Plan de la fiche sur
Hymne à la Beauté de Charles Baudelaire :
Introduction
Le poème
Hymne à la Beauté, de Charles Baudelaire (1821 - 1867), est extrait de la section "Spleen et idéal", du recueil
Les Fleurs du mal.
Cet hymne est consacré à Jeanne Duval, une femme que Baudelaire a aimée. Jeanne Duval est aussi l'inspiratrice d'autres poèmes de Baudelaire comme
Parfum exotique,
La Chevelure et bien d'autres.
Le poème
Hymne à la Beauté peut surprendre car il associe à la beauté les images du bien, mais aussi du mal et du satanique, images qui ne sont généralement pas associées à la notion de beauté.
Questions possibles à l'oral :
- Quelles sont les relations entre Charles Baudelaire et la beauté ?
- En quoi ce poème présente des antithèses ?
Charles Baudelaire
Texte du poème Hymne à la Beauté
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Lu par Thomas de Châtillon - source : litteratureaudio.com
Hymne à la beauté
Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme1,
Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
Verse confusément le bienfait et le crime,
Et l'on peut pour cela te comparer au vin.
Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.
Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?
Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien ;
Tu sèmes au hasard la joie et les désastres,
Et tu gouvernes tout et ne réponds de rien.
Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques ;
De tes bijoux l'Horreur n'est pas le moins charmant,
Et le Meurtre, parmi tes plus chères breloques2,
Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement.
L'éphémère3 ébloui vole vers toi, chandelle,
Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !
L'amoureux pantelant incliné sur sa belle
A l'air d'un moribond4 caressant son tombeau.
Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe,
Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu !
Si ton œil, ton souris5, ton pied, m'ouvrent la porte
D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu ?
De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène,
Qu'importe, si tu rends, - fée aux yeux de velours,
Rythme, parfum, lueur, ô mon unique reine ! -
L'univers moins hideux et les instants moins lourds ?
Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal
Vocabulaire :
1 abîme : gouffre, grande cavité
2 breloque : bijou de faible valeur
3 éphémère : insecte dont l’adulte ne vit qu’un seul jour
4 moribond : sur le point de mourir
5 souris : sourire
Jeanne Duval, dessinée par Baudelaire
Annonce des axes
I. L'ambivalence de la beauté
1. Un système d'antithèses
2. Une beauté divine et satanique à la fois
II. La fascination pour la beauté
1. Une beauté sensuelle
2. Le pouvoir de fascination
3. Un hymne à la beauté
III. La soumission du poète à la beauté
1. La beauté : une fleur du mal
2. Une soumission à la beauté
3. Mais une soumission salvatrice
Commentaire littéraire
I. L'ambivalence de la beauté
Ambivalence : qui peut avoir deux sens, deux interprétations
1. Un système d'antithèses
Baudelaire a recours à de nombreuses antithèses tout au long du poème pour évoquer la beauté :
- "ciel profond" / "abîme"
- "infernal et divin"
- "le bienfait et le crime"
- "le couchant et l'aurore"
- etc.
Ces antithèses ont aussi pour but de montrer que
la beauté est tout, est partout dans le monde (exemple : "Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore"). Cela se voit également dans "tu gouvernes tout".
2. Une beauté divine et satanique à la fois
Baudelaire emploie
le champ lexical du divin et du satanique, bien souvent en mettant les deux en antithèse.
Champ lexical du divin : "ciel", "divin", "astres", "Dieu"...
Champ lexical du satanique : "abîme", "infernal", "gouffre noir", "enfer", "Satan"...
Les antithèses sont généralement associées à
des notions de bien et de mal, comme le divin et le satanique ("infernal et divin", "le bienfait et le crime"...). Ainsi,
le poète s'interroge sur l'origine et la nature de la beauté : émane-t-elle du bien ou du mal ?
D'ailleurs, cette interrogation ouvre le poème : "Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme". Puis les interrogations se répètent plus loin dans le poème : "Sors-tu du gouffre noir ou descends-tu des astres ?", "De Satan ou de Dieu […] ?".
Dans ce poème le bien et le mal semblent indissociables. Dans la construction du poème, cela se voit par le fait qu'ils forment soit un hémistiche chacun ("Viens-tu du ciel profond / ou sors-tu de l'abîme"), soit ils sont réunis dans un même hémistiche de 6 syllabes : "infernal et divin", "le bienfait et le crime"…
Ainsi, la beauté est insaisissable car elle regroupe les notions contraires de bien et de mal.
II. La fascination pour la beauté
1. Une beauté sensuelle
La beauté est représentée comme une belle femme, sensuelle : "Tu répands des parfums", "Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore", "jupons", "tes bijoux", "fée aux yeux de velours".
Le vocabulaire utilisé est élogieux, et parfois presque érotique.
Ainsi, Baudelaire représente la beauté sous les traits d'une femme : la beauté est personnifiée => c'est une allégorie de la beauté.
2. Le pouvoir de fascination
Baudelaire semble comme fasciné par la beauté, comme un homme est fasciné par une femme dont il est amoureux. Le terme "amoureusement" est d'ailleurs employé au vers 16 et "amoureux" au vers 19.
