L'auteur du texte La Voix que nous allons étudier, Robert
Desnos (1900 - 1945), aurait pu faire partie des hommes auxquels Louis Aragon dédie son poème La Rose et le Réséda : en effet, arrêté en tant que résistant pendant la Guerre 1939-45, il paya du prix de sa vie son engagement dans les forces de résistances.
Le texte La Voix nous propose d'ailleurs un appel vibrant à cette résistance, en jouant sur le caractère intimiste et personnel du message lancé à cette époque là aux français.
Texte du poème La Voix
La Voix
Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée
Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à nous.
Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau
Elle ne parle que d'été et de printemps.
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.
Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.
Et vous ? Ne l'entendez-vous pas ?
Elle dit "La peine sera de courte durée"
Elle dit "La belle saison est proche."
Ne l'entendez-vous pas ?
Robert Desnos - Contrée (1936-1940)
Lecture audio du poème
Annonce des axes
I. Une voix énigmatique, au pouvoir mystérieux
1. Une présentation en forme d'énigme
2. Singularité et solitude
3. Une force cachée
II. L'appel à la résistance et à l'espoir
1. Dans le contexte de la guerre, cette voix = celle de la résistance
2. Avant tout, la voix de l'espoir
Commentaire littéraire
I. Une voix énigmatique, au pouvoir mystérieux
1. Une présentation en forme d'énigme
Avec son article "La", le titre nous laisse supposer que la voix dont il est question ici est bien connue de tous, comme une évidence. Cependant, à y regarder de plus près, le poète entretient habilement le mystère sur l'identité de cette voix :
Effet de retardement provoqué par l'anaphore dans la première strophe : le verbe principal n'intervient qu'au vers 4 = effet d'attente pour le lecteur
Article indéfini entretenant le mystère : "une"
Les trois premières strophes se présentent comme un dévoilement progressif sous forme d'énigme :
- Strophe 1 : comparaison avec un tambour
- Strophe 2 : assimilation de la voix à un phénomène surnaturel d'outre-tombe vers 5
- Strophe 3 : définition réductrice qui semble revenir à quelque chose de plus commun = tournure restrictive "Ce n'est qu'une voix humaine", sans pour autant être plus précise : l'article reste indéfini.
-> Le poète s'arrange ici pour garder à la voix son caractère énigmatique et mystérieux, et ceci d'autant plus qu'il met l'accent sur la singularité et la solitude de cette voix.
2. Singularité et solitude
De manière assez systématique, l'auteur s'emploie à définir toujours cette voix en opposition avec ce qui l'entoure :
Dans la première strophe, le premier mot "une voix" est de façon très symbolique éloigné du dernier "nous" : la voix et son destinataire sont ici séparés, comme l'indique d'ailleurs le terme "loin" à la rime, vers 1 : l'existence de la voix est inséparable de son éloignement.
De plus, cette voix est présentée comme un murmure "elle ne fait plus tinter les oreilles" vers 2, elle est "voilée" vers 3
Figures de l'opposition :
- "pourtant" vers 4 met en valeur le fait que, malgré l'éloignement, la voix est claire : d'un point de vue sonore "distinctement" répond à "ne plus tinter" vers 3
- "Bien que" vers 5 met en valeur la contradiction entre la mort d'où semble sortir cette voix, et le message de vie qu'elle véhicule : citer
- Les sonorités soulignent également ces oppositions, avec d'un côté, des assonances très douces, en [oi] et [in], dans les vers 1 et 2, et d'un autre, la dureté des dentales aux vers 3 et 4.
Au total, la voix nous est présentée comme singulière, solitaire, ce qui renforce encore plus son caractère mystérieux. Celui est d'ailleurs renforcé par la force intrinsèque (interne) que semble posséder la voix.
3. Une force cachée
Nous avons vu précédemment que la voix semble très ténue ("comme un tambour, voilée"). Au reste, l'allitération douce en 'v' des vers 3 et 4 semble mimer ce caractère très intime : "Une voix comme un tambour, voilée / Parvient".
Cependant, ceci n'est pas forcément synonyme de faiblesse :
- La voix apparaît agissante : sur les 10 fois où sort le pronom personnel de la 3è personne, 7 fois ce pronom est sujet ("elle", "l'")
- Rythme ternaire des actions vers 6, 7 et 8 : renforce
l'idée de plénitude et de force tranquille (= anaphore)
- L'enjambement des vers 9 et 10 met en valeur la longueur de la traversée effectuée par cette voix : "[…] une voix humaine / Qui traverse" = cela lui donne un caractère un peu héroïque, d'autant plus qu'elle affronte les "fracas" et "l'écroulement" (allitération en 'r' des vers 10 et 11)
- A chaque fois, la voix est évoquée au singulier, ce qui lui donne une force sacrée que n'ont pas les "bavardages" à la rime vers 11 : la voix tire sa force de sa capacité à rester une, à ne pas se disperser.
Nous venons donc de voir que la voix présentée ici par Desnos est évoquée de façon très allusive et mystérieuse. Reste donc à comprendre ce qu'elle représente, puisque le titre du poème nous la présente comme une évidence.
II. L'appel à la résistance et à l'espoir
1. Dans le contexte de la guerre, cette voix = celle de la résistance
Rappeler le contexte d'écriture présenté en paratexte (reprendre les notes sur Desnos, sur le sujet du DNS)
Champ lexical de la guerre à repérer (pas extrêmement développé)
Dès lors, la voix évoquée ici est sans doute celle de la Résistance, d'autant plus que l'auteur se situe très clairement par rapport à elle : "Je l'écoute" vers 9 = on connaît le rôle de résistant de Desnos, et dès lors l'hésitation n'est plus permise.
Peut-on aller jusqu'à parler de la voix lointaine du Général De Gaulle
parlant aux Français depuis Londres ? Cette interprétation est possible.
Peut-être
cependant qu'il ne faut pas trop chercher à identifier précisément l'origine
de cette voix, puisque le texte ne se dévoile pas à ce sujet : "Ce n'est
qu'une voix humaine" : nous n'en saurons pas plus.
2. Avant tout, la voix de l'espoir
Si cette voix est bien celle de la Résistance comme on peut raisonnablement le supposer, le message mis en avant ici est avant tout celui de l'espoir :
Image quasi-christique de la résurrection au vers 5
Champ lexical du bonheur
Métaphore de la belle saison promettant le retour de l'espoir vers 6 et 14
L'allitération en 'L' dans la deuxième strophe : consonne liquide qui donne de la fluidité et de l'aisance à l'évocation du bonheur.
En même temps, ce message se veut d'une simplicité enfantine, comme s'il était une évidence :
Tournure restrictive : "Elle ne parle que d'été et de printemps" vers 6
Grammaire très simple des phrases au style direct, vers 13 et 14 : sujet + être + attribut
Objectif : délivrer un message très clair qui se veut aussi un appel direct au lecteur :
"vous" reprit 3 fois dans la dernière strophe est mis en position de destinataire direct
Interrogations ouvertes aux vers 12 et 15 à répétée 2 fois
Côté lancinant de cet appel souligné par les anaphores qui martèlent l'évidence de la voix au lecteur pour la lui rendre plus perceptible : "Une voix", "Elle"
Conclusion
Tout en mettant en valeur l'aspect très intimiste de la voix, Desnos délivre
ici un message très fort d'appel à la Résistance. La force et la beauté de ce
texte résident sans doute dans ce subtil mélange entre douceur et conviction,
et la voix de Desnos prend pour nous un aspect d'autant plus fort et pathétique
que l'on sait comment il paya très cher cet acte de courage.