AUTEUR : Montesquieu (1689-1755) magistrat
et écrivain français que les études destinaient à
être parlementaire il voyage beaucoup. Il est lauteur de nombreux
mémoires, de romans parmi lesquels : Lettre persanes (1721), de
Pensées et douvrages danalyse tel que De lEsprit
des Lois.
OEUVRE : Les Lettres Persanes est un roman épistolaire écrit en
1721. Les deux personnages sont persans : Uzbek et Rica. Ils ont quitté
la perse pour se rendre à Paris et y découvrent les parisiens,
leurs opinions politiques et religieuses. Sentiment détonnement
éprouvé. Ils restent huit ans à Paris doù
ils écrivent à leurs amis dont la lettre 24 adressée
à Abben que nous étudions. Cest une manière indirecte
de critique la société française quutilise
Montesquieu. Vu la date cest Louis 14 qui est visé ainsi que
la régence.
EXTRAIT : Dans cet extrait Uzbek et Rica découvrent la France, ils
sont très étonnés. Cet étonnement est un moyen
pour Montesquieu de souligner des aspects critiquables de la société : le mode de vie des parisiens, le pouvoir royal et du pape qui sont jugés
excessifs.
Nous sommes à Paris depuis un mois, et nous avons toujours été dans un mouvement continuel. Il faut bien des affaires avant qu'on soit logé, qu'on ait trouvé les gens à qui on est adressé, et qu'on se soit pourvu des choses nécessaires, qui manquent toutes à la fois.
Paris est aussi grand qu'Ispahan : les maisons y sont si hautes, qu'on jugerait qu'elles ne sont habitées que par des astrologues. Tu juges bien qu'une ville bâtie en l'air, qui a six ou sept maisons les unes sur les autres, est extrêmement peuplée; et que, quand tout le monde est descendu dans la rue, il s'y fait un bel embarras.
Tu ne le croirais pas peut-être, depuis un mois que je suis ici, je n'y ai encore vu marcher personne. Il n'y a pas de gens au monde qui tirent mieux partie de leur machine que les Français; ils courent, ils volent : les voitures lentes d'Asie, le pas réglé de nos chameaux, les feraient tomber en syncope. Pour moi, qui ne suis point fait à ce train, et qui vais souvent à pied sans changer d'allure, j'enrage quelquefois comme un chrétien : car encore passe qu'on m'éclabousse depuis les pieds jusqu'à la tête; mais je ne puis pardonner les coups de coude que je reçois régulièrement et périodiquement. Un homme qui vient après moi et qui me passe me fait faire un demi-tour; et un autre qui me croise de l'autre côté me remet soudain où le premier m'avait pris; et je n'ai pas fait cent pas, que je suis plus brisé que si j'avais fait dix lieues.
Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des moeurs et des coutumes européennes : je n'en ai moi-même qu'une légère idée, et je n'ai eu à peine que le temps de m'étonner.
Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. Il n'a point de mines d'or comme le roi d'Espagne son voisin; mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n'ayant d'autres fonds que des titres d'honneur à vendre; et, par un prodige de l'orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes équipées.
D'ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et il le croient. S'il a une guerre difficile à soutenir, et qu'il n'ait point d'argent, il n'a qu'à leur mettre dans la tête qu'un morceau de papier est de l'argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu'à leur faire croire qu'il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu'il a sur les esprits.
Ce que je dis de ce prince ne doit pas t'étonner : il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle le pape : tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu'un; que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce.
Structure du texte
Ligne1 à 16 : lagitation des parisiens
Ligne 16 à 30 : pouvoir royal
Ligne 31 à 34 : description du pouvoir papal
Annonce de la méthode d'explication
Analyse thématique selon 3 axes :
1/ Lexpression de létonnement 2/ La référence à lorient 3/ La critique de la société française
Commentaire littéraire
I. Lexpression de létonnement
1. létonnement : le sentiment dominant chez les Persans
- Vis-à-vis de ce quils voient à Paris : "tu ne le croirais
peut-être pas" Ligne 8 , "Je nai eu à peine que le temps
de métonner" Ligne 18, "Ce que je te dis de ce prince ne doit
pas tétonner" Ligne 31.
2. ce qui étonne les Persans
- La hauteur des maisons : "si haute que" Ligne 4 et la périphrase
"6 ou 7 maisons mises les unes sur les autres" Ligne 5.
- La rapidité de déplacement des français soulignée
par la comparaison entre les machines françaises et les voitures lentes
dAsie Ligne 10. La comparaison est mise en relief par le rythme des
phrases : "ils arrivent, ils volent" qui désigne les français
soppose à "les voitures lentes dAsie..." qui reproduit
la lenteur asiatique.
- La brutalité des Parisiens : lhyperbole : "Je suis plus
brisé que si javais fait 10 lieues" Ligne 16, "un homme qui vient" ligne 15. Le rythme de la phrase avec une succession de verbes symbolise
cette brutalité.
