Plan de l'analyse de
L'horloge de Charles Baudelaire :
Introduction
L'horloge, de
Charles Baudelaire, est le dernier poème de la section
Spleen et Idéal du recueil
Les Fleurs du mal.
Le thème du temps est très présent dans
Les Fleurs du Mal. Par sa composition, le poème
L'horloge est une image du temps : 6 strophes de 4 alexandrins = 24, comme les 24 heures de la journée. Ici, Baudelaire donne la parole au temps, et le montre comme un être puissant, destructeur, imbattable.
Texte du poème
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Lu par Lemoko - source : litteratureaudio.com
LXXXV - L'Horloge
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible
1,
Dont le doigt nous menace et nous dit : «
Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide2 au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi, prodigue3 ! Esto memor4 !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre5, sont des gangues6
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide7
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir8 même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »
Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal
1 impassible : ne montrant aucune émotion
2 sylphide : esprit de l'air qui vole grâce à des ailes (mythologies gauloise, celte et germanique)
3 prodigue : qui dépense sans limite
4 remember, Esto memor : souviens-toi en anglais et latin
5 folâtre : qui ne pense qu'à jouer
6 gangue : matière sans valeur qui entoure une pierre précieuse ou un minerai
7 avide : qui désire quelque chose avec impatience
8 repentir : regret pour une faute commise, et désir de réparer cette faute
Plan du texte pour l'analyse linéaire
I. Le douloureux temps qui passe efface les moments de joie
Quatrains 1 et 2 : du début à "…pour toute sa saison."
II. Invitation à profiter de chaque instant
Quatrains 3 et 4 : de " Trois mille six cents fois…" à "…sans en extraire l'or !"
III. Le temps mène inexorablement à la mort
Quatrains 5 et 6 : de "Souviens-toi que le Temps…" à la fin
Analyse linéaire
I. Le douloureux temps qui passe efface les moments de joie
Vers 1 à 8 : du début à "…pour toute sa saison."
Le poème débute par une brutale apostrophe à l'horloge au vers 1, "Horloge" étant le premier mot du poème, et souligné par un point d'exclamation.
L'horloge est une allégorie du temps.
L'horloge est
personnifiée et diabolisée "dieu sinistre".
Le terme "dieu" montre la supériorité de l'horloge sur les hommes, elle impose sa loi aux hommes, mais ce n'est pas une loi plaisante comme le montre l'adjectif "sinistre".
Au vers 2, l'horloge est présentée explicitement comme une menace "dont le doigt nous menace".
Dans tout le premier quatrain, on remarque une allitération en [d], et les 2 premiers vers ont un rythme très haché (groupes de 3 pieds), donnant ainsi en effet de tic-tac d'horloge.
Le poème se veut universel, avec le pronom personnel "nous" au vers 2 qui montre une
expérience commune : "nous" désigne tous les hommes, mais aussi expérience individuelle : "souviens-toi".
L'utilisation de l'impératif "souviens-toi" montre que ce n'est pas un choix, mais une obligation : on ne peut pas se soustraire au temps.
Ensuite, le poème devient une prosopopée (figure de style qui consiste à faire parler et agir une personne que l'on évoque), comme le montre l'ouverture des guillemets au vers 2 (c'est donc l'horloge qui parle), guillemets qui seront refermés à la fin du poème. Cela rend le poème plus vivant, et l'horloge plus menaçante puisqu'elle menace directement l'homme.
Au vers 3 et 4, le temps est synonyme de douleur : ''vibrantes Douleurs", "dans ton cœur […] se planteront". Le mot "Douleurs" est mis en relief avec l'utilisation de la majuscule. Le terme "effroi" est en écho avec le terme "effrayant" du vers 1.
L'utilisation du futur de l'indicatif "se planteront" (vers 4) ne laisse pas d'alternative : cela doit se passer, c'est une fatalité. Et cela est imminent, comme le montre l'adverbe de temps "bientôt".
