La chambre est pleine d'ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève...
— Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant...
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure...
Ils tressaillent souvent à la claire
voix d'or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique en son globe de verre...
— Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil :
L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose...
— I1 n'est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards
triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule
et penchée,
D'exciter une flamme à la cendre
arrachée,
D'amonceler sur eux la laine et l'édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n'a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?...
— Le rêve maternel, c'est le tiède tapis,
C'est le nid cotonneux où les enfants
tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les
branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions
blanches !...
— Et là, — c'est comme un nid sans
plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment
pas, ont peur ;
Un nid que doit avoir glacé la bise
amère...
Votre cœur l'a compris : — ces enfants sont
sans mère.
Plus de mère au logis ! — et le père
est bien loin !...
— Une vieille servante, alors, en a pris
soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu'en
leur pensée
S'éveille, par degrés, un
souvenir riant...
C'est comme un chapelet qu'on égrène
en priant :
— Ah! quel beau matin, que ce matin des
étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé
des siennes
Dans quelque songe étrange où
l'on voyait joujoux,
Bonbons habillés d'or, étincelants
bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître
encore !
On s'éveillait matin, on se levait
joyeux,
La lèvre affriandée, en se
frottant les yeux...
On allait, les cheveux emmêlés
sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands
jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher...
On entrait !... Puis alors les souhaits...
en chemise,
Les baisers répétés,
et la gaîté permise !
Ah ! c'était si charmant, ces mots dits
tant de fois !
— Mais comme il est changé, le logis
d'autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans
la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand
foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à
tournoyer...
— L'armoire était sans clefs !...
sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire...
Sans clefs !... c'était étrange
!... on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs
de bois,
Et l'on croyait ouïr, au fond de la
serrure
Béante, un bruit lointain, vague
et joyeux murmure...
— La chambre des parents est bien vide,
aujourd'hui :
Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui ;
I1 n'est point de parents, de foyer, de
clefs prises :
Partant, point de baisers, point de douces
surprises !
Oh ! que le jour de l'an sera triste pour
eux !
— Et, tout pensifs, tandis que de leurs
grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : « Quand donc reviendra
notre mère ? »
Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur
souffle pénible !
Les tout petits enfants ont le cœur si sensible !
— Mais l'ange des berceaux vient essuyer
leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve
joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre
mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose...
— Ils rêvent que, penchés sur
leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent
le front,
Et leur vague regard tout autour d'eux se
pose...
Ils se croient endormis dans un paradis
rose...
Au foyer plein d'éclairs chante gaîment
le feu...
Par la fenêtre on voit là-bas
un beau ciel bleu ;
La nature s'éveille et de rayons
s'enivre...
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil...
Et dans le vieux logis tout est tiède
et vermeil :
Les sombres vêtements ne jonchent
plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire...
On dirait qu'une fée a passé
dans cela !...
— Les enfants, tout joyeux, ont jeté
deux cris... Là,
Près du lit maternel, sous un beau
rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit
quelque chose...
Ce sont des médaillons argentés,
noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants;
Des petits cadres noirs, des couronnes de
verre,
Ayant trois mots gravés en or : « A NOTRE MÈRE ! »
Par les soirs bleus d'été,
j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler
l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur
à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une
femme.
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la
terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée,
on sent
Que la terre est nubile et déborde
de sang ;
Que son immense sein, soulevé par
une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la
femme,
Et qu'il renferme, gros de sève et
de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons !
Et tout croît, et tout monte !
— O Vénus, ô Déesse !
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce
des rameaux
Et dans les nénufars baisaient la
Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève
du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres
verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses
pieds de chèvre ;
Où, baisant mollement le clair syrinx,
sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où, debout sur la plaine, il entendait
autour
Répondre à son appel la Nature
vivante ;
Où les arbres muets, berçant
l'oiseau qui chante,
La terre berçant l'homme, et tout
l'Océan bleu
Et tous les animaux aimaient, aimaient en
Dieu !
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement
belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides
cités ;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
L'Homme suçait, heureux, sa mamelle
bénie,
Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux.
— Parce qu'il était fort, l'Homme
était chaste et doux
Misère ! Maintenant il dit : Je sais
les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles
closes.
— Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l'Homme est Roi,
L'Homme est Dieu ! Mais l'Amour, voilà la grande Foi !
Oh ! si l'homme puisait encore à ta
mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle ;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume,
Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs,
Le rossignol aux bois et l'amour dans les cœurs !
Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère,
Aphrodité marine ! — Oh ! la route
est amère
Depuis que l'autre Dieu nous attelle à
sa croix;
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est
en toi que je crois !
— Oui, l'Homme est triste et laid, triste
sous le ciel vaste
I1 a des vêtements, parce qu'il n'est
plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au
feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
Oui, même après la mort, dans
les squelettes pâles
I1 veut vivre, insultant la première
beauté !
— Et l'Idole où tu mis tant de virginité,
Où tu divinisas notre argile, la
Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer
sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
De la prison terrestre à la beauté
du jour,
La Femme ne sait plus même être
courtisane !
— C'est une bonne farce ! et le monde ricane
Au nom doux et sacré de la grande
Vénus !
Si les temps revenaient, les temps qui sont
venus !
— Car l'Homme a fini ! l'Homme a joué
tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser
des idoles
I1 ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les
cieux !
L'Idéal, la pensée invincible,
éternelle,
Tout; le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son
front!
Et quand tu le verras sonder tout l'horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute
crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
— Splendide, radieuse, au sein des grandes
mers
Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers
L'Amour infini dans un infini sourire !
Le Monde vibrera comme une immense lyre
Dans le frémissement d'un immense
baiser !
— Le Monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . .
[O ! L'Homme a relevé sa tête
libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté
première
Fait palpiter le dieu dans l'autel de la
chair !
Heureux du bien présent, pâle
du mal souffert,
L'Homme veut tout sonder, — et savoir !
La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S'élance de son front ! Elle saura
Pourquoi !...
Qu'elle bondisse libre, et l'Homme aura
la Foi !
— Pourquoi l'azur muet et l'espace insondable
?
Pourquoi les astres d'or fourmillant comme
un sable ?
Si l'on montait toujours, que verrait-on
là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense
troupeau
De mondes cheminant dans l'horreur de l'espace ?
Et tous ces mondes-là, que l'éther
vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d'une éternelle
voix ?
— Et l'Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu'un rêve ?
Si l'homme naît si tôt, si la vie est si brève,
D'où vient-il ? Sombre-t-il dans l'Océan profond
Des Germes, des Fœtus, des Embryons, au fond
De l'immense Creuset d'où la Mère-Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose, et croitre dans les blés ?...
Nous ne pouvons savoir ! —Nous sommes accablés
D'un manteau d'ignorance et d'étroites chimères !
Singes d'hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l'infini !
Nous voulons regarder : — le Doute nous
punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile...
