Plan de la fiche sur
le chapitre 2 de Si c’est un homme de Primo Lévi :
Introduction
Cet extrait de
Si c’est un homme, de Primo Lévi (1919 - 1987), explique comment l'auteur en vient à toucher
le fond. Il a tout perdu, tous les éléments de sa vie avant d'être
interné. Il avait obtenu, par des études de chimie, un statut
social. A partir de ce chapitre, il n'est plus qu'un chiffre. Il lui faut donc
oublier les normes et les valeurs de sa vie "d'avant". Ce sera l'objet
d'une première partie. Nous verrons ensuite comment il réalise
qu'il lui faudra également apprendre et adopter les codes de son rôle dans le camp.
Texte étudié
Qu’on imagine maintenant un homme privé non seulement
des êtres qu’il aime, mais de sa maison, de ses habitudes, de ses
vêtements, de tout enfin, littéralement de tout ce qu’il possède :
ce sera un homme vide, réduit à la souffrance et au besoin, dénué de tout discernement, oublieux de toute dignité : car il n’est pas rare, quand on a tout perdu, de se perdre soi-même ; ce sera un homme dont on pourra décider de la vie ou de la mort le cœur léger, sans aucune considération d’ordre humain, si ce
n’est, tout au plus, le critère d’utilité. On comprendra alors le
double sens du terme « camp d’extermination » et ce que nous
entendons par l’expression « toucher le fond ».
Häftling : j’ai appris que je suis un Häftling. Mon nom est 174517 ; nous avons été baptisés et aussi long
temps que nous vivrons nous porterons cette marque tatouée sur le bras gauche.
L’opération a été assez peu douloureuse et extrêmement
rapide : on nous a fait mettre en rang par ordre alphabétique,
puis on nous a fait défiler un par un devant un habile
fonctionnaire muni d’une sorte de poinçon à aiguille courte. Il
semble bien que ce soit là une véritable initiation : ce n’est qu’« en montrant le numéro » qu’on a droit au pain et à la soupe. Il nous a fallu bien des jours et bon nombre de gifles et
de coups de poing pour nous habituer à montrer rapidement
notre numéro afin de ne pas ralentir les opérations de
distribution des vivres ; il nous a fallu des semaines et des mois
pour en reconnaître le son en allemand. Et pendant plusieurs
jours, lorsqu’un vieux réflexe me pousse à regarder l’heure à
mon poignet, une ironique substitution m’y fait trouver mon
nouveau nom, ce numéro gravé sous la peau en signes bleuâtre
Primo Lévi - Si c’est un homme - Extrait du chapitre 2
Annonce des axes
I. La fin de son identité civile
1. La perte du statut d'homme libre
2. La perte de son statut d'homme
II. Un rite marquant l'entrée dans une nouvelle existence
1. Un rite initiatique symbole d'une nouvelle vie
2. L'apprentissage de normes nouvelles
Commentaire littéraire
I. La fin de son identité civile
1. La perte du statut d'homme libre
Le passage étudié marque le premier contact véritable avec
le camp et son organisation, dont il faut très vite intégrer les
codes. L'auteur se voit retirer son identité, et tous les éléments
qui composent sa vie d'homme libre. Il ne possède plus rien, matériellement
comme immatériellement. C'est tout l'intérêt du premier paragraphe,
dans lequel Primo Lévi annonce qu'il n'a plus rien. Il est ainsi devenu "un
homme privé non seulement des êtres qu'il aime, mais de sa maison,
de ses habitudes, de ses vêtements, de tout enfin, littéralement
de tout ce qu'il possède". Ces éléments de possession
ne forment plus que de lointains souvenirs. Il est passé du statut d'homme
libre à celui d'homme "vide".
