Joyeuse vie - II

Victor Hugo - Les Châtiments - Livre troisième - La famille est restaurée - IX

Partie II - du début au vers 24





Plan de la fiche sur Joyeuse vie de Victor Hugo :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Introduction

    L'argument dont use Victor Hugo ici pour condamner le nouveau régime a ses racines dans un voyage accompli le 10 février 1851 dans les quartiers populaires de Lille. C'est à une sollicitation de l'économiste Jérôme-Adolphe Blanqui, frère du célèbre révolutionnaire Auguste Blanqui, que Hugo a répondu. L'extrême pauvreté de ces gens provoque chez lui une prise de conscience aiguë de l'injustice sociale qui règne dans le pays. Ce voyage a d'ailleurs beaucoup contribué à son évolution politique vers la gauche.

    Peu de poèmes scellent avec autant de force l'unité de sentiment et d'inspiration de l'homme politique et de l'écrivain, au point peut-être de brouiller les genres : poème social ou harangue ? discours politique ou description littéraire ? Que cache au juste ce poème au titre ironique ?

Victor Hugo
Victor Hugo



Texte étudié

Joyeuse vie - II

Du début au vers 24

Millions ! millions ! châteaux ! liste civile !
Un jour je descendis dans les caves de Lille ;
Je vis ce morne enfer.
Des fantômes sont là sous terre dans des chambres,
Blêmes, courbés, ployés ; le rachis tord leurs membres
Dans son poignet de fer.

Sous ces voûtes on souffre, et l'air semble un toxique ;
L'aveugle en tâtonnant donne à boire au phtisique ;
L'eau coule à longs ruisseaux ;
Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente,
Le vivant chaque jour sent la mort pénétrante
S'infiltrer dans ses os.

Jamais de feu ; la pluie inonde la lucarne ;
L'œil en ces souterrains où le malheur s'acharne
Sur vous, ô travailleurs,
Près du rouet qui tourne et du fil qu'on dévide,
Voit des larves errer dans la lueur livide
Du soupirail en pleurs.

Misère ! L'homme songe en regardant la femme.
Le père, autour de lui sentant l'angoisse infâme
Etreindre la vertu,
Voit sa fille rentrer sinistre sous la porte,
Et n'ose, l'œil fixé sur le pain qu'elle apporte,
Lui dire : d'où viens-tu ?

Victor Hugo
Les Châtiments - Livre sixième




Annonce des axes

I. Une enquête dans le "morne enfer" de la misère
II. Un cri avant tout



Commentaire littéraire

I. Une enquête dans le "morne enfer" de la misère

Précédée d'une quadruple exclamation qui dénonce le luxe dans lequel vit l'empereur, cette partie du poème est toute entière consacrée au récit du voyage à Lille. Aux "châteaux" et "liste civile", c'est-à-dire aux sommes d'argent allouées à Louis-Napoléon pour ses dépenses personnelles, s'oppose l'"enfer" lillois. Pour y accéder, il faut deux conditions : s'éloigner du centre du pouvoir et "descendre" (vers 2), c'est-à-dire pousser des portes. Comme celui que décrit, dans La Divine Comédie, Dante Alighieri auquel il sera fait allusion plus loin, le voyage que narre Hugo est initiatique. Il initie en ce sens (étymologique) qu'il révèle des choses ordinairement soustraites au regard du non-initié, du profane :

Un jour je descendis dans les caves de Lille ; (vers 2)

L'alexandrin, coupé à l'hémistiche, débute par une imprécision volontaire. Ce " jour " n'a pas besoin d'être précisé davantage. Les circonstances du voyage sont éludées car elles importent peu. Seule compte la rupture de ce "jour". Le poème se fait à la fois initiatique et autobiographique. Il a, pour première valeur, la force du témoignage : ce que j'ai vu est vrai puisque moi, Victor Hugo, j'ai pris le risque de "descendre dans les caves de Lille". L'authenticité de cette parole est garantie par la liberté et la nouveauté du témoignage. "J'ai vu ce que nul encore n'a pu voir", semble dire le poète revenu d'une descente aux enfers qui fait de lui l'égal de quelques héros de la mythologie grecque, Orphée en tête. "J'ai vu le royaume des ombres, le royaume des morts", ajoute-t-il :