— Et l'horizon s'enfuit d'une fuite éternelle !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le grand ciel est ouvert ! les mystères
sont morts
Devant l'Homme, debout, qui croise ses bras
forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
I1 chante... et le bois chante, et le fleuve
murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers
le jour !...
— C'est la Rédemption ! c'est
l'amour ! c'est l'amour !... ]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
O splendeur de la chair ! ô splendeur
idéale !
O renouveau d'amour, aurore triomphale
Où, courbant à leurs pieds
les Dieux et les Héros,
Kallipyge la blanche et le petit Éros
Effleureront, couverts de la ncige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux
pieds écloses !
— O grande Ariadné, qui jettes tes
sanglots
Sur la rive, en voyant fuir là-bas
sur les flots,
Blanche sous le soleil, la voile de Thésée,
O douce vierge enfant qu'une nuit a brisée,
Tais-toi ! Sur son char d'or brodé
de noirs raisins,
Lysios, promené dans les champs Phrygiens
Par les tigres lascifs et les panthères
rousses,
Le long des fleuves bleus rougit les sombres
mousses.
— Zeus, Taureau, sur son cou berce comme
une enfant
Le corps nu d'Europé, qui jette son
bras blanc
Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans
la vague.
I1 tourne lentement vers elle son œil vague;
Elle, laisse traîner sa pâle
joue en fleur
Au front de Zeus; ses yeux sont fermés;
elle meurt
Dans un divin baiser, et le flot qui murmure
De son écume d'or fleurit sa chevelure.
— Entre le laurier-rose et le lotus jaseur
Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur
Embrassant la Léda des blancheurs
de son aile;
— Et tandis que Cypris passe, étrangement
belle,
Et, cambrant les rondeurs splendides de
ses reins,
Étale fièrement l'or de ses
larges seins
Et son ventre neigeux brodé de mousse
noire,
— Héraclès, le Dompteur, qui,
comme d'une gloire
Fort, ceint son vaste corps de la peau du
lion,
S'avance, front terrible et doux, à
l'horizon !
Par la lune d'été vaguement éclairée,
Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur
dorée
Que tache le flot lourd de ses longs cheveux
bleus,
Dans la clairière sombre où
la mousse s'étoile,
La Dryade regarde au ciel silencieux...
— La blanche Séléné
laisse flotter son voile,
Craintive, sur les pieds du bel Endymion,
Et lui jette un baiser dans un pâle
rayon...
— La Source pleure au loin dans une longue
extase...
C'est la Nymphe qui rêve, un coude
sur son vase,
Au beau jeune homme blanc que son onde a
pressé.
— Une brise d'amour dans la nuit a passé,
Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur
des grands arbres,
Majestueusement debout, les sombres Marbres,
Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil
fait son nid
— Les Dieux écoutent l'Homme et le
Monde infini !
Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
— On entend dans les bois lointains des hallalis.
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.
Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
— Un chant mystérieux tombe des astres d'or.
ô pale Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
— C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté;
C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits;
Que ton cœur écoutait le chant de la nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits;
C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l'infini terrible effara ton œil bleu !
— Et le poète dit qu'aux rayons des étoiles
Au gibet noir, manchot aimable,
Messire Belzébuth tire par la cravate
Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :
Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse !
O durs talons, jamais on n'use sa sandale !
Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes !
Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre
Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
Au gibet noir, manchot aimable,
Tisonnant, tisonnant son cœur amoureux sous
Un jour qu'il s'en allait, " Oremus ", - un Méchant
Châtiment !... Ses habits étaient déboutonnés,
Donc, il se confessait, priait, avec un râle !
Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant
"Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la
..."Oh ! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises,
"Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire,
"Non. Ces saletés-là datent de nos papas !
"Oh ! tous les Malheureux, tous ceux dont le dos brûle
["Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille
- Il reprit son marteau sur l'épaule.
Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize,
Hommes extasiés et grands dans la tourmente,
Vous dont le sang lavait toute grandeur salie,
Nous vous laissions dormir avec la République,
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
Bal des pendus
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
Et, leur claquant au front un revers de savate,
Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !
Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
Se heurtent longuement dans un hideux amour.
On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !
Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse !
Belzébuth enragé racle ses violons !
Presque tous ont quitté la chemise de peau;
Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :
Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
On dirait, tournoyant dans les sombres mélées,
Des preux, raides, heurtant armures de carton.
Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
Les loups vont répondant des forêts violettes :
A l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...
Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !
Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
Et, se sentant encor la corde raide au cou,
Avec des cris pareils à des ricanements,
Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
Rebondit dans le bal au chant des ossements.
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.
Le châtiment de Tartufe
Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée,
Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux,
Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée,
Le prit rudement par son oreille benoîte
Et lui jeta des mots affreux, en arrachant
Sa chaste robe noire autour de sa peau moite !
Et le long chapelet des péchés pardonnés
S'égrenant dans son cœur, Saint Tartufe était pâle !...
L'homme se contenta d'emporter ses rabats...
- Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas !
Le Forgeron
Palais des Tuileries, vers le 10 août 92.
D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant
Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche,
Et prenant ce gros-là dans son regard farouche,
Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour
Que le Peuple était là, se tordant tout autour,
Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale.
Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle
Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet,
Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait
Car ce maraud de forge aux énormes épaules
Lui disait de vieux mots et des choses si drôles,
Que cela l'empoignait au front, comme cela !
Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres :
Le Chanoine au soleil filait des patenôtres
Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or
Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor
Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache
Nous fouaillaient - Hébétés comme des yeux de vache,
Nos yeux ne pleuraient plus; nous allions, nous allions,
Et quand nous avions mis le pays en sillons,
Quand nous avions laissé dans cette terre noire
Un peu de notre chair... nous avions un pourboir
On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit
Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit.
C'est entre nous. J'admets que tu me contredises.
Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin
Dans les granges entrer des voitures de foin
Enormes ? De sentir l'odeur de ce qui pousse,
Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse ?
De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain,
De penser que cela prépare bien du pain ?...
Oh ! plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume,
Chanter joyeusement en martelant l'enclume,
Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu,
étant homme, à la fin !, de ce que donne Dieu !
- Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire !
Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau
Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau,
Et me dise : Mon gars, ensemence ma terre;
Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre,
Me prendre mon garçon comme cela, chez moi !
- Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi,
Tu me dirais : Je veux !.. - Tu vois bien, c'est stupide.
Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide,
Tes officiers dorés, tes mille chenapans,
Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons :
Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles
Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles
Et nous dirons : C'est bien : les pauvres à genoux !
Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous !
Et tu te soûleras, tu feras belle fête.
- Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête !
Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas
Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière
Cette bête suait du sang à chaque pierre
Et c'était dégoûtant, la Bastille debout
Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout
Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre !
- Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre
Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour !
Nous avions quelque chose au cœur comme l'amour.
Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines.
Et, comme des chevaux, en soufflant des narines
Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là....
Nous marchions au soleil, front haut,-comme cela -,
Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles,
Sire, nous étions soûls de terribles espoirs :
Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs,
Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne,
Les piques à la main; nous n'eûmes pas de haine,
- Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux !
..............................................................................................
"Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous !
Le tas des ouvriers a monté dans la rue,
Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue
De sombres revenants, aux portes des richards.
