Plan de la fiche sur
Continuation du discours des misères de ce temps - Pierre de Ronsard :
Présentation de Chrétien de Troyes
Nous connaissons très peu de choses de la vie de Chrétien de Troyes, écrivain
du Moyen Âge né vers 1135. Il entre dans la vie littéraire
en traduisant le poète latin Ovide. Le romancier jouera un grand rôle
dans la diffusion de l’esprit courtois attaché à la cour
de Marie de Champagne, qui lui commanda plusieurs œuvres, notamment le
chevalier à la charrette. Il mettra en scène les chevaliers de
la table ronde à travers plusieurs romans dont
Perceval ou le conte du Graal qu’il laisse inachevé à sa mort vers 1185.
Introduction
Yvain ou le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, est un récit
fantastique. Devant la cour du Roi Arthur, le chevalier Calogrenant raconte
son échec dans une aventure merveilleuse. Yvain va alors décider
de tenter cette quête à sa suite.
Cet extrait raconte l’histoire d’Yvain engagé dans la forêt
de Brocéliande dans laquelle il rencontre un vilain (un paysan du Moyen Âge)
avec lequel il engage un dialogue.
Problématique :
En quoi cet extrait de
Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de
Troyes symbolise le passage du réel au merveilleux dans la quête
du chevalier à travers la découverte de la forêt de Brocéliande ?
Texte étudié
« Et tu me redevroies dire
Quies hom tu es, et que tu quiers
- Je sui, fet il, uns chevaliers
Qui quier ce que trover ne puis ;
Assez ai quis, et rien ne truis.
« - Mais toi à ton tour, dis moi donc quelle espèce d’homme
tu es et ce que tu cherches.
- Je suis, comme tu vois, un chevalier qui cherche sans pouvoir trouver ; ma
quête a été longue et elle est restée vaine.
- Et que voudrais-tu trouver ?
- L’aventure, pour éprouver ma vaillance et mon courage. Je te
demande donc et te prie instamment de m’indiquer, si tu en connais, quelque
aventure et quelque prodige.
- Pour cela, dit-il, il faudra t’en passer : je ne connais rien en fait
d’aventure et jamais je n’en n’ai entendu parler. Mais si
tu voulais aller près d’ici jusqu’à une fontaine,
tu n’en reviendrais pas sans peine, à moins de lui rendre son
dû. A deux pas tu trouveras tout de suite un sentier qui t’y mènera.
Va tout droit devant toi, si tu ne veux pas gaspiller tes pas car tu pourrais
vite t’égarer : il ne manque pas d’autres chemins.
Tu verras la fontaine qui bouillonne, bien qu’elle soit plus froide que
le marbre, et l’ombrage du plus bel arbre que Nature ait pu créer.
En tout temps persiste son feuillage car nul hiver ne l’en peut priver.
Il y pend un bassin de fer, au bout d’une chaîne si longue qu’elle
descend jusque dans la fontaine. Près de la fontaine tu trouveras un
bloc de pierre, de quel aspect tu le verras ; je ne saurais te le décrire,
car jamais je n’en vis de tel ; et, de l’autre côté,
une chapelle, petite mais très belle. Si avec le bassin tu veux prendre
de l’eau et la répandre sur la pierre, alors tu verras une telle
tempête que dans ce bois ne restera nulle bête, chevreuil ni cerf,
ni daim ni sanglier, même les oiseaux s’en échapperont ;
car tu verras tomber la foudre, les arbres se briser, la pluie s’abattre,
mêlée de tonnerre et d’éclairs, avec une telle violence
que, si tu peux y échapper sans grands dommage ni peine, tu auras meilleures
chance que nul chevalier qui y soit jamais allé. »
Je quittai le vilain dès qu'il m'eut indiqué le chemin. Peut-être était-il
tierce passée et l'on pouvait approcher de midi lorsque j'aperçus
l'arbre et la fontaine. Je sais bien, quant à l'arbre, que c'était
le plus beau pin qui jamais eût grandi sur terre. À mon avis,
jamais il n’eût plu assez fort pour qu'une seule goutte d'eau le
traversât, mais dessus glissait la pluie tout entière. À l'arbre
je vis pendre le bassin, il était de l'or le plus fin qui ait encore
jamais été à vendre en nulle foire. Quant à la
fontaine, vous pouvez m'en croire, elle bouillonnait comme de l'eau chaude.
La pierre était d'une seule émeraude, évidée comme
un vase, soutenue par quatre rubis plus flamboyants et plus vermeils que n'est
le matin au soleil quand il paraît à l'orient ; sur ma conscience,
je ne vous mens pas d'un seul mot. Je décidai de voir le prodige de
la tempête et de l'orage et je fis là une folie : j'y aurais renoncé volontiers,
si j'avais pu, dès l'instant même où, avec l'eau du bassin,
j'eus arrosé la pierre creusée. Mais j'en versai trop, je le
crains ; car alors je vis dans le ciel de telles déchirures que de plus
de quatorze points les éclairs me frappaient les yeux et les nuées,
tout pêle-mêle, jetaient pluie, neige et grêle. La tempête était
si terrible et si violente que cent fois je crus être tué par
la foudre qui tombait autour de moi et par les arbres qui se brisaient.