Des fantômes sont là sous terre dans des chambres, (vers 4)

Entre vie et mort, comme l'enfant de Souvenir de la nuit du 4, des êtres survivent. Hugo va maintenant pouvoir multiplier les notations descriptives qui montrent qu'une vie inversée s'est développée dans ces caves. Ces êtres en effet ne marchent pas comme les autres : ils sont "courbés, ployés" (vers 5). Hugo trace une flèche qui mène d'un constat sur leur triste état physique (strophe 2) à leurs mœurs (strophe 4). La prostitution est une conséquence de la misère et de la faim. L'immoralité ne peut être jugée en termes seulement moraux justement, mais économiques et politiques. "Classes dangereuses", "classes laborieuses", "classes miséreuses" ne font qu'un :

ô travailleurs (vers 15)
Misère ! L'homme songe en regardant la femme. (vers 19)

L'exclamation et l'argument se confondent dans ce mot-clé de la pensée hugolienne. " Misère " renvoie à la fois aux conditions économiques et sociales de ces hommes et de ces femmes et, dans un sens chrétien, au sort réservé à l'être humain par le Créateur. Pitié et indignation ne sont pas séparables chez Hugo : le spectacle des caves de Lille engendre d'abord des "pleurs" (vers 18).


II. Un cri avant tout

Hugo serait-il incapable d'aller au-delà de l'émotion ? Sa pensée politique serait-elle limitée, comme on le lui a parfois reproché, à la simple indignation ? Condensée en des images fortes, sa réflexion n'a certes pas derrière elle les fondements historiques et philosophiques de celle de nombreux intellectuels de son époque : Jules Michelet, Auguste Blanqui, Karl Marx parmi d'autres. Hugo n'est pas le seul écrivain qui fait de la pauvreté son sujet de prédilection. Sa description est insérée ici, on s'en souvient, dans un argumentaire contre le nouvel empereur. Il cherche un nouveau moyen de détourner les suffrages populaires donnés à Louis-Napoléon. Il veut, pour cela, révéler le scandale présent dans le contraste entre l'extrême dénuement de Lille et le luxe du pouvoir. A lui d'abord, le devoir de propager l'indignation ; à d'autres ou dans d'autres livres à venir, d'approfondir la réflexion.
Hugo cherche en effet avant tout à créer des images choquantes, des raccourcis qui rusent avec l'exact vérité. Il ne mène pas une enquête. Il jette un cri :

Presque enfant à vingt ans, déjà vieillard à trente, (vers 10)

Poète, il veut éviter la distance qu'engendrerait la simple description des faits :

Je n'ai pas l'intention de faire un livre, je pousse un cri. (projet de préface à l'Histoire d'un crime).

Par l'émotion qu'elles suscitent, les images assurent d'abord l'adhésion totale du lecteurs aux détails qui sont donnés :

(...) le rachis tord leurs membres / Dans son poignet de fer (vers 5-6)

La maladie est ainsi personnifiée et comparée à un titan dont la force est prodigieuse.
L'indignation n'empêche portant pas une certaine forme de prise de conscience scientifique et matérialiste de la maladie : l'air "semble un toxique" (vers 7), l'eau, porteuse de nombreuses bactéries, "coule à longs ruisseaux" (vers 8). En homme de son siècle au fait des progrès de la médecine, Victor Hugo pointe les vraies causes des maladies de ses contemporains et, de fait, ramène ces pauvres gens dans le sein de l'humanité après les en avoir initialement exclus. La fin de l'ultime vers de cet extrait a des accents de la plus émouvante humanité :

d'où viens-tu ? (vers 24)





Conclusion

    Loin d'être dégénérés, ces êtres qui, comme d'autres, avec des mots simples, s'inquiètent de leurs enfants, n'ont pas perdu tout sens des valeurs humaines. L'espoir subsiste donc.

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Merci à celui ou celle qui a réalisé cette analyse de Joyeuse vie de Victor Hugo