Dès les premières lignes de ce poème, le lecteur est plongé hors du temps et de l'espace, perdu, déjà dans la révolte de Rimbaud, sans repère et totalement déboussolé, l'intrusion est brutale :
- "Bien après les jours et les saisons, et les êtres et les pays" qui débute le poème nous renvoie à la fin du monde, un chaos, un cataclysme. Indications spatio-temporelles totalement imprécises : temps présent, participe passé et gérondif, la rareté des verbes et leur conjugaison variable rend le poème difficile à situer dans le temps. Le décor totalement irréaliste et incompréhensible le rend également insituable.
=> poésie de roulement sans fin, sans aucun ancrage
temporel et spatial possible.
- Démesure du temps et de l'espace, impression de chaos illimité et recommencement éternel traduit par l'allitération en [r], tout au long du poème, son de roulement, en écho au titre "barbare".
- De plus, l'emploi du présent du gérondif, laisse entendre un perpétuel mouvement, renforcé par les sifflantes [s] et [v].
- Le poème a un caractère incantatoire : [an], Ô invocatoire (13) + "Ô Douceurs, ô monde, ô musique !" (vers 10) donnant à cette manifestation un caractère surnaturel, ensorcelant.
Révolte souligné par le jeu des contrastes, tourbillon de mots de sens contraires qui s'affrontent.
- Opposition entre "remis" et "encore", passé et présent.
- Violence extrême entre le feu et la glace (brasier, feux, volcans // givre, glaçon, grottes arctiques)
-> "Les brasiers et les écumes." : antithèse, -> opposition forte
- Opposition entre brutalité et douceur (- "pavillon en viande saignante" : pavillon de navire couleur sang, pavillon révolutionnaire, contraste avec "la soie des mers ")
Le refrain : "Le pavillons en viande saignante sur la soie des / mers et des fleurs arctiques ; (elles n'existent pas.)" est répété 3 fois, la dernière étant inachevée. Incompréhension du lecteur face à cette image, qui est répétitive. Rimbaud nous affirme que ce monde est totalement imaginaire, (qu'elles n'existent pas) précise-t-il entre parenthèses – le lecteur est ainsi transporté dans une autre dimension, hors du temps et de l'espace, ne comprenant rien à cette description contrastée.
- Refrain "le pavillon en viande saignante... (elles n'existent pas)" apparaît à deux reprises et une dernière fois sous la forme abrégée "le pavillon" donnant l'apparence d'un poème en ébauche à terminer soi-même.
La révolte de Rimbaud est donc bien présente mais paraît indéchiffrable, le lecteur a du mal à la comprendre, tout semble brouillé, mélangé, seul à la fin du poème, un sens semble s'établir. Des "formes", des "chevelures" surviennent, mais le mystère, malgré tout, demeure. Serait-ce le portrait d'une femme éclatée, personne réelle, symbole ou personnification ? Une voix féminine ? Personnification de... la poésie ? La voie lactée ? La Marianne ?
-> Lorsque le sens paraît s'établir, Rimbaud laisse son poème en suspens.
II. Un nouveau langage
- Barbare :
- Rénove en mêlant les sens.
La poésie est polysémique :
Rimbaud cherche-t-il à dénoncer la guerre par le champ lexical de la violence (choc, attaquent, assassins), du sang (viande saignante), les images représentant le drapeau français (bleu: eau - blanc : larmes - rouge : feu, sang), la femme éclatée : la Marianne ?
S'agit-il d'un poème cosmique ? (cœur terrestre, astres, monde, confrontation des éléments) femme = voie lactée.
On peut sans doute penser que Rimbaud cherche à innover en poésie et confronte modernité et tradition. Vieilles fanfares = registre épique. Femme éclatée = poésie ?
-> Rimbaud place son texte "Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes".
Les vieilles fanfares, retraites peuvent signifier le registre épique, il se veut alors loin des conformismes à la mode, du lyrisme ou du romantisme.
"Remis des vieilles fanfares d'héroïsme – qui nous attaquent encore le cœur et la tête – loin des anciens assassins -"
-> Rimbaud considère le registre épique comme "dépassé" (vieilles, anciens), cherche à rénover.
- Ces images restent hermétiques, inexplicables et ne se rapportent à aucune réalité connues ou comprises. Cet hermétisme est donc l'innovation même du poème car un poète doit créer (poète : étymologie : donner la vie).
Rimbaud créé donc un monde nouveau avec les mots, une nouvelle réalité, une vision hallucinée. Cet hermétisme est renforcé avec la surabondance de la ponctuation et la déstructuration totale de la syntaxe.
- Rimbaud recrée donc une nouvelle langue :
* Langue déstructurée : agencement illogique des mots, absence de verbes, de sujets, phrases nominales.
* Ponctuation surabondante et illogique : prolifération de tirets, parenthèses, virgules, points virgules, points d'exclamations d'interrogations, de suspension. S'agit-il d'un dialogue ? D'un discours ?
Rimbaud développe après Baudelaire le poème en prose, où se mêlent images et sonorités, sans respect de règles => liberté totale.