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Souvenir de la nuit du quatre de Victor Hugo :
Biographie de Victor Hugo
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biographie complète de Victor Hugo
Victor Hugo est né à Besançon en 1802 et mort à Paris en 1885.
Ecrivain français, fils d'un général de l'Empire, il est d'abord un poète
classique et monarchique :
Odes, 1822. Meilleure incarnation du romantisme
en poésie, au théâtre, et par ses romans historiques :
Orientales (1829),
Hernani (1830),
Notre-Dame de Paris (1831).
Evolution vers idées libérales et le culte napoléonien.
Après échec de "Burgraves" 1843 et la mort de sa fille Léopoldine, Victor Hugo se consacre à la
politique (pair en France depuis 1845).
Député en 1848. Coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte (Napoléon III) du 2 décembre 1851 > exil à Jersey
et à Guernesey. Poèmes satiriques des
Châtiments (1853),
esprit de révolte, chef de file des républicains.
Recueil lyrique des
Contemplations (1856), épopée de la
Légende des siècles 1859-1883, romans
Les misérables 1862...
Rentré en France en 1870, personnage honoré et officiel.
Victor Hugo
Introduction
Souvenir de la nuit du quatre est extrait du recueil poétique et satirique
Les Châtiments publié en 1853 : 7 livres aux titres
ironiques, au ton polémique : pamphlets. Dénonce politique de Louis-Napoléon Bonaparte (Napoléon III).
Ici, troisième texte du livre deux : épisode qui a suivi le coup d'état.
Insurrection républicaine a été réprimée ; un enfant est mort. Victor Hugo a
participé à la toilette funèbre, dans un quartier populaire. Texte poétique
de cet épisode qui a bouleversé Victor Hugo.
Le texte se présente comme un récit.
Texte du poème Souvenir de la nuit du quatre
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Lu par Olivier Gaiffe - source : http://audiolivres.wordpress.com
Souvenir de la nuit du quatre
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : "Comme il est blanc ! approchez donc la lampe !
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe !"
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer,
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
"Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ! monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ? Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être !
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte ;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! "
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
"Que vais-je devenir à présent, toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République."
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.
Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires,
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.
Jersey, 2 décembre 1852
Annonce des axes
I. Les éléments du récit et les différentes modalités d'expression
A. Le récit (vers 1 à 25)
B. Les paroles de la grand-mère (vers 26 à 46)
C. Le jugement de l'auteur (vers 49 à 60)
II. Le registre pathétique, l'émotion
A. Forte présence du champ lexical du chagrin
B. La simplicité du lieu
C. Le comportement de la grand-mère
D. L'image de l'enfant mort
E. L'image de l'enfant vivant
F. L'expression de l'incompréhension
III. L'aspect argumentatif, la dénonciation
Commentaire littéraire
I. Les éléments du récit et les différentes modalités d'expression
A. Le récit (vers 1 à 25)
Se découpe en plusieurs passages : modalités et contenu différent.
Présentation très concise de la situation, de l'enfant. > créé le choc
initial. Enfance > mort. Construction à l'hémistiche du vers 1.
- v.2 et 3 : Présentation du contexte, du cadre > insiste sur simplicité
du logis. Détail réaliste v. 3 : le rameau béni > fait vivre le décor ;
confirmé par l'armoire en noyer. Jugement moral avec " honnête " >
contribue au pathétique et à la dénonciation.
- v. 4 et 5 : apparaissent personnages : grand-mère, narrateur et amis.
- v. 5 à 11 : enfant. Insiste sur apparence physique, sur la blessure.
Détail réaliste qui rappelle l'enfance de l'enfant : " toupie en buis " vers
8
> rend plus présente la scène
- v. 12 à 15 : présentation de la grand-mère, gestes qui s'intègrent au
récit. Interrompue par deux vers au discours direct > rapporte son
émotion.
- v. 16 et 17 : évocation extérieure : bruit > lutte continue.
- v. 18 : nouvelle interruption du récit : propos du narrateur.
- v. 22 à 25 : Récit reprend avec gestes personnels. Démarche de la grand-mère interrompue par commentaire désabusé du narrateur sur pouvoir de
la mort.
> > Passage vivant, alternance du récit et du discours.
B. Les paroles de la grand-mère (vers 26 à 46)
Passage au discours direct fait varier les modalités de ton et de
temporalité. Interrompu par deux vers de récit ; v. 40 et 41.
- v. 26 et 27 : indignation (vers exclamatif) > verbe " crier " souligne
sa douleur. Force de ce vers tient au fait que le narrateur est pris à
témoin : " monsieur "
- v. 28 à 30 : évocation de l'image de l'enfant vivant.
- Retour au présent, interrogation douloureuse marquée par incompréhension
- v. 33 à 39 : évocation de l'enfant le matin même de sa mort : souvenir
plus récent et plus douloureux. Présence de l'enfant soulignée par " là ".
