Le Mariage de Figaro

Beaumarchais

Acte II, scène 6






Plan de la fiche sur la scène 6 de l'Acte 2 de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais :
Introduction
Lecture de la scène 6 de l'acte 2
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais reprend un personnage du Barbier de Séville : Figaro.
    Cette pièce du siècle des Lumières a été jouée pour la première fois en 1784 (mais écrite en 1778).

    Pour sauver son mariage avec Suzanne et démasquer le Comte qui a des visées sur elle, Figaro a imaginé un stratagème : il demande à Suzanne de fixer un rendez-vous avec le Comte le soir même dans le jardin. Mais il veut que ce soit Chérubin, déguisé en femme, qui prenne la place de Suzanne. Ainsi, le Comte sera pris sur le fait. Figaro demande donc à Suzanne et à la Comtesse de déguiser Chérubin, ce qu'elles font dans cette scène 6 de l'acte 2.


Lecture de la scène 6 de l'acte 2

Le Mariage de Figaro - Beaumarchais

ACTE II - Scène 6

CHÉRUBIN, LA COMTESSE, SUZANNE


SUZANNE entre avec un grand bonnet.
Le cachet, à quoi ?
LA COMTESSE.
A son brevet.
SUZANNE.
Déjà ?
LA COMTESSE.
C'est ce que je disais. Est-ce là ma baigneuse ?
SUZANNE s'assied près de la Comtesse.
Et la plus belle de toutes.
(Elle chante avec des épingles dans sa bouche.)
   Tournez-vous donc envers ici,
   Jean de Lyra, mon bel ami.
(Chérubin se met à genoux. Elle le coiffe.)
Madame, il est Charmant !
LA COMTESSE.
Arrange son collet d'un air un peu plus féminin.
SUZANNE l'arrange.
Là... Mais voyez donc ce morveux, comme il est joli en fille ! j'en suis jalouse, moi ! (Elle lui prend le menton.) Voulez-vous bien n'être pas joli comme ça ?
LA COMTESSE.
Qu'elle est folle ! il faut relever la manche, afin que l'amadisi prenne mieux... (Elle le retrousse.) Qu'est-ce qu'il a donc au bras ? Un ruban !
SUZANNE.
Et un ruban à vous. Je suis bien aise que Madame l'ait vu. Je lui avais dit que je le dirais, déjà ! Oh ! si Monseigneur n'était pas venu, j'aurais bien repris le ruban ; car je suis presque aussi forte que lui.
LA COMTESSE.
Il y a du sang ! (Elle détache le ruban.)
CHÉRUBIN, honteux.
Ce matin, comptant partir, j'arrangeais la gourmette de mon cheval ; il a donné de la tête, et la bossette m'a effleuré le bras.
LA COMTESSE.
On n'a jamais mis un ruban...
SUZANNE.
Et surtout un ruban volé. - Voyons donc ce que la bossette... la courbette... la cornette du cheval... Je n'entends tien à tous ces noms-là - Ah ! qu'il a le bras blanc ; c'est comme une femme ! plus blanc que le mien ! Regardez donc, madame ! (Elle les compare.)
LA COMTESSE, d'un ton glacé.
Occupez-vous plutôt de m'avoir du taffetas gommé dans ma toilette.
(Suzanne lui pousse la tête en riant ; il tombe sur les deux mains. Elle entre dans le cabinet au bord du théâtre.)