Moi, je cours avec eux assommer les mouchards :
Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'épaule,
Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle,
Et, si tu me riais au nez, je te tuerais !
- Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais
Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes
Pour se les renvoyer comme sur des raquettes
Et, tout bas, les malins ! se disent : "Qu'ils sont sots !"
Pour mitonner des lois, coller de petits pots
Pleins de jolis décrets roses et de droguailles
S'amuser à couper proprement quelques tailles,
Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux,
- Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux !
Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes....
C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes !
Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats
Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats
Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces,
Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !.."
...................L..............................................................
Il le prend par le bras, arrache le velours
Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours
Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule,
La foule épouvantable avec des bruits de houle,
Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer,
Avec ses bâtons forts et ses piques de fer,
Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges,
Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges :
L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout
Au roi pâle et suant qui chancelle debout,
Malade à regarder cela !
"C'est la Crapule,
Sire. ça bave aux murs, ça monte, ça pullule :
- Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !
Je suis un forgeron : ma femme est avec eux,
Folle ! Elle croit trouver du pain aux Tuileries !
- On ne veut pas de nous dans les boulangeries.
J'ai trois petits. Je suis crapule. - Je connais
Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets
Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille :
C'est la crapule. - Un homme était à la bastille,
Un autre était forçat : et tous deux, citoyens
Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens :
On les insulte ! Alors, ils ont là quelque chose
Qui leur fait mal, allez ! C'est terrible, et c'est cause
Que se sentant brisés, que, se sentant damnés,
Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez !
Crapule. - Là-dedans sont des filles, infâmes
Parce que, - vous saviez que c'est faible, les femmes,
Messeigneurs de la cour, - que sa veut toujours bien,-
Vous avez craché sur l'âme, comme rien !
Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule.
.................................................................................................
Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont,
Qui dans ce travail-là sentent crever leur front
Chapeau bas, mes bourgeois ! Oh ! ceux-là, sont les Hommes !
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir,
Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir,
Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes,
Où, lentement vainqueur, il domptera les choses
Et montera sur Tout, comme sur un cheval !
Oh ! splendides lueurs des forges ! Plus de mal,
Plus ! - Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible :
Nous saurons ! - Nos marteaux en main; passons au crible
Tout ce que nous savons : puis, Frères, en avant !
Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant
De vivre simplement, ardemment, sans rien dire
De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire
D'une femme qu'on aime avec un noble amour :
Et l'on travaillerait fièrement tout le jour,
Ecoutant le devoir comme un clairon qui sonne :
Et l'on se sentirait très heureux; et personne
Oh ! personne, surtout, ne vous ferait ployer !
On aurait un fusil au-dessus du foyer....
.......................................................................................
Que te disais-je donc ? Je suis de la canaille !
Il reste des mouchards et des accapareurs.
Nous sommes libres, nous ! nous avons des terreurs
Où nous nous sentons grands, oh ! si grands !
Tout à l'heure Je parlais de devoir calme, d'une demeure....
Regarde donc le ciel ! - C'est trop petit pour nous,
Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux !
Regarde donc le ciel ! - Je rentre dans la foule
Dans la grande canaille effroyable, qui roule,
Sire, tes vieux canons sur les sales pavés :
- Oh ! quand nous serons morts, nous les aurons lavés
- Et si, devant nos cris, devant notre vengeance,
Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France
Poussent leurs régiments en habits de gala
Eh bien, n'est-ce pas, Vous tous ?-Merde à ces chiens-là !"
.............................................................................................
La foule Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle,
Et, dans la grande cour, dans les appartements,
Où Paris haletait avec des hurlements,
Un frisson secoua l'immense populace
Alors, de sa main large et superbe de crasse
Bien que le roi ventru suât, le Forgeron,
Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front !
Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize
Qui, pâles du baiser fort de la liberté,
Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse
Sur l'âme et sur le front de toute humanité ;
Vous dont les cœurs sautaient d'amour sous les haillons,
O Soldats que la Mort a semés, noble Amante,
Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons ;
Morts de Vakmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,
O million de Christs aux yeux sombres et doux ;
Nous, courbés sous les rois comme sous une trique.
- Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !
A la musique Commentaire du poème
Place de la Gare, à Charleville.
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs,
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.
- L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la valse des fifres :
- Autour, aux premiers rangs, parade le gandin;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres :
Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames;
Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : "En somme !..."
Epatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
savoure son onnaing d'où le tabac par brins
Déborde - vous savez, c'est de la contrebande; -
Le long des gazons verts ricannent les voyous;
Et, rendus amoureux par le chant des trombonnes,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes...
- Moi, je suis débraillé comme un étudiant
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien, et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.
J'ai bientôt déniché la bottine, le bas... Comme d'un cercueil vert en fer blanc, une tête
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Les reins portent deux mots gravés : CLARA VENUS ;
— Elle était fort désabillée
Assise sur ma grande chaise,
— Je regardai, couleur de cire,
— Je baisai ses fines chevilles.
Les petits pieds sous la chemise
— Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Monsieur, j'ai deux mots à te dire... »
— Elle était fort désabillée
.......................................................
Du bon matin bleu, qui vous baigne
De chaque branche, gouttes vertes,
Tu plongerais dans la luzerne
Amoureuse de la campagne,
Riant à moi, brutal d'ivresse,
Ton goût de framboise et de fraise,
Au rose églantier qui t'embête
..........................................................
[Dix-sept ans ! Tu seras heureuse !
- Ta poitrine sur ma poitrine,
Puis, comme une petite morte,
Je te porterais, palpitante,
Je te parlerais dans ta bouche :
Qui coule, bleu, sous ta peau blanche
Nos grands bois sentiraient la sève
..............................................................
Le soir ?... Nous reprendrons la route
Les bons vergers à l'herbe bleue
Nous regagnerons le village
Ça sentira l'étable, pleine
Blanchissant sous quelque lumière;
- Les lunettes de la grand'mère
Moussant entre les larges pipes
Happent le jambon aux fourchettes
Les fesses luisantes et grasses
Frôlé par un mufle qui gronde
[Noire, rogue au bord de sa chaise,
Que de choses verrons nous, chère,
- Puis, petite et toute nichée
Tu viendras, tu viendras, je t'aime !
Elle.- Et mon bureau ?
15 août 1870
A Monsieur Jean Aicard.
Noirs dans la neige et dans la brume,
A genoux, cinq petits,-misère!-
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
Ils écoutent le bon pain cuire.
Ils sont blottis, pas un ne bouge
Quand, pour quelque médianoche,
Quand, sous les poutres enfumées
Que ce trou chaud souffle la vie;
Ils se ressentent si bien vivre,
Collant leurs petits museaux roses
Des chuchotements de prière;
- Si fort, qu'ils crèvent leur culotte
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
— Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.
Le cœur fou robinsonne à travers les
romans,
Et, comme elle vous trouve immensément
naïf,
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au
mois d'août.
— Ce soir-là..., — vous rentrez aux cafés éclatants,
- Je reconstruis les corps, brulé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
- Et mes désirs bruteaux s'accrochent à leurs lèvres ...