Dénonce injustice à faire mourir un enfant plutôt que vieux. Accusation plus
précise : " M. Bonaparte " explicitement nommé
- Se livre à interrogation sur son propre avenir, raisons de cette mort.
Absence de justification.
> > deux vers de récit puis suite du discours > réaction du narrateur et ami.
C. Le jugement de l'auteur (vers 49 à 60)
Le narrateur livre sa réponse, qui semble être comme adressée à la
grand-mère.
- v. 49 : insiste sur la nature de la réponse : d'ordre politique
- v. 50 à 57 : Mise en cause violente de Napoléon III. Critique plusieurs
points :
- Goût du luxe
- Politique "sauve famille, église et société" > Rappel de certains titres de livres.
- Idolâtrie
- Vers 58 : conclusion faussement logique "c'est pour cela que "
> semble établir le lien entre comportement de Napoléon III et la mort de l'
enfant.
- 3 derniers vers : généralisation
Texte qui se veut dénonciateur, recours à l'émotion et au pathétique.
II. Le registre pathétique, l'émotion
A. Forte présence du champ lexical du chagrin
Concerne principalement la grand-mère et a une conséquence sur les personnes
présentes.
" pleurs " v. 4, " navre " v. 26, " sanglots " v. 40, " pleurer " v. 41,
tremblant ", " deuil " v. 48. > émotion et bouleversement affectif
des personnes présentes provoqués par la ponctuation (nombreuses phrases
exclamatives et interrogatives).
B. La simplicité du lieu
Emotion naît du contraste entre la simplicité du logis et la dureté de la
scène représentée, à deux reprises au moins :
- v. 2-3 : Accumulation adjectifs > sens très fort, insiste sur le
caractère humble du logis ; milieu modeste, étranger à la violence
- v. 19-20 : Renforce l'image de la vie paisible, bien rangée.
C. Le comportement de la grand-mère
Se comporte avec beaucoup de tendresse et de sollicitude, comme s'il était
malade : v. 14, 31
S'oppose à l'idée de la mort : " cependant " v. 20
D. L'image de l'enfant mort
- v. 1, éléments descriptifs > soulignent horreur d'une mort pitoyable
- Ton neutre d'une constatation > naît de cette économie de moyens à
évoquer la mort
- Ponctuation contribue à créer émotion naissant du silence
- " doigt dans le trou de ses plaies " > mort injuste qui frappe l'innocence v. 10-11
E. L'image de l'enfant vivant
Contraste : passé heureux, prometteur > fait naître l'émotion, la révolte.
v. 8 " toupie en buis ", v.27 à 30 : Grand-mère > souligne l'injustice de
cette mort. Indicateur temporel : " ce matin "
F. L'expression de l'incompréhension
Elle est exprimée sous forme d'allusion ou de façon directe.
- v. 28 à 30, v. 34 à 35 > exclamation soulignant l'injustice et l'incrédulité, souligne le fossé entre le passé heureux et le présent de la mort.
- v. 39 : met en relief injustice qui condamne la jeunesse, laisse en vie la vieillesse.
- v. 30 à 31 : interrogation. Souligné par enjambement, renforce l'indignation.
- v. 42 : situation de la grand-mère ; interpellation du narrateur et des
amis > met en relief la volonté de savoir, soulignée par la répétition de
" expliquer ". Reste sans réponse, sauf celle du poète.
III. L'aspect argumentatif, la dénonciation
Le poète répond avec un engagement politique. La dénonciation
naît du
pathétique qui contribue à mettre l'injustice en avant. Mais le poète
cherche la responsabilité, de manière progressive :
Dans le récit, nous avons " on ", relativement général, ensuite " ils ",
puis " M. Bonaparte ". > Tout d'abord l'idée de responsabilité collective
de la population, ensuite l'idée de dissociation de la grand-mère, puis la
responsabilité directe. Sujet de l'infinitif " tuer ". Il existe un registre
ironique.
Association inattendue entre " prince " et " pauvre ". Par " richesse " :
côté superficiel et luxueux de la vie de Napoléon. Accumulation : effet
accusateur, contraste avec pauvreté de l'enfant.
Effet de décalage entre les biens recherchés et possédés, et le rôle
moralisateur. Rapport faussement logique.
Accusation de l'idolâtrie dont il est le sujet v. 57, fausse logique
v. 58-60. Rapprochement entre caprices du prince et mort de l'enfant. Critique
renforcée par généralisation : " une " > " des ". Précision de l'âge.
Conclusion
Victor Hugo a choisi d'inscrire un débat politique dans un drame intime. Son engagement s'exprime à travers le drame intime. Ton intime, touchant, pathétique pour décrire la pauvreté, la simplicité de la victime indirecte du coup d'Etat (moins excusable, a tué innocent). Façon de toucher le lecteur.