Plan de la fiche sur le
Préambule du manuscrit de Neuchâtel de Jean-Jacques Rousseau :
Introduction
Dans ce préambule, écrit en 1764, Rousseau écrit en
tant qu'auteur de ce texte. Il précède l'écriture des
"Confessions" ainsi que l'autre préambule (
Préambule. Intus, et in cute, 1768).
Rousseau s'engage à tout dire et Rousseau "prend parti sur le
style
". Il souligne l'importance de son uvre dans laquelle il
avoue tout. Il refuse presque l'idée d'un livre en évoquant
souvent l'idée de peinture : portrait. Il a conscience de la
difficulté à un double niveau et ceci dès la première phrase.
Lecture du texte
Préambule du Manuscrit de Neufchâtel
Il faudrait pour ce que j'ai à dire inventer un langage aussi nouveau que mon projet : car quel ton, quel style prendre pour débrouiller ce chaos immense de sentiments si divers, si contradictoires, souvent si vils et quelquefois si sublimes dont je fus sans cesse agité ? Que de riens, que de misères ne faut-il point que j'expose, dans quels détails révoltants, indécents, puérils et souvent ridicules ne dois-je pas entrer pour suivre le fil de mes dispositions secrètes, pour montrer comment chaque impression , qui a fait trace en mon âme y entra pour la première fois ?? Tandis que je rougis seulement à penser aux choses qu'il faut que je dise, je sais que des hommes durs traiteront encore d'impudence l'humiliation des plus pénibles aveux ; mais il faut faire ces aveux ou me déguiser ; car si je tais quelque chose on ne me connaîtra sur rien, tant tout se tient, tant tout est un dans mon caractère, et tant ce bizarre et singulier assemblage a besoin de toutes les circonstances de ma vie pour être bien dévoilé.
Si je veux faire un ouvrage écrit avec soin comme les autres, je ne me peindrai pas, je me farderai. C'est ici de mon portrait qu'il s'agit et non pas d'un livre. Je vais travailler pour ainsi dire dans la chambre obscure ; il n y faut point d'autre an que de suivre exactement les traits que je vois marqués, Je prends donc mon parti sur le style comme sur les choses. Je ne m'attacherai point à le rendre uniforme ; j'aurai toujours celui qui me viendra, j'en changerai selon mon humeur sans scrupule, je dirai chaque chose comme je la sens, comme je la vois, sans recherche, sans gêne, sans m'embarrasser de la bigarrure. En me livrant à la fois au souvenir de 1'impression reçue et au sentiment présent je peindrai doublement l'état de mon âme, savoir au moment où l'événement m'est arrivé et au moment où je l'ai décrit ; mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et tantôt gai fera lui-même partie de mon histoire. Enfin quoi qu'il en soit de la manière dont cet ouvrage peut être écrit ce sera toujours par son objet un livre précieux pour les philosophes : c'est je le répète, une pièce de comparaison pour l'étude du cœur humain, et c'est la seule qui existe.
Jean-Jacques Rousseau, "Préambule du Manuscrit de Neufchâtel"
Annonce des axes
I. Loriginalité du projet autobiographique
1. Difficultés
2. Exprimer des aveux
3. Portrait sincère et vrai
II. Une écriture originale
1. Problèmes d'expression
2. Refus de l'écriture arrangée, soignée
III. Un texte révélateur de l'uvre
1. Diversité des sentiments traduits par la diversité du style
2. Ambiguïtés et contradictions
3. Un moyen de se connaître
Commentaire littéraire
I. Loriginalité du projet autobiographique
1. Difficultés
Il est conscient des difficultés. Sa matière est en effet confuse
et complexe : "débrouiller". Il doit réaliser à partir
d'un "assemblage
bizarre et singulier". Les adjectifs sont eux-mêmes
intensifiés par des adverbes : "si...". Langage rugueux : "tout
".
Il ne recherche pas forcément l'harmonie.
2. Exprimer des aveux
Termes récurrents : "il faut ; dois-je"
Utilisation de beaucoup de verbes du parler : "dire, exposer".
3. Portrait sincère et vrai
Il veut dire ce qu'il est : refus du déguisement : "je me farderai",
"faire ces aveux ou me déguiser". Il recherche l'authenticité : "comme je la pense".
La nouveauté du projet demande une manière d'écrire tout à fait spécifique.
II. Une écriture originale
1. Problèmes d'expression
Rousseau insiste sur son style :
"sur le style comme sur les choses"
"style inégal et naturel".
Toutes ces manières soulignent bien la manière dont Rousseau doit s'y prendre.
2. Refus de l'écriture arrangée, soignée
On le voit dans l'hypothèse du second paragraphe.
"Je ne me peindrai pas, je me farderai". Il y a un refus de l'uniformité : "divers". Son style sera en fonction de ce qu'il aura à dire :
"tantôt
" marque une alternative.
Ce refus est marqué de manière catégorique.
Il y a une mise en évidence d'un mode d'expression nouveau.
III. Un texte révélateur de l'uvre
1. Diversité des sentiments traduits par la diversité du style
Il est conscient de la richesse de la vie affective. La variété
est marquée par le procédé de style : antithèse : "vil" et "sublime" ; "avoué" et "se déguisé" ; "tout"
et "rien".
Il passe de l'interrogation à l'exclamation. Il y a des gradations de termes : "que de rien, que de misère".
Rousseau cherche le vocabulaire idéal : "révoltant" puis
"indécents", "puérils", "ridicules" pour montrer le terme de
sa pensée au moment où il écrit.
Il y a un souci de justesse, de clarté afin d'être compris.
Il va jusqu'à employer des termes concrets pour des choses abstraites.
Il y a également une variété de tons : interrogation,
conditionnel qui marquent son incertitude. Cela devient un peu plus ferme
"mais
déguiser
" qui à l'auteur de se
convaincre lui-même. Le deuxième paragraphe insiste sur le fait
qu'il ne faut pas un ton uniforme. Il recherche un style varié.
2. Ambiguïtés et contradictions
Style souple, changeant. A chaque fois, il se reprend, cherche un style nouveau. Il dit que cest un portrait, pas un livre.
3. Un moyen de se connaître
Rousseau affirme que le texte permet dapporter des informations sur
lui. Il a peur davoir été trop impudent au point de devenir
ridicule.
On peut penser que cest surtout pour lui-même que Rousseau
écrit, de manière à mieux se connaître.
Conclusion
Cest un texte assez lucide qui montre bien les difficultés que
rencontre Rousseau à lécriture des Confessions : choix
du style ; trouver les faits importants, les rendre clairs ; va-t-il pouvoir
remonter jusquà son enfance ? Le texte montre que dune
certaine manière il a surmonté les difficultés. Il met en place son propre style.
Au cours de ce préambule, il se met moins à nu que dans les
deux autres : Paris et celui définitif des Confessions. On constate
que dans ce préambule qu'il aborde le problème du style qui est
totalement absent du préambule final.
Phrases à retenir :
« C'est ici de mon portrait qu'il s'agit et non pas d'un livre. »
« Il faut faire ces aveux, ou me déguiser »
« Mon style est inégal et naturel »