Plan de la fiche sur
Stances à Marquise de Corneille :
Introduction
Stances à Marquise est un poème de Pierre Corneille (1606 - 1684) écrit en 1658. Des "stances" sont un poème lyrique formé de strophes de structure identique.
Marquise, prénom fréquent à l'époque du poème, est Marquise-Thérèse de Gorla, dite Mlle Du Parc, une comédienne de la Troupe de Molière, dont sont amoureux le vieux Corneille et le jeune
Racine. Ce dernier en fera sa maîtresse, ainsi que l'interprète d'
Andromaque, sa célèbre pièce.
Corneille, si l'on en croit ce qu'il dit plutôt cruellement ici à Marquise, n'a certainement pas eu droit à ses faveurs…
Exemple de thématique à l'oral : Dans le poème
Stances à Marquise, Corneille fait-il l'éloge de la femme courtisée ?
Texte du poème Stances à Marquise
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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
Respecter le rythme de la chanson. Ce sont des vers de sept syllabes. Scander avec une pause après la troisième ou la quatrième syllabe, ce qui provoque rapidement l'impression de mélopée voulue par l'auteur.
Stances à Marquise
Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront :
Il saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis.
Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.
Chez cette race nouvelle
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.
Pensez-y, belle Marquise,
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.
Pierre Corneille - 1658
Annonce des axes
I. Une vengeance
1. Une attaque brutale
2. En apparence, des compliments
3. Mais des compliments vite dévalorisés
II. Le thème classique de la fuite du temps
1. Le « Carpe Diem » détourné
2. L'immuabilité de la fuite du temps
III. La célébration de la grandeur de l'écrivain
1. L'immortalité des écrits
2. Le pouvoir de l'écrivain
Commentaire littéraire
I. Une vengeance
1. Une attaque brutale
Dans ce poème, Corneille qui n'a certainement pas eu droit aux faveurs de Marquise, semble vouloir se venger.
L'attaque est brutale dès la première strophe. Le ton est donné : l'ironie domine dans ce texte, et
le poète va faire preuve de mesquineries envers Marquise.
Si le fait énoncé est probable, voire certain, il n'y a aucune galanterie à comparer le visage de celle que l'on désire séduire avec celui d'un vieil homme. La première strophe se termine par une attaque frontale et bien peu cavalière : « Vous ne vaudrez guère mieux ». Les charmes « usés » de la fin de la cinquième strophe reprennent cette image dégradée, peu flatteuse.
A la fin des cinq premières strophes, Corneille décrit sans ménagement à Marquise ce que fera l'âge sur elle, Corneille est ici à l'inverse de toute galanterie.
2. En apparence, des compliments
Le poème Stances à Marquise est pourtant lyrique, comme un traditionnel poème d'amour :
- Présence du « je », du « vous » (pour parler de Marquise) et du « nous »,
- Champ lexical du sentiment très présent : « adore », « méprisez », « yeux […] doux, », « belle Marquise », « courtise ».
Le lyrisme s'exprime aussi dans la musicalité du poème. Notons par exemple l'
allitération en [f] de la deuxième strophe, la structure régulière du poème…
Dans la seconde strophe, le langage métaphorique (« roses »), précieux et périphrastique (« aux plus belles choses ») est adouci.
La femme est enfin glorifiée pour ce qu'elle a : sa beauté, certes passagère, mais bien réelle. Le champ lexical de la beauté est bien présent dans le poème. Le superlatif « plus » vaut ici compliment.
La référence à la rose, typique en poésie pour une métaphore de la beauté et de la fragilité de la femme, fait également pensez à la poésie de Ronsard :
Mignonne, mais surtout
Quand vous serez bien vieille, poème dans lequel Ronsard veut séduire Hélène en lui peignant les conséquences qu'aurait un refus de sa part à ses avances amoureuses.
Corneille alterne les
rimes féminines (mots terminé par « e » ou « es ») et les
rimes masculines. Cette alternance symbolise la complicité entre l'homme et la femme. Là encore, c'est une référence à Ronsard et à la poésie amoureuse traditionnelle.
La beauté féminine est également évoquée avec : « Vous en avez qu'on adore » = des charmes : « on » désigne Corneille. Ici, l'évocation est presque sexuelle.
L'adjectif final « belle Marquise » ne laisse pas de place au doute. Cette qualité de la jeune actrice est indéniable, et fait presque partie de sa dénomination.
3. Mais des compliments vite dévalorisés
Cependant, la beauté de Marquise évoquée avec la « rose » est immédiatement contrebalancée par « faner » et « ridé ». La seconde strophe s'achève sur le front ridé du narrateur, et non sur ces beautés féminines évoquées avec condescendance. « mon front » est une
synecdoque : le front représente Corneille, et le front symbolise l'intelligence montrant ainsi que Corneille est intelligent.
« Les charmes […] qu'on adore » : cette évocation de la beauté est contrebalancée dès la fin de la strophe car Corneille évoque tout de suite la fin de cette beauté « Quand ceux-là seront usés ».
