusitée se passait dans un des bas-côtés, il fut pris à son tour de singulières distractions. Maintenant, l’histoire avait circulé, tout le monde la connaissait. Les dames, pâles et graves, ne quittaient plus Octave des yeux. Les hommes souriaient d’un air discrètement gaillard. Et, pendant que madame Josserand rassurait madame Duveyrier par de légers haussements d’épaules, seule Valérie semblait s’intéresser au mariage, ne voyant rien autre, comme pénétrée d’attendrissement.
— « Mon chat, que de bonheur hier… » lisait de nouveau Octave, qui affectait une profonde surprise.
Puis, après avoir rendu la lettre au mari :
— Je ne comprends pas, monsieur. Cette écriture n’est pas la mienne… Voyez plutôt.
Et, tirant un calepin où il inscrivait ses dépenses, en garçon soigneux, il le montra à Théophile.
— Comment ? pas votre écriture ! balbutia celui-ci. Vous vous moquez de moi, ça doit être votre écriture.
Le prêtre allait faire le signe de la croix sur la main gauche de Berthe. Les yeux ailleurs, il se trompa, le fit sur la main droite.
— In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.
— Amen, répondit l’enfant de chœur, qui lui aussi se haussait pour voir.
Enfin, le scandale était évité. Duveyrier avait prouvé à Théophile ahuri que la lettre ne pouvait être de M. Mouret. Ce fut presque une déception pour l’assistance. Il y eut des soupirs, des mots vifs échangés. Et quand le monde, encore tumultueux, se retourna vers l’autel, Berthe et Auguste se trouvaient mariés, elle sans paraître y avoir pris garde, lui n’ayant pas perdu une parole du prêtre, tout à cette affaire, dérangé seulement par sa migraine qui lui fermait l’œil gauche.
Zola - Pot-Bouille - 1882
Annonce des axes
I. Une cérémonie désacralisée
1. Deux situations en parallèle
2. La religion fait figure de décorum : elle perd toute signification
3. La cérémonie est totalement dépourvue de solennité
II. L'imposture du monde bourgeois
1. Toute la scène est fondée sur la tromperie
2. L'hypocrisie du monde bourgeois
3. Le dénouement de la scène met au grand jour cette hypocrisie
III. La farce du double
1. Une double scène
2. Les parallélismes
3. L'ironie de Zola
Commentaire littéraire
I. Une cérémonie désacralisée
1. Deux situations en parallèle
Dans cette scène deux situations nous sont présentées en parallèle : le serment de fidélité entre les époux, Auguste et Berthe, et la confrontation entre le mari trompé (Théophile) et celui qu'il soupçonne (Octave).
Cette seconde scène vient parasiter la première, dissipant l'assistance, sollicitant l'attention de la mariée qui prête un serment de fidélité "au petit bonheur" ("- Oui, oui, répondit-elle précipitamment, au petit bonheur), avant de distraire jusqu'au prêtre lui-même, qui se trompe en faisant le signe de la croix sur la mauvaise main. Même l'enfant de chœur s'intéresse plus au scandale qu'à la bénédiction.
Seul Auguste ne voit rien, ne comprend rien, alors que lui-même ne tardera pas dans le roman à prendre la place du mari trompé (et cette fois, l'accusation dont Octave fera l'objet sera fondée).
2. La religion fait figure de décorum : elle perd toute signification
Le confessionnal est le lieu de rendez-vous de l'épouse adultère dans la lettre que lit Octave : "- Mon chat, que de bonheur hier ! A mardi, chapelle des Saints-Anges, dans le confessionnal".
Berthe prononce la formule d'engagement solennel sans prêter attention à ce qu'elle dit : préfiguration du peu d'importante qu'elle accordera à la fidélité dans le mariage.
La scène de dévoilement de l'adultère prend le pas sur la cérémonie du mariage, au point que les formules ritualisées en latin viennent comme interrompre les explications entre Octave et Théophile.
