CAMILLE
Oui, nous nous aimons, Perdican ; laisse-moi le sentir sur ton
coeur. Ce Dieu qui nous regarde ne s'en offensera pas ; il veut bien
que je t'aime ; il y a quinze ans qu'il le sait.
PERDICAN
Chère créature, tu es à moi !
Il l'embrasse ; on entend un grand cri derrière l'autel.
CAMILLE
C'est la voix de ma soeur de lait.
PERDICAN
Comment est-elle ici ? Je l'avais laissée dans l'escalier, lorsque
tu m'as fait rappeler. Il faut donc qu'elle m'ait suivi sans que je
m'en sois aperçu.
CAMILLE
Entrons dans cette galerie ; c'est là qu'on a crié.
PERDICAN
Je ne sais ce que j'éprouve ; il me semblé que mes mains
sont couvertes de sang.
CAMILLE
La pauvre enfant nous a sans doute épiés ; elle s'est
encore évanouie ; viens, portons-lui secours ; hélas tout
cela est cruel.
PERDICAN
Non, en vérité, je n'entrerai pas ; je sens un froid mortel
qui me paralyse. Vas-y, Camille, et tâche de la ramener. (Camille
sort.) Je vous en supplie, mon Dieu ! ne faites pas de moi
un meurtrier ! Vous voyez ce qui se passe ; nous sommes deux enfants
insensés,
et nous avons joué avec la vie et la mort ; mais notre cœur
est pur ; ne tuez pas Rosette, Dieu juste ! Je lui trouverai un mari,
je réparerai ma faute ; elle est jeune, elle sera riche, elle
sera heureuse ; ne faites pas cela, à Dieu ! vous pouvez bénir
encore quatre de vos enfants. Eh bien ! Camille, qu'y a-t-il ?
Camille rentre.
CAMILLE
Elle est morte. Adieu, Perdican !
On ne Badine pas avec l’Amour - Alfred de Musset
- L’image de l’union et du bonheur :
Cette union est marqué par l’emploi du pronom personnel « nous » et
l’emploi du tutoiement qui souligne une certaine intimité ainsi
que l’apostrophe « chère créature » traduisant
la complicité.
L’encadrement de la tirade de Perdican « nous nous aimons » et
la reprise en écho de Camille montre la reconnaissance de leur amour.
L’amour est montré ici de manière méliorative par
des métaphores (« perle si rare » / « inestimable
joyaux »)
avec le caractère précieux des bijoux. Mais aussi l’adverbe
d’intensité « si ».
On retrouve leur union avec une nature fertile (« vert/douce/fleuris »)
où dominent les couleurs froides.
- Le bonheur détruit :
On a un effet de rupture et d’isolement des personnages par l’énonciation
(« nous » de Camille et singulier de Perdican).
La présence constante de la troisième personne (« sœur
de lait » / « elle ») est la preuve de l’éclatement
de la bulle de bonheur.
Rupture également au niveau des couleurs puisque les couleurs de la
quiétude (bleu et vert) sont remplacées par le rouge symbole
de violence et de douleur.
Enfin le bonheur initial s’oppose aussi dans la dernière réplique
de Camille avec une double référence à la mort (« elle
est morte, Adieu »).
L’unité de l’ultime scène :
- La forme des répliques et des phrases :
On retrouve dans ce passage deux tirades de Perdican, chacune composée
de phrases brèves soulignant son émotion.
- Les rapprochements lexicaux et les temps verbaux :
Dans les deux tirades de Perdican, plusieurs termes se répondent :
(« enfant et jouet » / « joué »)
Les apostrophes qui ont trait à la religion traduisant la foi de Perdican.
- Le tragique des rapprochements :
Dans la première partie, il n’est fait que mention de Perdican
et Camille, l’emploi du passé composé renvoie aux anciennes
erreurs et le présent renvoie à l’amour « nous
nous aimons » avec donc une nouvelle situation pleine d’espoir
de la vie à deux.
En revanche dans la seconde partie, il y a une dominance de l’impératif
et du futur qui traduit la supplication. Puis la présence constante
de Rosette avec l’impossibilité définitive du bonheur.
Une illustration du titre de la pièce : (Proverbe donc connotation morale)
- Un vocabulaire explicite :
Avec le champ lexical de l’amour et de la triple occurrence de « nous
nous aimons » soulignant le thème de l’amour.
La reprise des mots «enfants/jouet » évoque la notion de
badinage définie comme un jeu léger.
- La morale :
Le lexique de la morale est présent avec la vanité et la folie
qui font apparaître le thème principal de la dénonciation : l’orgueil.
L’exclamation de la première ligne juxtaposé aux expressions « veines
paroles/ misérables folies » mettent en valeur le langage et l’associe au mal.
La dénonciation morale est très nettement liée au thème de l’amour.
Le sens du proverbe est donc clair : Rosette est victime d’un jeu amoureux
et d’un badinage léger et cruel.
Le dénouement justifie le titre « il ne faut pas badiner avec l’amour ».