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La rencontre entre Swann et Odette dans Un amour de Swann, de Marcel Proust :
Introduction
Marcel Proust (1871 - 1922) est un écrivain français. Son œuvre principale
À la recherche du temps perdu, déclinée en sept tomes, l'a rendu célèbre.
Cette œuvre est basée sur le souvenir. Ce n'est pas une œuvre autobiographique puisque
Proust a inventé un univers en se basant sur sa vie. Toute l'œuvre est écrite à la première personne du singulier cependant ce « Je est un neutre » comme dirait Aragon. Seul un volume n'est pas écrit à la première personne :
Un amour de Swann où il raconte la rencontre entre Swann et sa future femme, Odette. Il lui trouvera des airs d'une des filles de Jethro dans l'œuvre de Botticelli, Les filles de Jethro. Odette est une femme entretenue, elle passe d'un "amour" à un autre. Au début, Swann ne le sait pas puisque l'ami qui les présente la fait passer pour plus difficile qu'elle ne l'est en réalité.
Texte étudié
Mais, tandis que chacune de ces liaisons, ou chacun de ces flirts, avait été la réalisation plus ou moins complète d'un rêve né de la vue d'un visage ou d'un corps que Swann avait, spontanément, sans s'y efforcer, trouvés charmants, en revanche, quand un jour au théâtre il fut présenté à Odette de Crécy par un de ses amis d'autrefois, qui lui avait parlé d'elle comme d'une femme ravissante avec qui il pourrait peut-être arriver à quelque chose, mais en la lui donnant pour plus difficile qu'elle n'était en réalité afin de paraître lui-même avoir fait quelque chose de plus aimable en la lui faisant connaître, elle était apparue à Swann non pas certes sans beauté, mais d'un genre de beauté qui lui était indifférent, qui ne lui inspirait aucun désir, lui causait même une sorte de répulsion physique, de ces femmes comme tout le monde a les siennes, différentes pour chacun, et qui sont l'opposé du type que nos sens réclament. Pour lui plaire elle avait un profil trop accusé, la peau trop fragile, les pommettes trop saillantes, les traits trop tirés. Ses yeux étaient beaux, mais si grands qu'ils fléchissaient sous leur propre masse, fatiguaient le reste de son visage et lui donnaient toujours l'air d'avoir mauvaise mine ou d'être de mauvaise humeur. Quelque temps après cette présentation au théâtre, elle lui avait écrit pour lui demander à voir ses collections qui l'intéressaient tant, « elle, ignorante qui avait le goût des jolies choses », disant qu'il lui semblait qu'elle le connaîtrait mieux, quand elle l'aurait vu dans « son home » où elle l'imaginait « si confortable avec son thé et ses livres », quoiqu'elle ne lui eût pas caché sa surprise qu'il habitât ce quartier qui devait être si triste et « qui était si peu smart pour lui qui l'était tant ». Et après qu'il l'eut laissée venir, en le quittant, elle lui avait dit son regret d'être restée si peu dans cette demeure où elle avait été heureuse de pénétrer, parlant de lui comme s'il avait été pour elle quelque chose de plus que les autres êtres qu'elle connaissait, et semblant établir entre leurs deux personnes une sorte de trait d'union romanesque qui l'avait fait sourire. Mais à l'âge déjà un peu désabusé dont approchait Swann, et où l'on sait se contenter d'être amoureux pour le plaisir de l'être sans trop exiger de réciprocité, ce rapprochement des cœurs, s'il n'est plus comme dans la première jeunesse le but vers lequel tend nécessairement l'amour, lui reste uni en revanche par une association d'idées si forte, qu'il peut en devenir la cause, s'il se présente avant lui. Autrefois on rêvait de posséder le cœur de la femme dont on était amoureux ; plus tard sentir qu'on possède le cœur d'une femme peut suffire à vous en rendre amoureux.
