LORENZO
Seul. De quel tigre a rêvé ma mère enceinte de moi ?
Quand je pense que j’ai aimé les fleurs, les prairies et les sonnets de
Pétrarque, le spectre de ma jeunesse se lève devant moi en frissonnant. ô Dieu !
pourquoi ce seul mot, « à ce soir », fait-il pénétrer
jusque dans mes os cette joie brûlante comme un fer rouge ? De quelles
entrailles fauves, de quels velus embrassements suis-je donc sorti ? Que
m’avait fait cet homme ? Quand je pose ma main là, et que je réfléchis,
- qui donc m’entendra dire demain : je l’ai tué,
sans me répondre : Pourquoi l’as-tu tué ? Cela
est étrange. Il a fait du mal
aux autres, mais il m’a fait du bien, du moins à sa manière.
si j’étais resté tranquille au fond de mes solitudes de Cafaggiuolo,
il ne serait pas venu m’y chercher, et moi, je suis venu le chercher à Florence.
Pourquoi cela ? Le spectre de mon père me conduisait-il, comme Oreste,
vers un nouvel Egisthe ? M’avait-il offensé alors ? Cela
est étrange, et cependant pour cette action, j’ai tout quitté ; la seule
pensée de ce meurtre a fait tomber en poussière les rêves de ma vie ;
je n’ai plus été qu’une ruine, dès que ce meurtre,
comme un corbeau sinistre, s’est posé sur ma route et m’a
appelé à lui. Que veut dire cela ? Tout à l’heure,
en passant sur la place, j’ai entendu deux hommes parler d’une comète.
Sont-ce bien les battements d’un cœur humain que je sens là,
sous les os de ma poitrine ? Ah ! pourquoi cette idée me vient-elle
si souvent depuis quelque temps ? suis-je le bras de Dieu ? Y a-t-il une nuée
au-dessus de ma tête ? Quand j’entrerai dans cette chambre, et que
je voudrai tirer mon épée du fourreau, j’ai peur de tirer
l’épée flamboyante de l’archange, et de tomber en cendres
sur ma proie. (il sort.)
Extrait de l'acte IV, scène 3 de Lorenzaccio - Alfred de Musset
Oreste et Egiste : Oreste est le fils d'Agamemnon et de Clytemnestre, il dirigeait
l'armée grecque. Exilé par Clytemnestre qui a tué son
père et pris un amant : Egiste, il revient et, poussé par sa
sœur, tue sa mère et l'amant.
Annonce des axes
Remise en cause de ses motivations : il n'en a pas de véritables pour tuer Alexandre : « Que m'avait fait cet homme ? », « m'avait-il offensé alors ? » -> Retour d'humanité envers Alexandre : « il a fait du mal aux autres mais il m'a fait du bien, du moins à sa manière ».
Lorenzo bénéficie d'un traitement particulier « Si j'étais resté tranquille » : c'est lui-même qui est allé le chercher.
Lorenzo est comme poussé par des forces qu'il ne contrôle pas.
Un acte qui le dépasse : beaucoup de phrases interrogatives : « Pourquoi » répété 4 fois, « que veut dire cela ? » -> Doute,
hésitation.
« cette joie brûlante comme un fer rouge » Oxymore (« joie
brûlante ») qui montre que le plaisir contraste avec la douleur
de tuer -> masochisme caché.
« le spectre de mon père me conduisait-il ? », « j'ai tout
quitté » -> Folie ?
Le meurtre d'Alexandre est associé à la propre destruction de
Lorenzo : métaphore filée : « la seule pensée
de ce meurtre a fait tomber en poussière les rêves de ma vie », « ruine », « corbeau sinistre » (annonce la mort des deux.)
Les interrogations de Lorenzo sur l'assassinat se doublent d'interrogations sur sa personne.
II. Les interrogations sur sa personne
Son hérédité : il se présente comme issu d'une
hérédité féroce et mystérieuse : « de
quel tigre... ? », « de quelles entrailles fauves, de
quels velus embrassements...? »
-> images de la sexualité et de la brutalité troublantes.
La seule fois où son père est évoqué, c’est
sous la forme d’un spectre.
Interrogation sur sa nature humaine « sont-ce bien les battements d'un cœur humain ? »
Illusions sur sa personne : il pense être un être d'exception,
il y a une exaltation du moi : « suis-je le bras de dieu ? »
Allusion a l'archange Gabriel « épée flamboyante ».
Allusions aux mythes antiques dont il se sert pour s'expliquer lui-même.