Vénus Anadyomène
De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D'une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu'il faut voir à la loupe...
Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
Belle hideusement d'un ulcère à l'anus.
Première soirée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leurs feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, — mouche au rosier.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
Je baisai doucement ses yeux :
— Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c'est encor mieux !...
— Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien...
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Les reparties de Nina
Lui - Ta poitrine sur ma poitrine,
Hein ? nous irions,
Ayant de l'air plein la narine,
Aux frais rayons
Du vin de jour ?...
Quand tout le bois frissonnant saigne
Muet d'amour
Des bourgeons clairs,
On sent dans les choses ouvertes
Frémir des chairs :
Ton blanc peignoir,
Rosant à l'air ce bleu qui cerne
Ton grand œil noir,
Semant partout,
Comme une mousse de champagne,
Ton rire fou :
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh ! - qui boirais
O chair de fleur !
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur,
Aimablement :
Riant surtout, ô folle tête,
A ton amant !....
Oh ! les grands prés,
La grande campagne amoureuse !
- Dis, viens plus près !...]
Mêlant nos voix
Lents, nous gagnerions la ravine,
Puis les grands bois !...
Le cœur pâmé,
Tu me dirais que je te porte,
L'œil mi fermé..
Dans le sentier :
L'oiseau filerait son andante :
Au Noisetier...
J'irais, pressant
Ton corps, comme une enfant qu'on couche,
Ivre du sang
Aux tons rosés :
Et te parlants la langue franche....
Tiens !... - que tu sais...
Et le soleil
Sablerait d'or fin leur grand rêve
Vert et vermeil.
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour
Aux pommiers tors !
Comme on les sent tout une lieue
Leurs parfums forts !
Au ciel mi-noir;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir;
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rhythme d'haleine,
Et de grands dos
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
A chaque pas...
Et son nez long
Dans son missel : le pot de bière
Cerclé de plomb,
Qui, crânement,
Fument : les effroyables lippes
Qui, tout fumant,
Tant, tant et plus :
Le feu qui claire les couchettes
Et les bahuts.
D'un gros enfant
Qui fourre, à genoux, dans les tasses,
Son museau blanc
D'un ton gentil,
Et pourlèche la face ronde
Du cher petit...
Affreux profil,
Une vieille devant la braise
Qui fait du fil;]
Dans ces taudis,
Quand la flamme illumine, claire
Les carreaux gris !...
Dans les lilas
Noirs et frais : la vitre cachée,
Qui rit là-bas....
Ce sera beau.
Tu viendras, n'est-ce pas, et même...
Les Effarés
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond
Regardent le Boulanger faire
Le lourd pain blond...
La pâte grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair :
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Au souffle du soupirail rouge
Chaud comme un sein.
Plein de dorures de brioche
On sort le pain,
Chantent les croûtes parfumées
Et les grillons,
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,
Les pauvres petits pleins de givre,
-Qu'ils sont là, tous,
Au treillage, et disant des choses,
Entre les trous,
Repliés vers cette lumière
De ciel rouvert
- Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d'hiver...
Roman
— Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
— On va sous les tilleuls verts de la promenade.
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits — la ville n'est pas loin —
A des parfums de vigne et des parfums de bière...
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...
La sève est du champagne et vous
monte à la tête...
On divague; on se sent aux lèvres
un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...
— Lorsque, dans la clarté d'un pâle
réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son
père...
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement
vif...
— Sur vos lèvres alors meurent les
cavatines...
Vous êtes amoureux. — Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
— Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...
vous demandez des bocks ou de la limonade...
— On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
Le mal Commentaire du poème
Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour, par l'infini du ciel bleu ;
Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;
Tandis qu'une folie épouvantable, broie
Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ;
— Pauvres morts ! dans l' été, dans l'herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement ! ... —
— Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ;
Qui dans le bercement des hosannah s'endort,
Et se réveille, quand des mères, ramassées
L'homme pâle, le long des pelouses fleuries,
Car l'Empereur est soûl de ses vingt ans d'orgie !
Il est pris. - Oh ! quel nom sur ses lèvres muettes
Il repense peut-être au Compère en lunettes... L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Tu fermeras l'œil, pour ne point voir, par
la glace,
Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !
Rages de César
Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents :
L'Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries
- Et parfois son œil terne a des regards ardents...
Il s'était élit : " Je vais souffler la liberté
Bien délicatement, ainsi qu'une bougie ! "
La liberté revit ! Il se sent éreinté !
Tressaille ? Quel regret implacable le mord ?
On ne le saura pas. L'Empereur a l'œil mort.
- Et regarde filer de son cigare en feu,
Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu.
Rêvé pour l'hiver
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou...
Et tu me diras : « Cherche ! »
en inclinant la tête,
— Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
— Qui voyage beaucoup...
En Wagon, le 7 octobre 1870
Le dormeur du val Commentaire du poème
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil de la montagne fière,
Luit ; C'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pale dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaieuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir Commentaire du poème
Depuis huit jours j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
Du beurre et du jambon qui fût à moitié froid.
Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table
Verte : je contemplai les sujets très naïfs
De la tapisserie. - Et ce fut adorable,
Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs,
- Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! -
Rieuse, m'apporta des tartines de beurre,
Du jambon tiède, dans un plat colorié,
Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse
Dans la salle à manger brune, que parfumait
En mangeant, j'écoutais l'horloge, - heureux et coi.
Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m'aiser;
Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
A droite, Dumanet, appuyé sur la crosse
Un schako surgit, comme un soleil noir... - Au centre,
D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.
La maline
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffée,
- Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,
- Puis, comme ça, - bien sûr, pour avoir un baiser, -
Tout bas : " Sens donc, j'ai pris une froid sur la joue... "
L'éclatante victoire de Sarrebruck
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, - car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Piton remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms !
De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse,
Et : " Vive l'Empereur ! ! ! " - Son voisin reste coi...
Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - : " De quoi ?... "
Le Buffet Commentaire du poème
C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;
Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand-mère où sont peints des griffons ;
- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.
- 0 buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées; Mon unique culotte avait un large trou. Et je les écoutais, assis au bord des routes, Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Seigneur, quand froide est la prairie,
Armée étrange aux cris sévères,
Par milliers, sur les champs de France,
Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
Et les Sièges leur ont des bontés : culottée
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage...
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves,
Puis ils ont une main invisible qui tue :
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières,
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule Dans la feuillée, écrin vert taché d'or, Un faune effaré montre ses deux yeux Et quand il a fui — tel qu'un écureuil —
Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache,
Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Ils signalent aux lois modernes les faunesses.
Quand sa sérénité s'approche des jeunesses,
Je vis assis, tel qu'un ange aux mains d'un barbier,
Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier,
Puis, quand j'ai ravalé mes rêves avec soin,
Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,
Le Printemps est évident, car
Et la Mère, fermant le livre du devoir,
Tout le jour il suait d'obéissance ; très
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d'église
Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire,
Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses,
Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe,
Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote :
Ces effarés y sont et ces épileptiques
Et tous, bavant la foi mendiante et stupide,
Loin des senteurs de viande et d'étoffes moisies,
Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie
Mon triste cœur bave à la poupe... O lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares !
