Plan de la fiche sur
le chapitre 1 de Le Ventre de Paris de Emile Zola :
Introduction
Cet extrait de
Le Ventre de Paris, de
Emile Zola, est situé au terme des quatre premières heures que Florent vient de passer dans les Halles à les parcourir en tous sens, dans l'espoir de retrouver son frère. Exténué par son voyage et par la découverte de ce lieu si nouveau pour lui, il atteint ici au paroxysme des sensations et des sentiments que le marché couvert peut procurer : l'impression de grandeur se mêle étroitement à celle de la douleur.
Texte étudié
Il leva une dernière fois les yeux, il regarda les Halles. Elles flambaient dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au fond, trouant la masse des pavillons d’un portique de lumière ; et, battant la nappe des toitures, une pluie ardente tombait. L’énorme charpente de fonte se noyait, bleuissait, n’était plus qu’un profil sombre sur les flammes d’incendie du levant. En haut, une vitre s’allumait, une goutte de clarté roulait jusqu’aux gouttières, le long de la pente des larges plaques de zinc. Ce fut alors une cité tumultueuse dans une poussière d’or volante. Le réveil avait grandi, du ronflement des maraîchers, couchés sous leurs limousines, au roulement plus vif des arrivages. Maintenant, la ville entière repliait ses grilles ; les carreaux bourdonnaient, les pavillons grondaient ; toutes les voix donnaient, et l’on eût dit l’épanouissement magistral de cette phrase que Florent, depuis quatre heures du matin, entendait se traîner et se grossir dans l’ombre. A droite, à gauche, de tous côtés, des glapissements de criée mettaient des notes aiguës de petite flûte, au milieu des basses sourdes de la foule. C’était la marée, c’étaient les beurres, c’était la volaille, c’était la viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrière elles le murmure des marchés qui s’ouvraient. Autour de lui, le soleil enflammait les légumes. Il ne reconnaissait plus l’aquarelle tendre des pâleurs de l’aube. Les cœurs élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes, les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents, dans ce brasier triomphal. A sa gauche, des tombereaux de choux s’éboulaient encore. Il tourna les yeux, il vit, au loin, des camions qui débouchaient toujours de la rue Turbigo. La mer continuait à monter. Il l’avait sentie à ses chevilles, puis à son ventre ; elle menaçait, à cette heure, de passer par-dessus sa tête. Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l’estomac écrasé par tout ce qu’il avait vu, devinant de nouvelles et incessantes profondeurs de nourriture, il demanda grâce, et une douleur folle le prit, de mourir ainsi de faim, dans Paris gorgé, dans ce réveil fulgurant des Halles. De grosses larmes chaudes jaillirent de ses yeux.
Emile Zola - Le Ventre de Paris - Extrait du chapitre 1
Annonce des axes
I. Un personnage à bout de forces
II. Le paroxysme des sensations
III. Un lieu ambivalent
Commentaire littéraire
I. Un personnage à bout de forces
L'indication temporelle initiale "une dernière fois" suggère le caractère définitif de l'action entreprise par Florent et confère à celui-ci une dimension tragique. Celle-ci fait écho au sentiment de solitude et déréliction du personnage qui s'apprête à mourir, "sur le pavé, comme un chien" (cf. le paragraphe précédent).
La faiblesse du personnage est à l'origine de cette attente passive. Elle est sensible par contraste lorsque, dans la suite du passage, le narrateur se livre à un nouveau compte-rendu de l'aspect multiple et colossal des Halles. La puissance et le foisonnement du lieu sont lisibles à travers les termes relatifs à la grandeur, à la force : "grand rayon", "énorme charpente", "épanouissement magistral" ; ainsi que par les marques de l'abondance (adjectifs et pronoms indéfinis, les pluriels, les phrases amplifiées, les accumulations : " C'était la marée, c'étaient les beurres, c'était la volaille ") et les indications spatiales qui invitent le lecteur à regarder partout à la fois.