Rappelons que ce poème est dédié à Jeanne Duval, dont Baudelaire était très amoureux.
La beauté fascine également par son aspect monstrueux. Ainsi Baudelaire fait un rapprochement de la beauté et du monstrueux, comme un
oxymore : "Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant". Ces rapprochements inhabituels montrent la modernité poétique de Baudelaire.
3. Un hymne à la beauté
Tout le poème est écrit comme
un hymne à la beauté.
Baudelaire s'adresse directement à la beauté. Il la tutoie "Viens-tu…". Il interpelle la beauté "Ô Beauté".
De nombreuses phrases exclamatives montrent l'admiration et l'enthousiasme du poète pour le beauté.
Baudelaire utilise le champ lexical de la lumière pour désigner la beauté : "ébloui", "chandelle", "flambeau", "lueur".
De même, Baudelaire utilise un vocabulaire élogieux, en particulier dans la dernière strophe : "Ange ou Sirène", "fée aux yeux de velours", "ô mon unique reine !". Le mot "unique" montre à quel point la beauté est précieuse aux yeux de Baudelaire.
La beauté concerne tous les sens : la vue ("regard", "œil", "ébloui"..), l'odorat ("parfums"), le toucher ("baisers"), le gout ("bouche"), l'ouïe ("Crépite", "Rythme"). Notons dans le premier hémistiche du vers 27 une accumulation de mots faisant référence à ces sens : "Rythme, parfum, lueur".
III. La soumission du poète à la beauté
1. La beauté : une fleur du mal
Tout d'abord, nous pouvons voir que la beauté est associée à l'idée de la mort, comme le montre le champ lexical de la mort ("crime", "moribond", "morts", "tombeau"). Cela est particulièrement visible au vers 13 "Tu marches sur des morts, Beauté, dont tu te moques" dans lequel les mots "morts" et "Beauté" sont répartis de part et d'autre de la césure
La beauté peut être fatale, comme le montrent les vers 17 et 18 : "L'éphémère ébloui vole vers toi, chandelle, / Crépite, flambe et dit : Bénissons ce flambeau !". Ainsi, l’éphémère (insecte dont l’adulte ne vit qu’un seul jour) meurt sous la flamme de la beauté, et semble en tirer du plaisir ("Bénissons ce flambeau").
La beauté n'a pas de morale, elle fait indifféremment le bien et le mal : "Tu sèmes au hasard la joie et les désastres", "tu […] ne réponds de rien".
L'
allitération en [r] dans "le Meurtre, parmi tes plus chères breloques, / Sur ton ventre orgueilleux danse amoureusement" montre la dureté de la beauté lorsqu'elle fait le mal.
Ainsi, la beauté est bien une fleur du mal.
2. Une soumission à la beauté
L'idée de soumission à la beauté est clairement émise dans le vers "Le Destin charmé suit tes jupons comme un chien". L'adjectif "charmé" montre que la soumission est due au pouvoir de séduction de la beauté, comme Baudelaire est soumis à la belle Jeanne Duval. L'adjectif "charmé" peut également être pris dans le sens de "envouté".
De même, dans "L'amoureux pantelant incliné sur sa belle", l'adjectif "incliné" montre l'idée de soumission. Et dans "mon unique reine", nous avons l'idée d'un sujet soumis à sa reine.
3. Mais une soumission salvatrice
Le poète ne juge pas la beauté selon si elle fait le bien ou le mal, comme le montre la répétition de "qu'importe" associé à une antithèse faisant référence au bien et au mal ("Que tu viennes du ciel ou de l'enfer, qu'importe", "De Satan ou de Dieu, qu'importe ? Ange ou Sirène, / Qu'importe").
Ainsi, Baudelaire veut montrer que l'origine de cette beauté importe peu, ce qui compte est le résultat : le plaisir de la beauté.
Dès la deuxième strophe, nous pouvons voir que la beauté a un pouvoir sur le poète : "Tes baisers sont un philtre", un philtre étant une potion généralement préparée par les sorciers et destinée à inspirer l'amour.
La beauté a le pouvoir d'inverser les règles : "font le héros lâche et l'enfant courageux". On note ici un parallélisme de construction.
La beauté permet au poète de découvrir de nouvelles choses auparavant inconnues : Baudelaire la compare au vin qui enivre (vers 4), et aux vers 23-24 "m'ouvrent la porte / D'un Infini que j'aime et n'ai jamais connu".
La beauté permet ainsi de se délivrer de l'ennui, le spleen baudelairien, et d'accéder à l'éternité ("Infini", placé en rejet) .
Le poème se termine sur la conclusion que la beauté améliore le monde, et permet de résister au spleen : "tu rends […] L'univers moins hideux et les instants moins lourds".
Conclusion
Dans cet
Hymne à la Beauté,
Baudelaire montre sa modernité en associant à la beauté, non seulement les images traditionnelles du bien, mais aussi et surtout les images nouvelles du mal, du monstrueux.
Cette beauté monstrueuse lui permet de s'extirper du spleen et du temps qui passe.
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