Le deuxième quatrain montre que le temps chasse les plaisirs. Comme en réponse à "Douleur" du vers 3, le mot "Plaisir" au vers 5 a une majuscule, et l'adjectif qui le qualifie commence par un "v" ("vibrantes Douleurs" / "Plaisir vaporeux"). Cela souligne l'antithèse entre ces deux notions.
L'adjectif "vaporeux" évoque quelque chose qu'on ne peut retenir, comme une vapeur qui s'envole. L'
allitération en [v] du vers 5 ("vaporeux" "vers") imposant un rythme plus lent évoque cette évaporation.
Au vers 6, l'allitération en [s] évoque quelque chose qui glisse, comme la fuite de la sylphide ("Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse"). Dans ce vers, l'allusion à "la coulisse", qui est la partie du théâtre dans laquelle les acteurs se cachent du public quand ils ne jouent pas, montre que l'homme joue la comédie de la vie, et quand, poussé par le temps, il retourne dans la coulisse il retourne vers la mort puisqu'il n'est plus visible.
Au vers 7 et 8, le temps ronge l'existence, et particulièrement ses moments heureux, comme le montre la
métaphore : "Chaque instant te dévore un morceau du délice". Le temps est animalisé, car "dévorer" est un verbe utilisé pour les animaux.
Le mot saison au vers 8 est encore une allusion au temps : le délice n'est accordé que pour une saison, donc a fatalement une durée limitée.
II. Invitation à profiter de chaque instant
Vers 9 à 16 : de " Trois mille six cents fois…" à "…sans en extraire l'or !"
Le champ lexical du temps est omniprésent dans tout le poème, montrant l'obsession du poète contre le temps qui passe.
Au vers 9 ("Trois mille six cents fois par heure"), la progression du temps répond à une loi mathématique, donc que l'on ne peut changer : c'est une loi de la nature.
Différentes unités du temps sont citées dans le poème : "seconde", "minute", "heure", "jour", "saison", Baudelaire veut dresser un tableau le plus complet possible (allégorie).
Au vers 9/10 ("la Seconde / Chuchote"),
le temps est personnifié (verbe chuchoter et emploi de la majuscule), ce qui permet de rendre cette notion abstraite plus compréhensible.
Dans ce troisième quatrain, tout donne une impression d'accélération du temps : les
enjambements des vers 9/10 et 10/11 accélèrent le rythme du poème, la "Seconde" au vers 9 est une unité de temps qui est courte, donc rapide, et au vers 10 on a l'adjectif "rapide".
Ensuite, Baudelaire utilise
la métaphore filée de l'insecte (vers 10 à 12 : "sa voix / D'insecte […] j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde") pour illustrer le temps qui avance, et que l'homme est promis inexorablement à la mort ("j'ai pompé ta vie"). L'image de l'insecte montre une activité sans relâche du temps.
Au vers 12, l'
assonance en [on] ("pompé ta vie avec ma trompe immonde") crée un effet dissonant (succession désagréable de sons), comme pour illustrer de manière négative ce vers.
Au vers 11 ("Maintenant dit : Je suis Autrefois"), l'antithèse présent / passé (avec emploi de majuscule pour souligner les deux adverbes de temps) indique le passage du temps, et cette horloge toute-puissante qui est à la fois passé et présent.
Au vers 13 et 14, l'horloge "parle toutes les langues" (comme illustré au vers 13), ce qui confirme la portée universelle du poème : la fuite du temps concerne tous les hommes, quelles que soient leurs origines.
Baudelaire nous présente l'homme comme un être insouciant qui laisse échapper sa vie sans conscience de sa préciosité ("prodigue" au vers 13, "mortel folâtre" au vers 15).