Un amour de Swann - Marcel Proust (1913)
Annonce des axes
I. Une rencontre atypique
1. Arrivée d'Odette retardée
2. Un épisode antérieur à la narration
3. Un amour qui semble peu probable
II. Une relation annoncée
1. Une séduction annoncée compliquée, à tort
2. Une relation déséquilibrée
Commentaire littéraire
I. Une rencontre atypique
1. Arrivée d'Odette retardée
L'arrivée d'Odette est retardée par la longueur de la phrase « Mais, tandis que… » avec 2 circonstancielles, 8 relatives, 2 comparatives.
C'est une phrase très complexe et longue, c'est seulement au terme de cette phrase qu'Odette apparaît. Cette arrivée retardée va permettre de développer le point de vue de Swann.
2. Un épisode antérieur à la narration
Le narrateur raconte l'histoire de cette rencontre en utilisant le plus-que-parfait ce qui a une valeur de passé révolu. Cet extrait raconte des événements antérieurs à d'autres événements. On peut donc dire que c'est un récit enchâssé, et cet extrait est un épisode à part. Ainsi, on fait face à un décalage temporel.
3. Un amour qui semble peu probable
Contrairement à une scène de rencontre amoureuse classique, la suite du portrait est composée de remarques à caractère négatif. Swann a un point de vue péjoratif et même cruel envers Odette. « Profil trop accusé », « Ses yeux étaient beaux,
mais…. » : tout est vu avec des modélisateurs négatifs, de façon négative. Le portrait n'est pas valorisant pour Odette.
On peut faire un rapprochement avec l'
incipit de Aurélien d'Aragon où tout est clairement négatif également. En effet dans l'extrait que nous étudions, même lorsqu'un compliment apparaît enfin, il est désamorcé.
La relation qui devrait découler de cette rencontre paraît impossible à ce stade.
II. Une relation annoncée
1. Une séduction annoncée compliquée, à tort
L'ami de Swann va l'offrir comme difficile à conquérir (« en la lui donnant pour plus difficile qu'elle n'était en réalité ») alors qu'il n'y a pas de difficulté puisque c'est une femme entretenue afin de stimuler l'amour propre de Swann. Effectivement, Swann n'aura aucune difficulté à la séduire et il sera fier de lui.
L'ami en question est nommé « amis d'autrefois », ce qui laisse sous-entendre que ce n'est plus vraiment le cas et laisse donc le doute au lecteur sur les intentions de cet ami, et si cette rencontre est positive ou non pour Swann.
Le narrateur prend ses distances par rapport aux propos d'Odette en mettant ses paroles entre guillemets. Mais même quand le narrateur est absent il porte un jugement en analysant « pour plus difficile qu'elle n'était en réalité » : remarque dévalorisante pour Odette.
2. Une relation déséquilibrée
On note un déséquilibre social net : Swann est de la haute société tandis qu'Odette est une femme entretenue, et ainsi d'un niveau socialement qui est largement inférieur à celui de Swann.
Pour s'élever socialement, Odette recherche à aller chez Swann, à se rapprocher de lui. Cependant, cette femme est décrite comme ridicule puisqu'elle utilise des termes anglais de manière quelque peu ridicule («
smart »), ceci met donc d'autant plus de distance entre Swann et Odette. De plus, la femme joue l'ignorante et a une démarche d'homme en envoyant la première lette à Swann.
Swann qui est plus âgé qu'Odette, n'est plus dans l'attente d'un amour réciproque (« mais à l'âge déjà un peu désabusé… ») et il est ainsi amusé par l'attitude d'Odette. Le narrateur laisse entendre qu'il va arriver quelque chose entre Odette et Swann : Swann pourrait bien s'éprendre d'Odette (« sentir qu'on possède le cœur d'une femme peut suffire à vous en rendre amoureux »).
Conclusion
Dans cet extrait de
Un amour de Swann, l'amour est dévalorisé. Nous n'avons pas ci affaire à un coup de foudre sentimental, mais plutôt une sorte d'arrangement des cœurs… La description d'Odette est assez négative, et pourtant le narrateur laisse entendre que Swann pourrait s'éprendre d'Odette uniquement parce que celle-ci est éprise de lui.