    Le Mariage de Figaro - Beaumarchais - Acte II, scène 6




Annonce des axes

I. Les relations entre les trois personnages
1. La Comtesse et Suzanne
2. Suzanne en position dominante
3. Rapports entre les trois personnages

II. Les symboles de l'ambiguïté sexuelle et de la sensualité
1. Le lieu : la chambre
2. Les éléments symboliques



Commentaire littéraire

I. Les relations entre les trois personnages

Elles sont à la fois complexes et subtiles :

1. La Comtesse et Suzanne

On peut dire que ce sont deux personnages complémentaires dans la pièce. Dès le début de la scène, Suzanne s'assied près de la Comtesse (didascalie). Elle est d'ailleurs plus souvent avec la Comtesse qu'avec Figaro. Dès la scène d'exposition, Suzanne a évoqué le lien qui l'unit à la Comtesse.
"Voilà madame éveillée ; elle m’a bien recommandé d’être la première à lui parler le matin de mes noces" (Acte I, scène 1).
Cela se manifeste aussi au niveau de l'échange des répliques. La Comtesse parle du cachet :
"ils ont oublié d'y mettre le cachet (scène précédente).
SUZANNE : Le cachet, à quoi ?" (début de cette scène 3)
Elles ont enfin les mêmes réactions quand on apprend que le brevet est arrivé dans les mains de Chérubin.
"Déjà ?" de Suzanne qui fait écho au "Déjà ?" de la Comtesse à la scène précédente.


2. Suzanne en position dominante

Malgré qu'elle soit camériste, Suzanne domine. C'est elle qui déguise Chérubin. Elle l'habille en femme. Suzanne est un peu la représentante du dramaturge dans la scène. D'ailleurs, dans cette pièce, il y a souvent du théâtre dans le théâtre : les personnages jouent des rôles et la comédie.
D'autre part, à travers les didascalies, on a l'indication des ces gestes montrant qu'elle est très active. Les deux autres personnages sont beaucoup plus statiques.
On remarque aussi que Suzanne coupe la parole à la Comtesse, comme le montrent les points de suspension :
"LA COMTESSE.
On n'a jamais mis un ruban...
SUZANNE.
Et surtout un ruban volé."



3. Rapports entre les trois personnages

a. La Comtesse et Chérubin
Chérubin est amoureux de la Comtesse et cette dernière en est troublée. Tout ceci sera confirmé dans La Mère coupable car ils vont avoir un enfant. Beaumarchais tenait à ce que le rôle de Chérubin soit tenu par une femme.
"Ce rôle ne peut être joué, comme il l'a été, que par une jeune et très jolie femme. Nous n'avons point à nos théâtres de très jeunes hommes assez formés pour bien sentir les finesses."

b. Suzanne et Chérubin
Ils sont eux aussi très complices. Il est très séducteur avec elle comme il l'est avec les autres femmes. Suzanne a d'ailleurs beaucoup d'affection pour lui. Elle a beaucoup de sollicitude et s'inquiète pour lui.

c. Suzanne et la Comtesse
Suzanne est beaucoup plus hardie que la Comtesse. Cette dernière a une certaine pudeur. Suzanne est beaucoup plus coquine. Dans la scène, il va y avoir une certaine rivalité entre Suzanne et Chérubin par rapport à la Comtesse.
Suzanne se compare à Chérubin et demande à la Comtesse celui qui est le plus beau. Au moment où elle tient ses propos, la Comtesse la rappelle à l'ordre à deux reprises.
"LA COMTESSE. Qu'elle est folle !"
LA COMTESSE, d'un ton glacé. Occupez-vous plutôt de m'avoir du taffetas gommé dans ma toilette."

Elle lui rappelle donc que c'est elle la maîtresse, elle lui ordonne avec des impératifs :
"il faut relever la manche"
"occupez-vous de m'avoir du taffetas"
Sur le plan moral, la situation est très tendancieuse. La Comtesse veut lui redonner un peu de tenue. En même temps, la Comtesse oblige Suzanne à quitter la salle pour se retrouver en tête-à-tête avec Chérubin.

On peut déjà dire que la scène a un caractère équivoque et libertin.



II. Les symboles de l'ambiguïté sexuelle et de la sensualité

1. Le lieu : la chambre

Il y trône un grand lit. Au 18ème siècle, la chambre devient un lieu clos. C'est un lieu totalement féminin : la Comtesse, Suzanne s'y trouvent. Le Comte pour y pénétrer doit enfoncer deux portes.
C'est donc un lieu d'intimité et de confidence. Elles sont toutes les deux enfermées dans la chambre.
Acte II, Scène 1 : "Ferme la porte, Suzanne et Conte-moi tout"
A la scène 4 : "Je vais fermer la porte". Elles veulent conspirer contre le Comte et c'est là que le complot se construit. Seule Chérubin est là pour être déguisé en femme.