Mai 1871
Jeanne-Marie a des mains fortes,
Ont-elles pris les crèmes brunes
Ont-elles bu des cieux barbares,
Sur les pieds ardents des Madones
Mains chasseresses des diptères
Oh ! quel Rêve les a saisies
- Ces mains n'ont pas vendu d'oranges,
Ce ne sont pas mains de cousine
Ce sont des ployeuses d'échines,
Remuant comme des fournaises,
Ca serrerait vos cous, ô femmes
L'éclat de ces mains amoureuses
Une tache de populace
Elles ont pâli, merveilleuses,
Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées,
Et c'est un soubresaut étrange
Le jeune homme dont l'œil est brillant, la peau brune,
Impétueux avec des douceurs virginales
Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde,
Mais, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce,
Aveugle irréveillée aux immenses prunelles,
Tes haines, tes torpeurs fixes, tes défaillances,
- Quand la femme, portée un instant, l'épouvante,
Ah ! sans cesse altéré des splendeurs et des calmes,
Mais la noire alchimie et les saintes études
Qu'il croie aux vastes fins, Rêves ou Promenades
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.
Ma Bohème
Mon paletot soudain devenait idéal;
J'allais sous le ciel, Muse, et j'étais ton féal;
Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées!
— Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou.
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur!
Les corbeaux
Quand dans les hameaux abattus,
Les longs angelus se sont tus...
Sur la nature défleurie
Faites s'abattre des grands cieux
Les chers corbeaux délicieux.
Les vents froids attaquent vos nids !
Vous, le long des fleuves jaunis,
Sur les routes aux vieux calvaires,
Sur les fossés et sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous !
Où dorment des morts d'avant-hier,
Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver,
Pour que chaque passant repense !
Sois donc le crieur du devoir,
O notre funèbre oiseau noir !
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.
Les assis
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
Sentant les soleils vifs percaliser leur peau,
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
De brun, la paire cède aux angles de leurs reins ;
L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée
Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S'écoutent clapoter des barcarolles tristes,
Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l'œil du fond des corridors !
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l'œil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever
Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales
Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisière
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;
Les bercent, le long des calices accroupis
Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules
- Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
Tête de faune
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille.
Les douaniers
Soldats, marins, débris d'Empire, retraités,
Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des Traités
Qui tailladent l'azur frontière à grands coups d'hache.
Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache,
Ils s'en vont, amenant leurs dogues à l'attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés !
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos.
" Pas de ça, les anciens ! Déposez les ballots ! "
Le Douanier se tient aux appas contrôlés !
Enfer aux Délinquants que sa paume a frôlés !
Oraison du soir
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures.
Mille Rêves en moi font de douces brûlures :
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier
Qu'ensanglante l'or jeune et sombre des coulures.
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour lâcher l'âcre besoin :
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l'assentiment des grands héliotropes.
Chant de guerre parisien
Du cœur des Propriétés vertes,
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes !
O Mai ! quels délirants culs-nus !
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !
Ils ont shako, sabre et tam-tam,
Non la vieille boîte à bougies,
Et des yoles qui n'ont jam, jam...
Fendent le lac aux eaux rougies !
Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières !
Thiers et Picard sont des Eros,
Des enleveurs d'héliotropes ;
Au pétrole ils font des Corots
Voici hannetonner leurs tropes...
Ils sont familiers du Grand Truc !...
Et couché dans les glaïeuls, Favre
Fait son cillement aqueduc,
Et ses reniflements à poivre !
La grand ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole,
Et décidément, il nous faut
Vous secouer dans votre rôle...
Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !
Mes petites amoureuses
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs
Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !
Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !
Un soir, tu me sacras poète,
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron ;
J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron,
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !
0 mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !
Piétinez mes vieilles terrines
De sentiment ;
- Hop donc ! soyez-moi ballerines
Pour un moment !...
Vos omoplates se déboîtent,
0 mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent
Tournez vos tours !
Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !
Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
- Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !
Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !
Accroupissements
Bien tard, quand il se sent
l'estomac écœuré,
Le frère Milotus, un œil à la lucarne
D'où le soleil, clair comme un chaudron récuré,
Lui darde une migraine et fait son regard darne,
Déplace dans les draps son ventre de curé.
Il se démène sous sa couverture grise
Et descend, ses genoux à son ventre tremblant,
Effaré comme un vieux qui mangerait sa prise,
Car il lui faut, le poing à l'anse d'un pot blanc,
A ses reins largement retrousser sa chemise !
Or, il s'est accroupi, frileux, les doigts de pied
Repliés, grelottant au clair soleil qui plaque
Des jaunes de brioche aux vitres de papier;
Et le nez du bonhomme où s'allume la laque
Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier.
........................................................................
Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe
Au ventre : il sent glisser ses cuisses dans le feu,
Et ses chausses roussir, et s'éteindre sa pipe;
Quelque chose comme un oiseau remue un peu
A son ventre serein comme un monceau de tripe !
Autour, dort un fouillis de meubles abrutis
Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres;
Des escabeaux, crapauds étranges, sont blottis
Aux coins noirs : des buffets ont des gueules de chantres
Qu'entrouvre un sommeil plein d'horribles appétits.
L'écœurante chaleur gorge la chambre étroite;
Le cerveau du bonhomme est bourré de chiffons.
Il écoute les poils pousser dans sa peau moite,
Et, parfois, en hoquets fort gravement bouffons
S'échappe, secouant son escabeau qui boite...
........................................................................
Et le soir, aux rayons de lune, qui lui font
Aux contours du cul des bavures de lumière,
Une ombre avec détails s'accroupit, sur un fond
De neige rose ainsi qu'une rose trémière...
Fantasque, un nez poursuit Vénus au ciel profond.
Les poètes de sept ans
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances.
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines.
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son œil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,.
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre.
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor !
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile
Ecrue, et pressentant violemment la voile !
Les pauvres à l'église
Qu'attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux
Vers le choeur ruisselant d'orrie et la maîtrise
Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux ;
Heureux, humiliés comme des chiens battus,
Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire,
Tendent leurs oremus risibles et têtus.
Après les six jours noirs ou Dieu les fait souffrir !
Elles bercent, tordus dans d'étranges pelisses,
Des espèces d'enfants qui pleurent à mourir.
Une prière aux yeux et ne priant jamais,
Regardent parader mauvaisement un groupe
De gamines avec leurs chapeaux déformés.
C'est bon. Encore une heure ; après, les maux sans noms !
- Cependant, alentour, geint, nasille, chuchote
Une collection de vieilles à fanons :
Dont on se détournait hier aux carrefours ;
Et, fringalant du nez dans des missels antiques,
Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours.
Récitent la complainte infinie à Jésus,
Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide,
Loin des maigres mauvais et des méchants pansus,
Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants ;
- Et l'oraison fleurit d'expressions choisies,
Et les mysticités prennent des tons pressants,
Banals, sourires verts, les Dames des quartiers
Distingués, - ô Jésus ! - les malades du foie
Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers.
