Plan de l'analyse de 
Pierrots de Laforgue :
     Pierrots, de Jules Laforgue (1860 - 1887), est un poème que l’on peut qualifier
  de moderne. Il est tiré de L’imitation de Notre-Dame
  la lune.
  Le personnage lunaire de Pierrot est inspiré à Laforgue par sa
  propre condition.
     Laforgue transforme la silhouette blanche de Pierrot en une image grinçante
  et caricaturale qui incarne la dérision, le déchirement et la
  marginalité. Poème douloureux. Le poète exprime sa douleur.
     En sept strophes composées d’octosyllabes, en sept quatrains.
  Laforgue nous présente une image distordue qui accentue certains caractères
  du personnage en jouant sur les contrastes. Esthétique moderne => cubisme.
  Brise l’harmonie. Valeur symbolique puis cette esthétique traduit
  une douleur, la désarticulation de la vie.
     Le lecteur peut s’interroge sur les intentions du poète et sur
  les sens symboliques qu’il confère à son Pierrot, qui est
  comme son double.
  

Jules Laforgue
  
  
Texte du poème Pierrots
Pierrots
  I
  
C'est, sur un cou qui, raide, émerge
    D'une fraise empesée idem,
    Une face imberbe au cold-cream,
    Un air d'hydrocéphale asperge.
  Les yeux sont noyés de l'opium
    De l'indulgence universelle,
    La bouche clownesque ensorcèle
    Comme un singulier géranium.
  Bouche qui va du trou sans bonde
    Glacialement désopilé,
    Au transcendantal en-allé
    Du souris vain de la Joconde.
  Campant leur cône enfariné
    Sur le noir serre-tête en soie,
    Ils font rire leur patte d'oie
    Et froncent en trèfle leur nez.
  Ils ont comme chaton de bague
    Le scarabée égyptien,
  À 
    leur boutonnière fait bien
    Le pissenlit des terrains vagues.
  Ils vont, se sustentant d'azur !
    Et parfois aussi de légumes,
    De riz plus blanc que leur costume,
    De mandarines et d'œufs durs.
  Ils sont de la secte du Blême,
    Ils n'ont rien à voir avec Dieu,
    Et sifflent: « tout est pour le mieux
  «
    Dans la meilleur' des mi-carême ! »
    
Jules Laforgue
L’Imitation de Notre-Dame de la Lune (1886)
 
Annonce des axes
I. Le personnage de Pierrot, personnage reconnaissable
1. Un personnage traditionnel
2. Le jeu des contrastes
3. Rapport entre comique et tristesse
II. Interprétation personnelle du personnage
1. Aspect réaliste
2. Personnage transcendant le réel
3. L'assimilation du poète au Pierrot
III. Le Pierrot comme allégorie de l'artiste
Commentaire littéraire
I. Le personnage de Pierrot, personnage reconnaissable
1. Un personnage traditionnel
  
« C’est » (vers 1) est représentatif  => description
    - présentation très familière et offre au lecteur des
    traits reconnaissables - portrait physique comme moral.
    Silhouette familière : insistance sur la raideur du personnage « minceur »,
    hauteur et disproportion. Tout le contraire d’un personnage harmonieux,
    gracieux (raide, idem). Le recours à une expression latine est une
    tournure familière : Idem = laconique, brutale.
    La métaphore « hydrocéphale asperge » confine à la
    caricature. C’est péjoratif. Dimension caricaturale et contraste : dysharmonie. C’est aussi une sorte d’
oxymore. Exagération ; côté excessif du contraste.
    Pierrot a aussi une blancheur excessive.
    Nous avons la forme générale de sa silhouette complétée
    par les éléments du costume. Anglicisme confine à la
    caricature (cold cream), et est dysharmonieux car il y a beaucoup de consonnes.
    Silhouette familière. Attitude : « se sustentant d’azur » évoque
    le caractère aérien et léger d’un personnage en
    dehors des réalités terrestres. « Ils vont » évoque
    aussi l’errance nonchalante, hasardeuse. Ce la s’accorde avec
    son caractère lunaire. Cette évocation renforce le jeu de contraste.
2. Le jeu des contrastes
Dans les évocations de couleurs et sur le visage des Pierrots : trois
    couleurs dominent, en oppositions : 
    blanc et noir (vers 13-14) et le rouge. En effet, les strophes 2 et 3 insistent
    suer la bouche : « singulier géranium » (rouge). Adjectif
    clownesque suggère un maquillage outré, renforcé par
    l’évocation du géranium qualifié de singulier.
    Au vers 23-25 => rappel de la dominante blanche.
    Dans la présentation de la bouche :
    Au vers 10, 
oxymore « glacialement désopilé » :
    maximum de rires et de froideur. Bouche : parole. Rapport métonymique,
    l’organe de la parole. Cette 
oxymore attire l’attention sur un
    rire qui n’en est pas un.
  « 
    Ils font rire leurs pattes d’oies » => on est dans le rire et
    la grimace. Faux sourire qui a à voir avec le maquillage. Personnage énigmatique,
    difficile à déchiffrer. Reflète bien la condition du
    poète. flirt avec la dérision et le tragique.
    Mystérieux sourire de la Joconde : plus humain. Le « transcendantal
    en-allé » sourire de la Joconde : entre le sublime et la
    vanité.
    Renvoie à la double appartenance de Pierrot : au monde du rire et à celui
    de la mélancolie.
3. Rapport entre comique et tristesse
Aspect caricatural comme peut l’être un clown et se double d’une
    signification mystique.
    Gentillesse du personnage qui va jusqu'à la plaisanterie : hydrocéphale
    asperge, « ses yeux sont noyés », « L’indulgence
    universelle » => personnage dénué de malice.
    Caractère lunaire, mystique du personnage : lune, astre de a mélancolie.
    Appartenance à une secte (« scarabée », « secte
    du blême »). Mystique égyptienne. Régime alimentaire
    bizarre. Isole Pierrot de la communauté des hommes.
    Le poète reprend les éléments traditionnels du personnage
    de Pierrot mais les reprend dans une esthétique très moderne,
    dispersée. Le poète a recherché un effet de désordre
    dans la présentation.
    Dans ce portrait se dégage un contraste. Lecture Laforienne du personnage
    de Pierrot.
	
