Bohémiens en voyage

Charles Baudelaire - Les Fleurs du Mal

Analyse linéaire




Plan de l'analyse de Bohémiens en voyage de Charles Baudelaire :
Introduction
Texte du poème Bohémiens en voyage
Annonce des axes
Analyse linéaire
Conclusion




Introduction

    Charles Baudelaire est un auteur du XIXème siècle qui vécut de 1821 à 1867. Son recueil de poèmes le plus connu, Les Fleurs du Mal, paru en 1857, provoqua de nombreuses polémiques quant aux thèmes qu'il développait. Ce recueil se compose de 6 parties.
    Bohémiens en voyage est le seul sonnet régulier du recueil Les Fleurs du Mal de Baudelaire. Il est extrait de la partie "Spleen et Idéal" et obéit à certaines contraintes, comme pour sa structure: 2 quatrains suivis de 2 tercets.
    Les bohémiens, aussi appelés tsiganes, sont un peuple nomade. Dans ce poème, Baudelaire décrit une caravane de bohémiens qui passe, et semble s'identifier à ce peuple prophétique et en marge de la société, tout comme lui.

Charles Baudelaire
Charles Baudelaire




Texte du poème Bohémiens en voyage


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Lu par Thomas de Châtillon - source : litteratureaudio.com

XIII - Bohémiens en Voyage


La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.


Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857)


Van Gogh - Les roulottes, campement de bohémiens aux environs d'Arles
Van Gogh - Les roulottes, campement de bohémiens aux environs d'Arles (détail)
1888 - Musée d'Orsay



Annonce des axes

I. Des êtres maudits - Premier et deuxième quatrains
II. L'hommage du poète aux bohémiens - Premier et deuxième tercets



Analyse linéaire

I. Des êtres maudits

Premier quatrain :

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s'est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.


- Le mot "tribu" dès le vers 1 semble indiquer plutôt une forme primitive de communauté, mais cette tribu revêt un aspect sacré chez Baudelaire, notamment avec "tribu prophétique". Elle est qualifiée de prophétique car les bohémiens pratiquent traditionnellement la voyance.
- Métonymie : "prunelles ardentes" => regard ardent => Caractère sacré.
- Analogie des femmes avec des animaux, avec "emportant ses petits/Sur son dos" (vers 2-3) et "mamelles pendantes" (vers 4).
- On passe d'un caractère très solennel, presque religieux, du vers 1 à un sujet plus prosaïque dans le reste du quatrain ("mise en route", "appétits", "mamelles"). Cela symbolise bien la dualité des bohémiens, peuple à la fois mystique aux yeux de Baudelaire et soumis à la rudesse de la vie.
- Enjambements qui donnent du dynamisme au poème, comme au vers 2-3 : "emportant ses petits/Sur son dos".
- Des allitérations en [r], [pr], [tr] sont présentes dans tout le premier quatrain, sonorités dures comme pour montrer la dureté de la vie des bohémiens, et contrastant avec les sonorités douces des deux derniers mots "mamelles pendantes".


Deuxième quatrain :

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.


- Baudelaire présente les bohémiens comme un peuple démuni : manque de vêtements (les "mamelles" sont visibles), les hommes vont à pied.
- Apparition des armes, dont les hommes semblent subir le poids puisqu'ils sont "sous" elles. L'adjectif "luisantes" laissent penser que ces armes sont entretenues, affutées, et donc menaçantes. Ce peuple, rejeté, en exil perpétuel, a besoin de se défendre.
- Au vers 6, "blottis" confirment l'image de l'animalité, mais donne également une image réconfortante : les chariots sont le refuge de ces gens, ils s'y sentent bien.
- Quatrain construit sur une série d'enjambements.
- Au vers 7 et 8, Baudelaire fait apparaître la notion de spleen : "yeux appesantis", "morne regret", "chimères absentes". Les "chimères absentes" évoquent l'absence de rêve, l'absence d'avenir. On peut encore faire le parallèle avec les animaux, qui ne font pas de projet mais vivent au jour le jour.
- Ces gens sont porteurs des difficultés de Baudelaire. Les bohémiens semblent fuir le monde, comme Baudelaire veut fuir la réalité.
- Opposition Spleen / Idéal (Spleen : exprime la mélancolie, le chaos de l'âme - terme importé de l'anglais par Baudelaire).

Baudelaire porte un regard ambigu sur ces bohémiens dans ces deux quatrains : ils sont clairement rapprochés des animaux, mais cette image est contrebalancée par le mysticisme que confère Baudelaire à cette "tribu prophétique". On peut penser également que Baudelaire les comprend, puisque les bohémiens et lui partagent une même morosité, un même spleen, et une même envie de fuir la société.


II. L'hommage du poète aux bohémiens

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L'empire familier des ténèbres futures.


- Le regard change, passe par des observateurs extérieurs, de l'insignifiant (grillon) au divin (Cybèle) : le premier tercet rend hommage aux bohémiens.
- Le grillon rend hommage à la marche des bohémiens. Ce grillon peut aussi représenter le poète saluant les bohémiens (lyrisme). L'allitération en [s] des vers 9 et 10 mime le chant du grillon.
- Référence à Cybèle => déesse de la Terre et de la fécondité (mythologie) => Référence au sacré.
- Ces bohémiens sont aimés par les divinités ("Cybèle, qui les aime"). "qui les aime" est mis en relief par les virgules qui l'entourent.
- Pour eux, Cybèle peut accomplir des miracles pour rendre la nature plus accueillante : "augmente ses verdures", "Fait couler le rocher", "fleurir le désert". Ces actions sont soulignées par un enjambement entre les deux tercets. On peut noter ici des références bibliques : Moïse a fait jaillir de l'eau d'un rocher à Horeb ("Fait couler le rocher") et l'idée de désert qui fleurit est aussi présente dans la Bible.
- Les 2 derniers vers sont symboliques : les bohémiens sont en marche vers un ailleurs, mais un ailleurs qui ne paraît pas accueillant ("ténèbres futures"), tout comme le poète en proie au spleen et n'ayant pas confiance en l'avenir. L'avenir ne peut être que ténèbres selon le poète.
- "L'empire […] des ténèbres futures" est "familier", cela signifie que les bohémiens (ou Baudelaire ?) le connaissent, y sont déjà allés, ou y vivent régulièrement, à moins que Baudelaire ne fasse référence à leur don de voyance.

Dans ces deux tercets, Baudelaire rend hommage aux bohémiens, montrant que la nature et les divinités sont prêtes à les soutenir. Ces bohémiens vont vers les ténèbres, tout comme le poète en proie au spleen.




Conclusion

      Le poème Bohémiens en voyage développe en réalité une allégorie. A travers les bohémiens, Baudelaire suggère une analogie avec les poètes maudits, qui se sentent en marge de la société et qui à travers leur poésie peuvent voir au-delà des apparences.



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