Le cœur volé
Mon cœur couvert de caporal :
Ils y lancent des jets de soupe,
Mon triste cœur bave à la poupe :
Sous les quolibets de la troupe
Qui pousse un rire général,
Mon triste cœur bave à la poupe,
Mon cœur couvert de caporal !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l'ont dépravé !
Au gouvernail on voit des fresques
Ithyphalliques et pioupiesques.
O flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu'il soit lavé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs quolibets l'ont dépravé !
Quand ils auront tari leurs chiques,
Comment agir, ô cœur volé ?
Ce seront des hoquets bachiques
Quand ils auront tari leurs chiques :
J'aurai des sursauts stomachiques,
Moi, si mon cœur est ravalé :
Quand ils auront tari leurs chiques
Comment agir, ô cœur volé ?
L'orgie parisienne ou Paris se repeuple
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité sainte, assise à l'occident !
Allez ! on préviendra les reflux d'incendie,
Voilà les quais, voilà les boulevards, voilà
Les maisons sur l'azur léger qui s'irradie
Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila !
Cachez les palais morts dans des niches de planches !
L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards.
Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches :
Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards !
Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes,
Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez !
Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes
Qui descend dans la rue. O buveurs désolés,
Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle,
Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants,
Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole,
Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs ?
Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes !
Ecoutez l'action des stupides hoquets
Déchirants ! Ecoutez sauter aux nuits ardentes
Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais !
O cœurs de saleté, bouches épouvantables,
Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs !
Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables...
Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs !
Ouvrez votre narine aux superbes nausées !
Trempez de poisons forts les cordes de vos cous !
Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées
Le Poète vous dit - «O lâches, soyez fous !
Parce que vous fouillez le ventre de la Femme,
Vous craignez d'elle encore une convulsion
Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme
Sur sa poitrine, en une horrible pression.
Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques,
Qu'est-ce que ça peut faire à la putain Paris,
Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ?
Elle se secouera de vous, hargneux pourris !
Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles,
Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus,
La rouge courtisane aux seins gros de batailles
Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus !
Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères,
Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau,
Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires
Un peu de la bonté du fauve renouveau,
O cité douloureuse, ô cité quasi morte,
La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir
Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes,
Cité que le Passé sombre pourrait bénir :
Corps remagnétisé pour les énormes peines,
Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens
Sourdre le flux des vers livides en tes veines,
Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants !
Et ce n'est pas mauvais. Les vers, les vers livides
Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès
Que les Stryx n'éteignaient l'œil des Cariatides
Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés.»
Quoique ce soit affreux de te revoir couverte
Ainsi ; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité
Ulcère plus puant à la Nature verte,
Le Poète te dit : « Splendide est ta Beauté ! »
L'orage te sacra suprême poésie;
L'immense remuement des forces te secourt ;
Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cité choisie !
Amasse les strideurs au cœur du clairon sourd.
Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des Maudits ;
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront. Voilà ! voilà ! bandits !
- Société, tout est rétabli : - les orgies
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire, aux murailles rougies,
Flambent sinistrement vers les azurs blafards !
Les mains de Jeanne-Marie
Mains sombres que l'été tanna,
Mains pâles comme des mains mortes.
- Sont-ce des mains de Juana ?
Sur les mares des voluptés ?
Ont-elles trempé dans des lunes
Aux étangs de sérénités ?
Calmes sur les genoux charmants ?
Ont-elles roulé des cigares
Ou trafiqué des diamants ?
Ont-elles fané des fleurs d'or ?
C'est le sang noir des belladones
Qui dans leur paume éclate et dort.
Dont bombinent les bleuisons
Aurorales, vers les nectaires ?
Mains décanteuses de poisons ?
Dans les pandiculations ?
Un rêve inouï des Asies,
Des Yhenghavars ou des Sions ?
Ni bruni sur les pieds des dieux :
Ces mains n'ont pas lavé les langes
Des lourds petits enfants sans yeux.
Ni d'ouvrières aux gros fronts
Que brûle, aux bois puant l'usine,
Un soleil ivre de goudrons.
Des mains qui ne font jamais mal,
Plus fatales que des machines,
Plus fortes que tout un cheval !
Et secouant tous ses frissons,
Leur chair chante des Marseillaises
Et jamais les Eleisons !
Mauvaises, ça broierait vos mains,
Femmes nobles, vos mains infâmes
Pleines de blancs et de carmins.
Tourne le crâne des brebis !
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis !
Les brunit comme un sein d'hier ;
Le dos de ces Mains est la place
Qu'en baisa tout Révolté fier !
Au grand soleil d'amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
A travers Paris insurgé !
A vos poings, Mains où tremblent nos
Lèvres jamais désenivrées,
Crie une chaîne aux clairs anneaux !
Dans nos êtres, quand, quelquefois,
On veut vous déhâler, Mains d'ange,
En vous faisant saigner les doigts !
Les sœurs de charité
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune
Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu,
Et noires, fier de ses premiers entêtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales,
Qui se retournent sur des lits de diamants ;
Tressaille dans son cœur largement irrité,
Et plein de la blessure éternelle et profonde,
Se prend à désirer sa sœur de charité.
Tu n'es jamais la sœur de charité, jamais,
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.
Tout notre embrassement n'est qu'une question :
C'est toi qui pends à nous, porteuse de mamelles,
Nous te berçons, charmante et grave Passion.
Et les brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excès de sang épanché tous les mois.
Amour, appel de vie et chanson d'action,
Viennent la Muse verte et la Justice ardente
Le déchirer de leur auguste obsession.
Délaissé des deux sœurs implacables, geignant
Avec tendresse après la science aux bras almes,
Il porte à la nature en fleur son front saignant.
Répugnent au blessé, sombre savant d'orgueil ;
Il sent marcher sur lui d'atroces solitudes.
Alors, et toujours beau, sans dégoût du cercueil,
Immenses, à travers les nuits de Vérité,
Et t'appelle en son âme et ses membres malades,
O Mort mystérieuse, ô sœur de charité.
Voyelles Commentaire du poème
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
L'étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,
Le Juste restait droit sur ses hanches solides :
" Par des farces de nuit ton front est épié,
Et le juste restait debout, dans l'épouvante
" Barbe de la famille et poing de la cité,
" Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide,
" C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez !
" Et c'est toi l'œil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes
J'avais crié cela sur la terre, et la nuit
Cependant que, silencieux sous les pilastres
Ah ! qu'il s'en aille, lui, la gorge cravatée
Qu'il dise charités crasseuses et progrès...
A Monsieur Théodore de Banville
Ainsi, toujours, vers l'azur noir
O Poètes, quand vous auriez
O blanc Chasseur, qui cours sans bas
Dis, non les pampas printaniers
Quelqu'un dira le grand Amour,
14 juillet 1871. Alcide Bava
Vraiment, c'est bête, ces églises des villages
La pierre sent toujours la terre maternelle.
Tous les cent ans on rend ces granges respectables
L'enfant se doit surtout à la maison, famille
Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes,
Les filles vont toujours à l'église, contentes
Cependant le Curé choisit pour les enfances
- La Nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.
