Une Vie

Guy de Maupassant - 1883

Chapitre 10

De "Les grains, qui …" à "plus d'os sous la chair"





Plan de la fiche sur le chapitre 10 de Une Vie de Maupassant :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Au chapitre 10 de Une Vie de Guy de Maupassant, le Comte découvre la liaison de sa femme avec Julien, comme Jeanne l'avait fait au chapitre précédent. Mais à la passivité de l'une va répondre la fureur de l'autre.

    C'est une situation romanesque banale que celle de la découverte de l'adultère, mais elle est traitée ici par Maupassant de manière singulière (aussi bien par rapport aux conventions que par rapport au roman lui-même).

Une Vie - Maupassant



Lecture du texte

    Les grains, qui se succédaient, fouettaient le visage du comte, trempaient ses joues et ses moustaches où l'eau glissait, emplissaient de bruit ses oreilles et son coeur de tumulte.

    Là-bas, devant lui, le val de Vaucotte ouvrait sa gorge profonde. Rien jusque-là qu'une hutte de berger auprès d'un parc à moutons vide. Deux chevaux étaient attachés aux brancards de la maison roulante. -- Que pouvait-on craindre par cette tempête ?

    Dès qu'il les eut aperçus, le comte se coucha contre terre, puis il se traîna sur les mains et sur les genoux, semblable à une sorte de monstre avec son grand corps souillé de boue et sa coiffure en poil de bête. Il rampa jusqu'à la cabane solitaire et se cacha dessous pour n'être point découvert par les fentes des planches.

    Les chevaux, l'ayant vu, s'agitaient. Il coupa lentement leurs brides avec son couteau qu'il tenait ouvert à la main et une bourrasque étant survenue, les animaux s'enfuirent harcelés par la grêle qui cinglait le toit penché de la maison de bois, la faisant trembler sur ses roues.

    Le comte alors, redressé sur les genoux, colla son oeil au bas de la porte, en regardant dedans.

    Il ne bougeait plus ; il semblait attendre. Un temps assez long s'écoula ; et tout à coup il se releva, fangeux de la tête aux pieds. Avec un geste forcené il poussa le verrou qui fermait l'auvent au-dehors, et, saisissant les brancards, il se mit à secouer cette niche comme s'il eût voulu la briser en pièces. Puis soudain, il s'attela, pliant sa haute taille dans un effort désespéré, tirant comme un boeuf, et haletant ; et il entraîna, vers la pente rapide, la maison voyageuse et ceux qu'elle enfermait.

    Ils criaient là-dedans, heurtant la cloison du poing, ne comprenant pas ce qui leur arrivait.

    Lorsqu'il fut en haut de la descente, il lâcha la légère demeure qui se mit à rouler sur la côte inclinée.

    Elle précipitait sa course, emportée follement, allant toujours plus vite, sautant, trébuchant comme une bête, battant la terre de ses brancards.

Un vieux mendiant, blotti dans un fossé, la vit passer d'un élan sur sa tête ; et il entendit des cris affreux poussés dans le coffre de bois.

    Tout à coup elle perdit une roue arrachée d'un heurt, s'abattit sur le flanc et se remit à dévaler comme une boule, comme une maison déracinée dégringolerait du sommet d'un mont. Puis, arrivant au rebord du dernier ravin, elle bondit en décrivant une courbe, et, tombant au fond, s'y creva comme un oeuf.

    Dès qu'elle se fut brisée sur le sol de pierre, le vieux mendiant, qui l'avait vue passer, descendit à petits pas à travers les ronces ; et, mû par une prudence de paysan, n'osant approcher du coffre éventré, il alla jusqu'à la ferme voisine annoncer l'accident.

    On accourut ; on souleva les débris ; on aperçut deux corps. Ils étaient meurtris, broyés, saignants. L'homme avait le front ouvert et toute la face écrasée. La mâchoire de la femme pendait, détachée dans un choc ; et leurs membres cassés étaient mous comme s'il n'y avait plus d'os sous la chair.


Extrait du chapitre 10 - Une Vie - Guy de Maupassant




Annonce des axes

I. Le traitement particulier d'une scène conventionnelle
II. La déshumanisation



Commentaire littéraire

I. Le traitement particulier d'une scène conventionnelle

 - Pour cette scène de la découverte de l'adultère, qu'il a traité par exemple dans Bel-Ami de manière classique, Maupassant utilise ici une approche plus originale.
 - Les points de vue : au début du texte, point de vue du Comte (féminisation du spectacle de la nature) et discours indirect libre ("Que pouvait-on craindre par cette tempête ?") puis point de vue externe, le lecteur assiste à une scène racontée par un témoin extérieur ; si l'on ne connaissait pas le livre, on pourrait s'interroger sur les gestes et les mouvements.
 - Le Comte est lui-même spectateur avant d'être acteur ("aperçu", "colla son œil", "en regardant").
 - Les protagonistes sont effacés (le Comte métamorphosé et les amants rendus anonymes : "ils", "leur" et deux termes génériques "l'homme" et "la femme"). La scène d'adultère normalement centrée sur la rencontre physique est ici occultée et le spectacle final est celui de corps détruits ("meurtris", "saignant" dernier paragraphe).


II. La déshumanisation

 - le Comte est vu tel un animal furieux : comparaisons ("semblable à une sorte de monstre", "comme un bœuf"), verbes de mouvement qui l'assimilent à une bête près du sol ("se coucha", "se traîna", "rampa") + champ lexical de l'animalité ("en poil de bête", "fangeux", "forcené", "s'attela", "haletant").
 - Négation des personnages en tant qu'êtres humains individualisés (utilisation des pronoms personnels et pronoms indéfinis pour désigner ceux qui interviennent après l'accident). Seul le vieux mendiant a quelque consistance mais il est un personnage très secondaire et presque en trop comme on lui dira par la suite.
 - Si les êtres humains sont absents, c'est la hutte qui occupe finalement le centre de la scène : "hutte", "cabane solitaire", "maison de bois", "niche", "maison voyageuse". De nombreuses expressions servent à qualifier l'objet en lui donnant des connotations d'intimité. De plus, dans la 2ème partie du texte, elle devient le sujet de nombreux verbes de mouvements, le rythme accéléré des phrases traduisant sa course folle. Elle est véritablement métonymique du couple qui s'y trouve, exactement comme au début où le Comte s'en approchait ("n'être point découvert", "la faisant trembler"). Elle prend même une apparence animale ("allant", "sautant", "trébuchant comme une bête"), on a l'impression en particulier à cause de la répétition du pronom "elle", d'une personnification.





Conclusion

    Cet extrait de Une Vie est à rapprocher de la scène au chapitre 10 où Jeanne découvre la même trahison. Mais la réaction de Jeanne illustrera une fois encore la passivité du personnage. Par ailleurs la violence de la scène est évoquée lors des brutalités du prêtre sur le chien.

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Merci à Fred pour cette analyse sur le chapitre 10 de Une Vie de Maupassant