II. Interprétation personnelle du personnage
Personnage dérisoire intégré au réel et intemporel  (Laforgue).
 Beaucoup de pluriels dans l’évocation du personnage : diversité d’acteurs
    plus plusieurs personnages de Pierrot. Démultiplication du personnage.
1. Aspect réaliste
Pierrot intégré au réel => modernité du poème.
    Détails triviaux de la vie quotidienne (vers 9-19-20) : contraire
    de la fleur poétique : pissenlit : fleur du pauvre = sens péjoratif.
    Nourriture : œufs durs, riz blancs.
    Dimension symbolique car nourriture peu variée. Allusion au poète
    pauvre. Vers 22 => « aussi », rapprochement à deux
    registres opposés. Vers 15 : « patte d’oie ».
    Evocation de la condition de beaucoup d’artistes. Mélancolie
    du temps. Vie triste de Laforgue.
2. Personnage transcendant le réel
A force d’humanité : grotesque, aspect déformé que
    ce personnage transcende le monde humain.
    Devient 1 personnage hézothérique : opium => paradis artificiel
    de 
Baudelaire. « ensorcelé », allusion à la magie.
    Pierrot est communication avec un au-delà = couleur, parfums.
    Scarabée : dimension hézothérique plus sectaire.
    => Etre complexe dont les contradictions sont exacerbées et détournées
    par l’ironie. Volonté d’exorciser le mal de vivre.
3. L’assimilation du poète au Pierrot
L’image de Pierrot est récurrente chez Laforgue. Le titre 
Pierrots est au pluriel (indice de récurrence). Cela laisse à penser
    qu’il se sent proche des Pierrots par leur maladresse et leur gentillesse.
    Le Pierrot incarne le dérisoire de la condition humaine. Le jeu des
    oppositions fait de ce personnage à la fois prisonnier du quotidien
    et capable de s’évader. Le poème Pierrots joue sur ce
    qui est subit et sur ce qui est dominé. La première strophe
    montre un être qui subit mais les verbes « ensorceler », « font
    rire », « fronce », « siffle » suggèrent
    des initiatives, des capacités d’action. L’image de la
    patte d’oie en rire tout comme les deux derniers vers proposent un
    optimisme calqué sur celui de Candide (« tout est pour le mieux,
    dans le meilleur des mondes ») et montre que l’on vit dans un
    monde de carnaval. Le texte insiste sur la capacité qu’ont les
    pierrots de modifier le cours des choses.
    Le pierrot est une allégorie de l’artiste, du créateur.
	
III. Le Pierrot comme allégorie de l’artiste
Cette distorsion apparaît comme le poète. Le poète donne
    une vision du monde distordue. Il y a un poète magicien, la tête
    dans l’azur et les pieds dans les terrains vagues. Le poète
    est comme un Dandy (issu de 
Baudelaire), poète mondain et artiste à la
    fois. Au vers 19, souci de l’esthétique. Le poète veut
    rire et faire rire mais son rire est glacial. Renvoi à un poète
    contemporain de Laforgue, Tristan, Corbière (chez 
Verlaine, Nerval,
    
Rimbaud). Le poète exorcise son déchirement intérieur
    par le rire. Le poète est déchiré entre l’art
    et le monde (un système de défense).
    Le poète est unique et démultiplié, grotesque et sublime,
    terrestre et aérien, il illustre la complexité de la condition
    du poète.
	  
Conclusion
     Le personnage de Pierrot est omniprésent au XIXème siècle.
      Il doit son importance à sa capacité d’incarner la
      double condition de l’homme et de l’artiste. Il représente
      le monde magique du théâtre, des masques et il fait rêver.
      Sa vocation traditionnelle, c’est sa double appartenance terrestre
      et lunaire, ce qui explique son succès, c’est qu’il
      incarne les difficultés de la création.
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