Le Prêtre a distingué parmi les catéchistes,
La veille du grand Jour, l'enfant se fait malade.
Et, comme un vol d'amour fait à ses sœurs stupides,
Adonaï !... - Dans les terminaisons latines,
- Pour ses virginités présentes et futures
Puis la Vierge n'est plus que la vierge du livre
Des curiosités vaguement impudiques
Elle veut, elle veut, pourtant, l'âme en détresse,
Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite, cambre
A son réveil, - minuit, - la fenêtre était blanche.
Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse
De la nuit, Vierge-Mère impalpable, qui baigne
Et faisant la victime et la petite épouse,
Elle passa sa nuit sainte dans des latrines.
La lucarne faisait un cœur de lueur vive
Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes,
Et quand, ayant rentré tous ses noeuds d'hystéries
"Sais-tu que je t'ai fait mourir ? J'ai pris ta bouche,
"J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines
"Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
"Car ma Communion première est bien passée.
Alors, l'âme pourrie et l'âme désolée
Christ ! ô Christ, éternel voleur des énergies,
Juillet 1871
Quand le front de l'enfant, plein de rouges tourmentes,
Elles assoient l'enfant auprès d'une croisée
Il écoute chanter leurs haleines craintives
Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Voilà que monte en lui le vin de la Paresse, Comme je descendais des Fleuves impassibles, J'étais insoucieux de tous les équipages, Dans les clapotements furieux des marées, La tempête a béni mes éveils maritimes. Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques, J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, J'ai suivi, des mois pleins, pareilles aux vacheries J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises ! J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, Presque île, balottant sur mes bords les querelles Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Libre, fumant, monté de brumes violettes, Qui courais, taché de lunules électriques, Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes. Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèves belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges;
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
L'étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et L'Homme a saigné noir à ton flanc souverain.
L'Homme juste (Fragments)
Un rayon lui dorait l'épaule ; des sueurs
Me prirent : " Tu veux voir rutiler les bolides ?
Et, debout, écouter bourdonner les flueurs
D'astres lactés, et les essaims d'astéroïdes ?
O juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière,
La bouche dans ton drap doucement expié ;
Et si quelque égaré choque ton ostiaire,
Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié ! "
Bleuâtre des gazons après le soleil mort :
" Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente,
O Vieillard ? Pèlerin sacré ! Barde d'Armor !
Pleureur des Oliviers ! Main que la pitié gante !
Croyant très doux : ô cœur tombé dans les calices,
Majestés et vertus, amour et cécité,
Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices !
Je suis celui qui souffre et qui s'est révolté !
Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon !
Je suis maudit, tu sais ! je suis soûl, fou, livide,
Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc,
Juste ! je ne veux rien à ton cerveau torpide.
C'est vrai que ta tendresse et ta raison sereines
Reniflent dans la nuit comme des cétacés,
Que tu te fais proscrire et dégoises des thrènes
Sur d'effroyables becs-de-cane fracassés !
Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,
Tu es lâche ! O ton front qui fourmille de lentes !
Socrates et jésus, Saints et justes, dégoût !
Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes ! "
Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre.
Je relevai mon front : le fantôme avait fui,
Emportant l'ironie atroce de ma lèvre...
- Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui !
D'azur, allongeant les comètes et les noeuds
D'univers, remuement énorme sans désastres,
L'ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux
Et de sa drague en feu laisse filer les astres !
De honte, ruminant toujours mon ennui, doux
Comme le sucre sur la denture gâtée.
- Tel que la chienne après l'assaut des fiers toutous,
Léchant son flanc d'où pend une entraille emportée,
- J'exècre tous ces yeux de Chinois à bedaines,
Puis qui chante : nana, comme un tas d'enfants près
De mourir, idiots doux aux chansons soudaines :
O justes, nous chierons dans vos ventres de grès !
Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d'extases !
A notre époque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dégouts
Dans tes Proses religieuses !
- Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu'on donne au Ménestrel
Avec l'œillet et l'amarante !
Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !
Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta Chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !
L'amour ne passe à tes octrois
Que les Lilas, - ô balançoires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrés des Nymphes noires !...
Les Roses, les Roses soufflées,
Rouges sur tiges de lauriers,
Et de mille octaves enflées !
Quand Banville en ferait neiger,
Sanguinolentes, tournoyantes,
Pochant l'œil fou de l'étranger
Aux lectures mal bienveillantes !
De vos forêts et de vos prés,
O très paisibles photographes !
La Flore est diverse à peu près
Comme des bouchons de carafes !
Toujours les végétaux Français,
Hargneux, phtisiques, ridicules,
Où le ventre des chiens bassets
Navigue en paix, aux crépuscules;
Toujours, après d'affreux desseins
De Lotos bleus ou d'Hélianthes,
Estampes roses, sujets saints
Pour de jeunes communiantes !
L'Ode Açoka cadre avec la
Strophe en fenêtre de lorette;
Et de lourds papillons d'éclat
Fientent sur la Pâquerette.
Vieilles verdures, vieux galons !
O croquignoles végétales !
Fleurs fantasques des vieux Salons !
- Aux hannetons, pas aux crotales,
Ces poupards végétaux en pleurs
Que Grandville eût mis aux lisières,
Et qu'allaitèrent de couleurs
De méchants astres à visières !
Oui, vos bavures de pipeaux
Font de précieuses glucoses !
- Tas d'oeufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, Açokas, Lilas et Roses !...
A travers le Pâtis panique,
Ne peux tu pas, ne dois-tu pas
Connaître un peu ta botanique ?
Tu ferais succéder, je crains,
Aux Grillons roux les Cantharides,
L'or des Rios au bleu des Rhins,
Bref, aux Norvèges les Florides :
Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant,
- C'est la vérité, - de permettre
A l'Eucalyptus étonnant
Des constrictors d'un hexamètre;
Là !... Comme si les Acajous
Ne servaient, même en nos Guyanes,
Qu'aux cascades des sapajous,
Au lourd délire des lianes !
- En somme, une Fleur, Romarin
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excrément d'oiseau marin ?
Vaut-elle un seul pleur de chandelle ?
- Et j'ai dit ce que je voulais !
Toi, même assis là bas, dans une
Cabane de bambous, - volets
Clos, tentures de perse brune,
Tu torcherais des floraisons
Dignes d'Oises extravagantes !...
- Poète ! ce sont des raisons
Non moins risibles qu'arrogantes !...
Noirs d'épouvantables révoltes,
Mais les tabacs, les cotonniers !
Dis les exotiques récoltes !
Dis, front blanc que Phébus tanna,
De combien de dollars se rente
Pedro Velasquez, Habana;
Incague la mer de Sorrente
Où vont les Cygnes par milliers;
Que tes Strophes soient des réclames
Pour l'abatis des mangliers
Fouillés des hydres et des lames !
Ton quatrain plonge aux bois sanglants
Et revient proposer aux Hommes
Divers sujets de sucres blancs,
De pectoraires et de gommes !
Sachons par Toi si les blondeurs
Des Pics neigeux, vers les Tropiques,
Sont ou des insectes pondeurs
Ou des lichens microscopiques !
