Quand Josué rêveur, la tête aux cieux dressée,
Suivi des siens, marchait, et, prophète irrité,
Sonnait de la trompette autour de la cité,
Au premier tour qu'il fit, le roi se mit à rire ;
Au second tour, riant toujours, il lui fit dire :
« Crois-tu donc renverser ma ville avec du vent ? »
A la troisième fois l'arche allait en avant,
Puis les trompettes, puis toute l'armée en marche,
Et les petits enfants venaient cracher sur l'arche,
Et, soufflant dans leur trompe, imitaient le clairon ;
Au quatrième tour, bravant les fils d'Aaron,
Entre les vieux créneaux tout brunis par la rouille,
Les femmes s'asseyaient en filant leur quenouille,
Et se moquaient, jetant des pierres aux hébreux ;
A la cinquième fois, sur ces murs ténébreux,
Aveugles et boiteux vinrent, et leurs huées
Raillaient le noir clairon sonnant sous les nuées
A la sixième fois, sur sa tour de granit
Si haute qu'au sommet l'aigle faisait son nid,
Si dure que l'éclair l'eût en vain foudroyée,
Le roi revint, riant à gorge déployée,
Et cria : « Ces hébreux sont bons musiciens ! »
Autour du roi joyeux riaient tous les anciens
Qui le soir sont assis au temple, et délibèrent.
A la septième fois, les murailles tombèrent.
Le récit : la dramatisation vient de deux éléments : progressivité du rythme, 6 épisodes différents. La longueur de chaque épisode grandit progressivement. Le peuple arrive
progressivement sur les remparts. Le passage au style direct renforce la dramatisation.
On passe de la population la moins responsable à la plus responsable.
La population est de plus en plus nombreuse à venir sur place. Le ton s’aggrave aussi.
II. Mélange des tons
Epopée biblique. Le ton est grave. Les effets de grandissements
typiques de l’épopée se trouvent partout. Grandissement
du prophète héros, évocation de sa colère
(« irrité ») toute sacrée dont la valeur morale
est manifeste. La nomination confère à la signifiance du
mot (Sosué) : fils d’Aaron, hébreux.
L’importance des cuivres : trompettes, clairons : musique
militaire. Connotation d’une puissance guerrière. Il y a
un vers puissant : vers 18. Décor qui est propre à la guerre.
A la valeur guerrière s’ajoute l’antiquité ce
qui rajoute de la valeur.
Le décor fourmille d’indices de dignité.
Le pathétique est lié aux personnages. Insistance sur les
aveugles et les boiteux. Satire reposant sur l’inversion des valeurs.
Les valeurs sacrées sont bafouées. Effet de contraste très
puissant entre les éléments sacrés et la tentative
de dégradation dont ils sont objets. Le rire est assimilé à la
dégradation. Rire et cracher ont la même valeur. Le rôle
du discours direct est ironique : le roi s’adresse au prophète
: « les hébreux sont bons musiciens ». Utilisation
ironique et dégradante du mot « musicien ». Le lecteur
est invité à s’assimiler au camp des justes.
III. Valeur symbolique
« Clairons de la pensée » : jeu sur la famille étymologique
de clairons (clair : lumière) ; philosophie des Lumières.
Le clairon annonce l’ordre de la bataille et c’est l’instrument
qui fait sortir les lumières. Le champ sémantique de la clarté :
parallélisme à travers la métaphore : le recueil est
le clairon dont la fonction est de chasser les ténèbres.
Le parallélisme : France de Napoléon III assimilée à toutes
les villes de la corruption comme Jéricho.
Les citoyens de Jéricho comme les personnels de l’empire bafouent
le sacré et rient (le rire s’oppose au sacré). Le rire
est négatif, c’est un rire dégradant le rieur et sa
cible. Ce sont des huées. Il y a un réseau entre « rire », « cracher », « imiter », « se
moquer », « railler ».
Effet d’antithèse accompagnant le parallélisme. Au
vers 24, il y a une antithèse dans les mots : les anciens ne rient
pas. Pour stigmatiser l’indignité de ce peuple qui se livre à la
perdition. Renoncement à la sagesse qui constitue un contraste avec la noblesse.
Le poète est assimilé au prophète, il s’agit
d’une figure tragique : il est seul, c’est un éclaireur,
il marche devant, il est irrité. Le prophète et le poète
sont des détenteurs de la vérité, médiateurs
entre Dieu et hommes. Les deux annoncent l’avenir. (« sonnait
de la trompette » : annonce de l’avenir). Le poète est
sifflé, hué, méprisé des peuples, victime de
la raillerie. Il est porteur d’une vérité austère : son clairon est noir. Il change le corps du monde. Force d’action
dans la parole du poète comme celle du prophète.