Les vers 15 et 16 sont un avertissement :
il faut profiter de la vie, et en apprécier chaque instant, chaque "minute", puisqu'elles contiennent de "l'or", l'or étant une métaphore des moments précieux de la vie. Il ne faut pas céder à la paresse, le carpe diem est la seule réponse possible au temps, il faut savourer chaque minute de la vie.
III. Le temps mène inexorablement à la mort
Vers 17 à 24 : de "Souviens-toi que le Temps…" à la fin
Au vers 17, Baudelaire personnifie de nouveau le temps ("le Temps est un joueur avide").
De nouveau, comme au vers 9,
la fatalité de l'écoulement du temps se fait sentir (vers 18 : "à tout coup ! c'est la loi"). L'emploi du présent de vérité générale et la brièveté de la phrase "c'est la loi." montre qu'il n'y a pas de discussion possible.
Le vers 18 divisé en 4 parties de 3 pieds ("Qui gagne/ sans tricher,/ à tout coup !/ c'est la loi") est comme une accumulation de preuves que on ne peut arrêter le temps.
Les vers 19 et 20 montrent une construction parallèle, qui montre la mécanique inflexible du temps, en écho avec "loi" du vers 18. On a deux relations de cause à effet, la cause étant séparée de l'effet dans chaque vers par un point-virgule.
Au vers 20, on retrouve la métaphore du temps qui serait insatiable ("a toujours soif"). On a l'impression d'un compte à rebours,
le temps défile sous nos yeux avec la clepsydre (instrument ancien, sorte de sablier) qui se vide et qui symbolise l'écoulement du temps. L'emploi du mot "clepsydre", instrument ancien, n'est pas anodin, il semble montrer que ce qui est dit dans ce poème est vrai depuis tout temps.
Tout le poème fait ressentir que l'homme est impuissant face au temps.
Le dernier quatrain prend un ton beaucoup plus tragique, avec des expressions faisant penser à une tragédie classique : "divin Hasard" vers 21, "auguste Vertu" vers 22, ton lyrique avec l'interjection "oh !" vers 23, présence de la mort vers 24.
Ce dernier quatrain est effectivement un dénouement classique pour une tragédie : la mort.
Au vers 21, comme au vers 4, l'utilisation du futur ne laisse pas d'alternative, cela va se produire ("Tantôt sonnera l'heure").
Au vers 22, le fait que "l'auguste Vertu" soit "encor vierge" montre qu'en fait l'homme n'a pas été vertueux dans sa vie. Ce manque de vertu mène l'homme à l'envie de se "repentir" (vers 23). Le repentir est quelque chose que l'on peut faire à la fin de sa vie, quand on regrette tout ce qu'on a fait de mal, ce qu'on aurait dû faire autrement, d’où l'expression entre parenthèse "la dernière auberge" : le repentir est la dernière chose qui peut rassurer avant de mourir.
Au dernier vers, l'horloge prononce la sentence de mort.
Elle utilise l'impératif, donc ne laisse pas le choix "Meurs". Puis,
on a un changement de registre, du registre tragique, Baudelaire passe au registre familier avec "vieux lâche", comme pour mieux dévaloriser le destinataire de cette insulte, et souligner le caractère dérisoire de la vie.
Le repentir tardif n'aura pas suffi, puisque "il est trop tard".
C'est donc le temps qui gagne, et qui dicte sa loi durant toute l'existence humaine.
Conclusion
Dans l'
Horloge,
Baudelaire montre la tragédie de la vie humaine en trois actes :
- temps du plaisir (quatrain 2)
- temps de la paresse, vie dépensée à ne rien produire (quatrain 4)
- tardifs regrets d’avoir oublié les valeurs (quatrain 6)
Les puissances divines menacent le destin de
l’Homme qui se perd au lieu de s’affronter à la vie, de construire une existence
de vertu. Il est averti mais porte en lui les causes même de son châtiment (parallèle
avec
Dom Juan de
Molière).
Elargissement possible :
L’Ennemi X.
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