Trouve, ô Chasseur, nous le voulons,
Quelques garances parfumées
Que la Nature en pantalons
Fasse éclore ! - pour nos Armées !
Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles à des mufles,
D'où bavent des pommades d'or
Sur les cheveux sombres des Buffles !
Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu
Tremble l'argent des pubescences,
Des Calices pleins dOeufs de feu
Qui cuisent parmi les essences !
Trouve des Chardons cotonneux
Dont dix nes aux yeux de braises
Travaillent à filer les noeuds !
Trouve des Fleurs qui soient des chaises !
Oui, trouve au cœur des noirs filons
Des fleurs presque pierres, - fameuses ! -
Qui vers leurs durs ovaires blonds
Aient des amygdales gemmeuses !
Sers-nous, ô Farceur, tu le peux,
Sur un plat de vermeil splendide
Des ragouts de Lys sirupeux
Mordant nos cuillers Alfénide !
Voleur des Sombres Indulgences :
Mais ni Renan, ni le chat Murr
N'ont vu les Bleus Thyrses immenses !
Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
Par les parfums les hystéries;
Exalte-nous vers des candeurs
Plus candides que les Maries....
Commerçant ! colon ! médium !
Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
Comme un rayon de sodium,
Comme un caoutchouc qui s'épanche !
De tes noirs Poèmes, - Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s'évadent d'étranges fleurs
Et des papillons électriques !
Voilà ! c'est le Siècle d'enfer !
Et les poteaux télégraphiques
Vont orner, - lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques !
Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre !
- Et, pour la composition
De Poèmes pleins de mystères
Qu'on doive lire de Tréguier
A Paramaribo, rachète
Des Tomes de Monsieur Figuier,
- Illustrés ! - chez Monsieur Hachette !
A.R.
Les premières communions
Où quinze laids marmots encrassant les piliers
écoutent, grasseyant les divins babillages,
Un noir grotesque dont fermentent les souliers :
Mais le soleil éveille à travers des feuillages
Les vieilles couleurs des vitraux irréguliers.
Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux
Dans la campagne en rut qui frémit solennelle
Portant près des blés lourds, dans les sentiers ocreux,
Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle,
Des noeuds de mûriers noirs et de rosiers fuireux.
Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé :
Si des mysticités grotesques sont notables
Près de la Notre Dame ou du Saint empaillé,
Des mouches sentant bon l'auberge et les étables
Se gorgent de cire au plancher ensoleillé.
Des soins naifs, des bons travaux abrutissants;
Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille
Où le Prêtre du Christ plaqua ses doigts puissants.
On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille
Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts brunissants.
Sous le Napoléon ou le Petit Tambour
Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes
Tirent la langue avec un excessif amour
Et que joindront, au jour de science, deux cartes,
Ces seuls doux souvenirs lui restent du grand Jour.
De s'entendre appeler garces par les garçons
Qui font du genre après messe ou vêpres chantantes.
Eux qui sont destinés au chic des garnisons
Ils narguent au café les maisons importantes
Blousés neuf, et gueulant d'effroyables chansons.
Des dessins; dans son clos, les vêpres dites, quand
L'air s'emplit du lointain nasillement des danses
Il se sent, en dépit des célestes défenses,
Les doigts de pied ravis et le mollet marquant...
Congrégés des Faubourgs ou des Riches Quartiers,
Cette petite f1lle inconnue, aux yeux tristes,
Front jaune. Les parents semblent de doux portiers.
" Au grand Jour, le marquant parmi les Catéchistes,
Dieu fera sur ce front neiger ses bénitiers. "
Mieux qu'à l'Eglise haute aux funèbres rumeurs,
D'abord le frisson vient, - le lit n'étant pas fade-
Un frisson surhumain qui retourne : "Je meurs..."
Elle compte, abattue et les mains sur son cœur,
Les Anges, les Jésus et ses Vierges nitides
Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur.
Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils
Et tachés du sang pur des célestes poitrines,
De grands linges neigeux tombent sur les soleils !
Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission,
Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures
Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion !
Les mystiques élans se cassent quelquefois...
Et vient la pauvreté des images, que cuivre
L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois;
Epouvantent le rêve aux chastes bleuités
Qui s'est surpris autour des célestes tuniques,
Du linge dont Jésus voile ses nudités.
Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds
Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse,
Et bave... - L'ombre emplit les maisons et les cours.
Les reins et d'une main ouvre le rideau bleu
Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre
Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu...
Devant le sommeil bleu des rideaux illunés,
La vision la prit des candeurs du dimanche;
Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez
Pour savourer en Dieu son amour revenant
Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse
Le cœur, sous l'œil des cieux doux, en les devinant;
Tous les jeunes émois de ses silences gris;
Elle eut soif de la nuit forte où le cœur qui saigne
Ecoule sans témoin sa révolte sans cris.
Son étoile la vit, une chandelle aux doigts
Descendre dans la cour où séchait une blouse,
Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits.
Vers la chandelle, aux trous du toit coulait l'air blanc,
Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines,
En deçà d'une cour voisine s'écroulant.
Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils
Les vitres; les pavés puant l'eau de lessive
Souffraient l'ombre des murs bondés de noirs sommeils.
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Et ce qu'il lui viendra de haine, ô sales fous
Dont le travail divin déforme encor les mondes,
Quand la lèpre à la fin mangera ce corps doux ?
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Elle verra, sous les tristesses du bonheur,
L'amant rêver au blanc million des Maries,
Au matin de la nuit d'amour, avec douleur :
Ton cœur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez;
Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés !
Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts !
Tu baisais mes cheveux profonds comme les laines
Et je me laissais faire.... ah ! va, c'est bon pour vous,
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs
La plus prostituée et la plus douloureuse,
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs !
Tes baisers, je ne puis jamais les avoir sus :
Et mon cœur et ma chair par ta chair embrassée
Fourmillent du baiser putride de Jésus !"
Sentiront ruisseler tes malédictions.
- Ils auront couché sur ta Haine inviolée,
Echappés, pour la mort, des justes passions.
Dieu qui pour deux mille ans vouas à ta pâleur
Cloués au sol, de honte et de céphalalgies
Ou renversés les fronts des femmes de douleur.
Les chercheuses de poux
Implore l'essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.
Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs
Et, dans ses lourds cheveux où tombe la rosée,
Promène leurs doigts fins, terribles et charmeurs.
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés
Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter, parmi ses grises indolences,
Sous leurs ongles royaux, la mort des petits poux.
Soupir d'harmonica qui pourrait délirer :
L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
Le bateau ivre
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
Porteur de blés flamands et de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'œil niais des falots !
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelques fois ce que l'homme a cru voir !
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très-antiques
Les flots roulant au loin leurs frissonsde volets !
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !
Mêlant aux fleurs des yeux des panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulement d'eau au milieu des bonacees,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés de punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instant.
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombres aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...
Et les fientes d'oiseaux clabotteurs aux yeux blonds.
Et je voguais lorqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir à reculons !
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repéché la carcasse ivre d'eau ;
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient couler à coups de trique
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future vigueur ? -
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Enlever leurs sillages aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.