2. La perte de son statut d'homme
Le processus que décrit Primo Lévi dans ce passage est celui
de la déshumanisation. En effet, plus que des objets, des titres de
propriété et des personnes chères à son cœur,
il a depuis son arrivée dans le camp perdu tout ce qui fait de lui un
homme parmi les autres dans la société. Il n'a plus de valeurs
humaines. Il se trouve donc "réduit à la souffrance et au
besoin", soit dépendant de ses nouveaux maîtres. Il est "dénué de
tout discernement", c'est-à-dire incapable de juger le bien du
mal. Il est enfin "oublieux de toute dignité", donc sans espoir
que la situation vienne à changer, ni fier de sa condition passée
d'homme libre. Il annonce par conséquent que plus rien de ses attitudes
futures ne pourra être qualifié d'humain. "Extermination" prend
donc un "double sens" : on tue les individus dans leur cœur
et leur âme, avant de les tuer littéralement. Ainsi, regarder
l'heure sur sa montre devient un "vieux réflexe", qui n'a
plus court aujourd'hui. Sur son poignet, il ne peut voir qu'un alignement de
numéros, symbole de sa nouvelle identité.
II. Un rite marquant l'entrée dans une nouvelle existence
1. Un rite initiatique symbole d'une nouvelle vie
La scène décrite dans le passage comporte un acte symbolique : le tatouage d'un numéro, un matricule devenant sa nouvelle identité.
Cet alignement de chiffre remplace désormais son nom, sa profession,
sa personnalité, ses qualités et capacités. Primo Lévi
est mort, remplacé par le Häftling 174517. Le numéro semble
donner un certain nombre d'informations sur la place du prisonnier dans cette
société particulière : on sait s'il est arrivé depuis
longtemps, ainsi que d'où il vient, suivant la date des rafles. Une
hiérarchie se dégage ainsi, puisque les plus anciens, les "petits
numéros" seront beaucoup plus respectés que les nouveaux.
Le tatouage ressemble à un rite initiatique marquant l'intégration à une
nouvelle société ("nous avons été baptisés"),
de laquelle il va falloir apprendre et intégrer rapidement les normes
et les attentes. Passage obligé dans la vie du camp, il marque également
la contrainte : le tatouage est fait à vie : "aussi longtemps que
nous vivrons nous porterons cette marque tatouée sur le bras gauche".
2. L'apprentissage de normes nouvelles
Dans le camp, les prisonniers doivent donc comprendre très vite que
cette nouvelle idée conditionne leur existence. Ils doivent apprendre
les rites et les coutumes de leur nouvelle vie. Ainsi, il est impossible d'obtenir
une ration de nourriture sans montrer son nouveau "nom". En effet, "montrer
le numéro" est un rituel plus que quotidien. On mesure les difficultés
d'oublier les valeurs de l'ancienne vie pour se resocialiser au sein d'un groupe
dans lequel tout est différent. L'apprentissage est donc nécessairement
dur, et ne se déroule pas sans violence : "il nous a fallu bien
des jours et bon nombre de gifles et de coups de poings…". Il faut
de même d'habituer à une langue nouvelle, qu'il vaut mieux rapidement
comprendre, même si rien n’est fait par les autorités pour
en favoriser l'apprentissage. Le seul critère qui est pris en compte
par ces autorités est celui "d'utilité", ce qui veut
dire capable ou non d'effectuer des travaux de force.
Conclusion
Ainsi, Primo Lévi montre dans cet extrait de
Si c’est un homme comment la déportation
force les individus à se déshumaniser, à oublier leurs
réactions d'homme pour devenir des esclaves. Il montre la progressive
perte de sens humain qui touche tous les déportés. Par le rituel
du tatouage, les nazis créent un homme nouveau, corvéable à merci,
jusqu'à la mort. Cet homme n'existe plus au-delà de sa capacité à travailler.
L'auteur nous décrit donc ici par quel procédé, par quel
rituel à la fois banal et sacré les responsables du camp ont pu
recréer la notion d'esclavage. C'est à cet instant de son histoire
que l'auteur déclare "toucher le fond".