3. La cérémonie est totalement dépourvue de solennité
Berthe ne cesse de "couler des regards luisants" vers Octave et Théophile, "se passionnant à l'idée des gifles qu'elle espérait" se retrouve mariée "sans [...] y avoir pris garde". Les hommes du public "souriaient d'un air discrètement gaillard". Seule Valérie, prise en faute, affecte "l'attendrissement" face au mariage.
Mais du côté du public, l'émotion n'est pas pour le mariage, mais bien pour l'accusation dont fait l'objet Octave.
II. L'imposture du monde bourgeois
1. Toute la scène est fondée sur la tromperie
Tromperie d'un mariage qui n'est qu'une "affaire" de part et d'autre. Tromperie de Valérie qui s'inscrit au cœur du mariage de Berthe. Théophile se trompe en accusant Octave. Et même le prêtre se trompe en faisant son signe de croix !
"Vous vous moquez de moi" dit Théophile à Octave. A travers cette réplique, combien symbolique du thème central de la scène, on est en effet en juste droit de s'interroger : mais qui se moque de qui ?
2. L'hypocrisie du monde bourgeois
Au-delà de la tromperie, c'est l'hypocrisie du monde bourgeois qui ressort, avec son cortège de faux-semblants. Valérie "semblait s'intéresser au mariage", Octave "affectait une profonde surprise", les femmes restent "pâles et graves", même si leurs regards sont tournés vers Octave. On s'observe les uns les autres, on se fait des signes discrets : "Des chuchotements couraient, on se poussait du coude, on regardait par-dessus les livres de messe [...]".
Même Berthe "guettait par un coin de son voile", tandis que sa mère effectue de légers "haussements d'épaules" en direction de Mme Duveyrier, pour la "rassurer".
3. Le dénouement de la scène met au grand jour cette hypocrisie
Le scandale, que tout le monde à la fois recherche et fait semblant de rejeter, est évité, ce qui cause "presque une déception pour l'assistance", prouvant
l'hypocrisie de l'assistance qui aurait aimé assister à un scandale public.
III. La farce du double
1. Une double scène
Le jeu des regards souligne la présence d'une double scène. Au lieu de se porter sur les mariés, les regards convergent vers Théophile et Octave. Le prêtre suit "la direction du regard de Berthe". Les femmes "ne quittaient plus Octave des yeux". Quand enfin l'assemblée se tourne vers les mariés, c'est trop tard, la cérémonie est finie.
2. Les parallélismes
Il est question de parallélisme entre le serment de fidélité, prêté publiquement pour teinter d'un vernis d'honorabilité l'union des corps, et le billet d'amour, normalement caché parce que scandaleux par son évocation des amours physiques illégitimes.
Il est également question de parallélisme entre Berthe et Valérie, entre Auguste et Théophile, comme en outre entre Auguste et Théophile face à Octave.
3. L'ironie de Zola
Zola fait preuve d'ironie en regardant le monde bourgeois et en relevant les petites faiblesses comme les bassesses.
Il s'agit d'abord et avant tout du
comique de situation qui place malicieusement, au cœur d'une cérémonie religieuse et sacrée, une révélation immonde de dépravation.
Cette critique des mœurs bourgeoises ressort en outre du portrait des personnages. Auguste est ainsi un homme qui "ne signe rien sans lire" ; et qui sera "dérangé seulement par sa migraine qui lui fermait l'œil gauche". Le calepin d'Octave "où il inscrivait ses dépenses en garçon soigneux" emblème de ce monde tourné vers l'argent. Quant à la déception du public, il semble bien que tout est dans l'à peu près, le "presque" : "Enfin, le scandale était évité [...] Ce fut presque une déception pour l'assistance. Il y eut des soupirs, des mots vifs échangés."
Conclusion
A travers la désacralisation d'un rituel religieux, combien symbolique, l'échange des consentements et la bénédiction d'une union, Zola met à jour toute l'imposture d'un univers social qui sous couvert d'honorabilité et de morale dissimule des turpitudes inavouées.