Cette beauté sera d'ailleurs à « sauver » (sixième strophe), incertaine « faire croire ce qu'il me plaira », « des yeux qui me semblent doux », « vous ne passerez pour belle... ».
Les « stances » sont par définition un poème lyrique d’inspiration grave et/ou religieuse.
Ici, Corneille fait preuve de lyrisme, certes, mais aussi de beaucoup d'ironie, et avec peu de gravité / solennité. Ce poème est une sorte de jeu cruel avec Marquise.
L'appellation « Stances » est donc ironique.
II. Le thème classique de la fuite du temps
Ce poème exprime également la crainte de la fuite du temps, sujet cher aux poètes.
1. Le « Carpe Diem » détourné
L'importance du présent : « Le temps […] se plaît à » : ici, la
personnification du temps rappelle l'ennemi de l'homme, le temps qui passe et saccage avec plaisir. « Il vaut bien qu'on le courtise… » insiste sur une situation actuelle : n'attendez pas demain pour me courtiser.
L'impératif « Pensez-y » à la fin du poème est aussi une invitation à profiter du temps présent, mais ici sous la forme d'une menace.
Corneille fait une véritable démonstration avec une stratégie argumentative pour pousser Marquise à céder à ses avances. Il tente de persuader Marquise en jouant sur les sentiments (mépris, peur de vieillir). Il tente de la convaincre avec des arguments construits (de nombreux connecteurs logiques : « si », « comme », « cependant », « mais »…), et il finit par une menace lorsqu'il est à court d'arguments comme nous le verrons par la suite.
2. L'immuabilité de la fuite du temps
Au vers 3, Corneille met en garde Marquise avec l’impératif « Souvenez-vous qu'à mon âge / Vous ne vaudrez guère mieux » : tous deux sont égaux face à la fuite du temps et au vieillissement.
L'immuabilité des choses : il est dans l'ordre cosmique « le cours des planètes » que cette marche vers la dégradation et la mort soit inexorable. Corneille emploie le présent de vérité générale avec « règle ».
Le temps est implacable pour tout le monde, comme le montre le
chiasme : « On m'a vu ce que vous êtes / vous serez ce que je suis ». On peut remarquer que c'est le poète qui se trouve aux deux extrémités de ce chiasme, dans un but d'auto-glorification.
III. La célébration de la grandeur de l'écrivain
1. L'immortalité des écrits
Le retournement de situation : ce qui est beau aujourd'hui sera laid demain, pour la femme.
Dès le vers 13, l'auteur affirme sa supériorité sur Marquise. Cela est annoncé par l'adverbe « Cependant » (« Cependant j'ai quelques charmes ») et l'utilisation du « je ».
Ce qui est charme aujourd'hui pour l'écrivain sera charme toujours, pour l'éternité.
La mort, le temps ne s'acharnent pas sur l'écrivain ; au contraire « dans mille ans » ces charmes « pourraient bien durer encore ». Tout le poème est construit autour de cette idée : la beauté passe mais l'œuvre survit à son auteur, le rendant par cela immortel.
2. Le pouvoir de l'écrivain
Ici, Corneille veut montrer son pouvoir sur Marquise : il peut également rendre ses charmes immortels pour les générations futures (« race nouvelle ») si il les écrit (« Qu'autant que je l'aurai dit »), même si ces charmes n'étaient pas réels « faire croire ».
La menace, d'ailleurs, est à peine voilée, comme le montre l'impératif : « Pensez-y, belle Marquise ». Si Marquise ne courtise pas Corneille, alors celui-ci n'écrira pas sur la beauté de Marquise, et peut-être même la dévalorisera (« faire croire / Ce qu'il me plaira de vous »).
Est-ce une bonne façon pour Corneille d'utiliser ces « charmes » présentés avec une fausse modestie comme « assez éclatants » (
oxymore) ?
Corneille prédit que son succès durera dans le temps, même après sa mort : « Chez cette race nouvelle / Où j'aurai quelque crédit ». L'avenir lui donnera raison…
Dans cette fin de poème, la situation est inversée car c'est Marquise qui doit courtiser Corneille, et non plus Corneille qui doit séduire Marquise.
Ainsi, le dernier mot du poème est « moi » (= Corneille), alors que le poème s'ouvrait sur « Marquise».
Ainsi, plutôt que de célébrer la femme courtisée, Corneille se célèbre lui-même !
Conclusion
Ce poème de
Corneille Stances à Marquise est marqué par une évidente mauvaise foi, que l'on peut justifier par le dépit. Ayant été éconduit, Corneille se venge en mettant en avant ses qualités d'auteur : lui aussi vend ses charmes... Lui aussi mérite les honneurs. Lui aussi désire être courtisé.
La réplique impossible de Marquise à une telle déclaration de guerre de la part de Corneille présentée sous l'apparence d'un poème de séduction montre bien son but : il cherche à blesser comme il l'a été lui-même.
On retrouve ici le langage agressif de Ronsard commençant son sonnet par «
Quand vous serez bien vieille… »