La description détaillée de tout ce que voit Florent permet de comprendre l'impression de saturation qu'il ressent : "Aveuglé, noyé, les oreilles sonnantes, l'estomac écrasé [...]". L'état physique a passé un seuil capital et Florent semble à l'article de la mort, ce qui crée un effet de bouclage avec le début du passage. Les trois premiers termes utilisés pour décrire cet état sont liés aux impressions enregistrées et en signalent le degré supérieur : "Aveuglé" fait écho au thème de la lumière, "noyé", à l'image de la "mer [qui] mont[e]" et les "oreilles sonnantes" au bruit produit par les Halles et dont la description rend compte.
II. Le paroxysme des sensations
La lumière est abondante, ce que le champ lexical du feu et de l'incendie suggère. Source d'éblouissement, elle est aussi source de douleur que les oxymores, associant eau et feu - "pluie ardente" / "goutte de clarté" - visent à rendre et que le thème de l'incandescence (sur les légumes) évoque aussi. La présence de l'eau est le signe d'une projection fantasmatique délirante : elle traduit et prépare l'impression de submersion ressentie par Florent : "La mer continuait à monter." La suggestion d'une durée rend compte d'une gradation des impressions.
Celles provoquées par la lumière sont relayées, un temps, par celles du bruit, selon un rapport de causalité : "Ce fut alors une cité tumultueuse [...]". Le tumulte est suggéré par une série de termes précis relatifs à des bruits divers : du "ronflement" aux "glapissements de criée", en passant par des "volées de cloche", d'intensité plus ou moins grande - "notes aiguës" "basses sourdes", autant de termes qui expliquent pourquoi Florent a les "oreilles sonnantes". Les bruits semblent émaner du lieu lui-même, ce qui contribue à l'animer, à en faire un monstre qui gronde, à le doter d'une volonté propre : "la ville [...] repliait ses grilles". Les indications relatives à la durée et à la transformation du lieu "depuis quatre heures du matin" insistent sur l'étrangeté des Halles et soulignent la fascination que continue d'éprouver malgré tout Florent.
III. Un lieu ambivalent
Les images créées par les termes relatifs au bruit et à la lumière insistent sur le caractère sublime du lieu : du "portique de lumière" au "brasier triomphal", le texte souligne la beauté grandiose du soleil levant dans le marché couvert. Il témoigne à nouveau de la profondeur des lieux, de leur volume et fait ressortir les couleurs. Ces indications révèlent derrière le regard de Florent celui du narrateur qui, comme Claude Lantier, est attentif à "l'aquarelle tendre des pâleurs de l'aube", à la "gamme du vert" et transfigure complètement le lieu. De même, la métaphore des instruments de musique et de la symphonie contribue à cette transfiguration.
Toutefois l'harmonie n'est pas parfaite et certains termes détonnant font coexister la fascination et l'horreur. Les carottes qui "saignaient" par exemple inscrivent dans le tableau l'image du sang. Celle-ci rentre en résonance, après coup, avec de nombreux passages dans le roman où le sang coule (la préparation du boudin, l'abattage des volailles, celui de pigeons, scènes programmatiques du sacrifice de Florent). Le verbe fait alors écho dans ce passage au thème du supplice de Tantale qui conduit Florent à "mourir ainsi de faim dans Paris gorgé". Ce statut de victime sacrificielle est aussi suggéré dans l'expression "il demanda grâce" qui place implicitement Florent en position de coupable.
Ce texte vient clore la découverte du quartier dans son ensemble. Il reprend les thèmes majeurs du chapitre en insistant sur l'ambivalence des Halles. Le lieu fascine et peut tuer, c'est un lieu riche où l'on peut mourir de faim, un lieu grandiose qui menace d'engloutir. Dans le passage suivant, Florent sera "repêché" par Gavard et conduit à bon port mais il a vécu de manière anticipée le sort tragique que lui réserve le quartier.
Conclusion