Extrait de Yvain ou le chevalier au lion - Chrétien de Troyes (1180)
Annonce des axes
Tout d’abord nous étudierons tous les éléments propres
au registre du récit fantastique. Ensuite nous verrons comment ce texte
est exemplaire dans la description du héros chevaleresque.
I. Un récit fantastique
II. Texte exemplaire dans la description du héros chevaleresque
Commentaire littéraire
I. Un récit fantastique
- Le registre fantastique se situe à mi-chemin entre le naturel et le
surnaturel, entre le réel et l’imaginaire.
- Effet d’attente : Le chevalier cherche à tout prix pour éprouver
son courage « quelque aventure et quelque prodige. » Le prodige (c’est
la tempête) est un événement surprenant auquel on attribue
un caractère magique, donc tout est réuni pour nous laisser entrevoir
le domaine du merveilleux, du magique et du fantastique.
- « Tu verras la fontaine qui bouillonne, bien qu’elle soit plus
froide que le marbre ». Le caractère fantastique et irréaliste
des évènements est ici mis en lumière par cette contradiction,
cette antithèse. La logique voudrait que l’eau qui bouillonne soit
chaude, mais elle est froide ; ce qui ajoute encore au côté mystérieux.
Le champ lexical de la froideur, rend la scène menaçante.
- La grosse pierre : émeraude (= vert, couleur froide) sur des rubis
(= rouge, couleur chaude) utilisation de deux comparaisons indiquant l’opposition
des couleur. « La pierre était d'une seule émeraude, évidée
comme un vase, soutenue par quatre rubis plus flamboyants et plus vermeils que
n'est le matin au soleil quand il paraît à l'orient ».
La métaphore appuie le côté à la fois resplendissant
et merveilleux de la composition de la fontaine.
- Les hyperboles utilisées sont autant de manières d’impressionner
et de marquer le lecteur pour rendre la scène plus grandiose.
« l’ombrage du plus bel arbre que Nature ait pu créer »
« d’une chaîne si longue »
« jamais je n’en vis de tel »
« tu verras une telle tempête »
« avec une telle violence »
« le plus beau pin qui jamais eût grandi sur terre »
« il était de l'or le plus fin qui ait encore jamais été à vendre
en nulle foire »
« soutenue par quatre rubis plus flamboyants et plus vermeils que n'est le matin
au soleil »
- Le prodige s’accomplit : Les puissances telluriques (de la nature) se
déchaînent sans raison apparente.
II. Texte exemplaire dans la description du héros chevaleresque
- Les deux premières phrases du texte nous présentent le héros : « un chevalier qui cherche sans pouvoir trouver » « L’aventure,
pour éprouver ma vaillance et mon courage. »
Le chevalier est un héros dépassé par un destin qui l’appelle
dans une quête infinie et inachevée et qui n’a pas d’issue.
Ce thème est typique du roman de chevalerie. Le héros est en perpétuel
dépassement face à des forces qu’il ne contrôle pas.
- La splendeur de la quête du héros est renforcée par la
présence du vilain (un paysan du Moyen Âge) qui est a priori tout
le contraire (vilain = antithèse du héros). Le vilain était
au Moyen-âge un paysan et qui a donné plus tard le terme péjoratif
que l’on connaît. La bravoure, la vaillance et le courage dont témoigne
Yvain contrastent violemment avec la pauvreté de la vie du commun des
hommes qui se contentent de son propre sort.
- Le chevalier, pour éprouver sa force, transgresse la loi pour affronter
le danger. Recherche perpétuelle de ses limites pour tester sa grandeur.
Il brave le danger malgré les risques : « Je décidai de voir
le prodige de la tempête et de l'orage et je fis là une folie ».
La raison pour laquelle il déclenche la tempête est expliquée
au début du texte quand il dit « L’aventure, pour éprouver
ma vaillance et mon courage. »
Conclusion
Le chevalier décrit ici par Chrétien de Troyes
est ce héros qui va au devant du danger, même si sa vie est en
péril, uniquement pour la noblesse des actions héroïques.
La fontaine de la forêt de Brocéliande est la représentation
d’un lieu magique car elle représente l'union des contraires à la
fois merveilleux et périlleux : cette très grande beauté et
harmonie cache le déchaînement de la tempête et la mort.
Cet extrait de
Yvain ou le chevalier au lion annonce la découverte par le chevalier de ce monde merveilleux.