- Le roi et son pouvoir : "ce roi est un grande magicien" Ligne 25 "prodige" Ligne 23 champ lexical de la magie, du miracle : "la force et la puissance
quil a sur les esprits "Ligne 30, " il na quà" Ligne
27, "il va même jusqu'à leur faire croire" Ligne 29.
- Le pape et son pouvoir : "encore plus fort" Ligne 31, "pas moins maître
de son esprit" Ligne 32, "magicien" Lignes 31 et 32 montre que le pape
est encore plus puissant que le Roi. Ses pouvoirs : "il lui fait croire
que tris ne sont quun" (la trinité) Ligne 33, "que le pain
quon mange nest pas du pain" (le corps du christ) Ligne 33 "que le vin nest pas du vin" (le sang du christ) Ligne 34.
II. Les références à lOrient
1. Références
- Noms des personnages : Rica et Ibben Ligne 1
- Ville doù ils sont originaires : Ispahan Ligne 1
- La date : "le 4 de la Lune de Rebiab 2" Ligne 35
- Comparaison entre Paris et Ispahan Ligne 4
- Hauteur des maisons de Paris plus basse que celle des maisons dIspahan Ligne 5.
- Rythme de vie des parisiens plus rapide que le rythme de vie des Persans : "les voitures lentes dAsie" Ligne 10.
- "Jenrage comme un chrétien" Ligne 12 le Persan utilise comme
comparaison la religion qui nest pas la sienne cf. lexpression "jurer comme un païen".
Toutes ces références à la Perse servent à
Montesquieu pour donner une apparente réalité.
2. Les buts de Montesquieu dans lutilisation des Persans
- Introduire un regard neuf et extérieur sur le mode de vie des
européens : faire ressortir les aspects ridicules de leur vie.
- Relativiser la position de lOccident qui se considérait alors
comme la référence unique. De plus la référence
pour les persans est la Perse et non loccident. Cest donc aussi
une notion de tolérance quil introduit : loccident nest
pas lunique référence.
- Moyen de critiquer la société française en se cachant : moyen déchapper à la censure.
III.La critique de la société française
1. La critique des français
- Une vie trop agitée : champ lexical : "mouvement continuel" Ligne 1 "ils courent, ils volent" Ligne 10, "un bel embarras" Ligne 7.
- La brutalité, le manque de courtoisie "quon
méclabousse des pieds jusqu'à la tête" Ligne 13
"les coups de coude". Lignes 14 et 16 : grandes phrases avec succession
de verbes dactions et de propositions : rapidité. "je suis
plus brisé que si javais fait 10 lieues" Ligne 16 : hyperbole.
- La crédulité des français : vis-à-vis du roi,
ils sont soumis : "la vanité de ses sujets" Lignes 20 et 21 cf.
achat des charges qui confèrent la noblesse. "titres dhonneurs
à vendre", "prodige de lorgueil humain" Ligne 23, "ils le
croient" Ligne 27 "ils en sont aussitôt convaincus" Ligne 29.
2. La critique du Roi
- Le roi est décrit comme un manipulateur. Montesquieu critique le
pouvoir royal de lépoque : labsolutisme. " il exerce son
emprise sur lesprit même de ses sujets " Ligne 25, " Il les fait
penser comme il veut " Ligne 26, " il na quà leur persuader
" Ligne 27, " il na quà leur mettre dans la tête.
" Ligne 28 " il va même jusqu'à leur faire croire quil
les guérit de toutes sortes de maux en les touchant " (allusion au
sacre) Ligne 30.
- Son goût pour la guerre Ligne 22-24 " on lui a vu entreprendre ou
soutenir... ", " Sil a une guerre " Lignes 27-28.
3. La critique du Pape
- Montesquieu dénonce une hiérarchie dans la manipulation : le
pape manipule le roi qui manipule les sujets : "il y a un autre magicien,
plus fort que lui [le roi], qui nest pas moins maître de son
esprit quil lest lui-même de celui des autres" Lignes
31 et 32. Cest le pouvoir de la religion sur les esprits à cette
époque qui est critiqué
- Les rites religieux sont visés. Cest pour Montesquieu loccasion de manifester son déisme (il croit en dieu mais pas en la religion).
Conclusion
Cette lettre 24 est représentative de toutes les lettres persanes car on y retrouve les 3 éléments de la démarche de Montesquieu :
- Létonnement qui fait percevoir les choses autrement,
- La fiction orientale qui fait croire au lecteur quil sagit dune véritable correspondance entre les Persans pour protéger
Montesquieu de la censure et introduire un regard extérieur sur la réalité européenne.
- La critique de la société européenne au 18ème
Siècle sur le mode de vie des Français, la politique, le pouvoir
royal et la religion.