2. Les éléments symboliques

a. Le cachet
C'est le cachet qui doit être remis sur le brevet de Chérubin pour qu'il devienne officier. Sans ce cachet, le brevet n'a aucune valeur officielle.
Chérubin va donc avoir un statut alors qu'il n'en avait pas jusque-là.
De même, à chaque fois, dans la pièce, il précède le Comte. L'absence de cachet symbolise le hors-la-loi. Chérubin se trouve entre deux âges, il est encore adolescent.

b. L'épingle
Elle a une connotation érotique.
Depuis l'acte I Scène 7, "que tu es heureuse ! à tous moments la voir, lui parler, l'habiller le matin et la déshabiller le soir, épingle par épingle..."
L'épingle est rattachée au corps de la Comtesse.
Dans cette scène, on voit Suzanne qui attache la baigneuse avec des épingles sur la tête de Chérubin. Il est ici à la place de la Comtesse.
Chérubin désirait déshabiller la Comtesse et en fait, c'est Chérubin qui est en train de se faire habiller par Suzanne : c'est l'inverse de son désir.
La Comtesse est troublée : il y a inversion des rôles.

c. Le Ruban
C'est l'élément le plus symbolique. A travers ce ruban, Beaumarchais se réfère à Jean-Jacques Rousseau. Dans les Confessions, il raconte sa vie et quand il était jeune, il travaillait en tant que domestique. Etant amoureux d'une jeune servante, les héritiers de la patronne se rendent compte d'un vol de ruban. Jean-Jacques est accusé et lui accuse la jeune fille.
C'est aussi le symbole de la Comtesse puisque cela lui permettait d'attacher ses cheveux. Dans l'Acte II Scène 26, la Comtesse cache le ruban dans son sein.
Dans l'acte IV scène 3, elle le fait tomber par inadvertance. Ce ruban devient à la fin la jarretière de la mariée. Seulement, c'est Chérubin qui lui prend et récupère le ruban. Il est symbole de la circulation de la sensualité : il passe d'un membre d'un corps à un autre et d'une personne à une autre.
Dans cette scène, le ruban est tâché de sang. Ce dernier symbolise :
· Le sort de Chérubin : il va être soldat et cela symbolise le danger d'être soldat que Figaro avait évoqué à la scène 10 de l'Acte I. Chérubin mourra à la guerre dans la Mère Coupable.
· C'est aussi un symbole féminin, il représente le sang menstruel.
On nous indique que le bras de Chérubin est très blanc. Le sang est symbole à la fois de virilité et de féminité et donc d'ambiguïté sexuelle.
Le ruban relie sensuellement Chérubin à la Comtesse (lien adultère) et en même temps, il sert de jarretière à la mariée (lien conjugal).

d. Le cheval
C'est le cheval qui a blessé Chérubin. En psychologie, le cheval montre la virilité. Il représente le métier auquel il va accéder et le danger. Etant donné que Chérubin est blessé, il a du mal à accéder à sa virilité, il est travesti en femme.





Conclusion

     Cette courte scène illustre l'atmosphère de légèreté qui règne tout au long de l'acte II. C'est une scène osée, coquine tout à fait dans l'esprit du temps (courant libertin du 18ème siècle). C'est une scène dominée par le désir et son caractère ambivalent. Les objets du désir sont changeants et complexes. Les rôles sont constamment bouleversés : on peut parler à ce propos des journées des Saturnales à Rome. L'esclave pouvait commander en maître : le Mariage de Figaro est bien en cela une pièce subversive où les valeurs morales et sociales sont allègrement bouleversées.

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Merci à Damien pour cette analyse sur la scène 6 de l'acte II de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais