La Cloche fêlée

Baudelaire - Les Fleurs du mal

Analyse linéaire






Introduction

    La Cloche fêlée est un poème de Charles Baudelaire du recueil Les Fleurs du Mal, extrait de la section Spleen et idéal.

    Le poème La Cloche fêlée traduit le mal mental du poète, son spleen. C'est un sonnet en alexandrins (vers de 12 syllabes).


Charles Baudelaire
Charles Baudelaire


Texte du poème La cloche fêlée


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La Cloche fêlée

II est amer et doux, pendant les nuits d'hiver,
D'écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s'élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume.

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu'un vieux soldat qui veille sous la tente !

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu'en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits,
II arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d'un blessé qu'on oublie
Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts
Et qui meurt, sans bouger, dans d'immenses efforts.

    Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal



Plan du texte pour l'analyse linéaire

1er quatrain : une rêverie amère et douce
2ème quatrain : la cloche, un objet symbolique personnifié
1er et 2ème tercets : le spleen du poète qui mène à la mort de l'âme



Analyse linéaire

I. Une rêverie amère et douce
Premier quatrain (vers 1 à 4)

Le premier quatrain exprime une nostalgie, puisque le poète se remémore des souvenirs, mais il n'est pas défini si cette nostalgie est heureuse ou non, puisque le poème s'ouvre sur un oxymore : "amer et doux".

Cette ambivalence est reprise dans les vers suivants : la notion de froid intense au vers 1 ("nuits d'hiver") est tout de suite contredite par le champ lexical de la chaleur du vers 2 ("feu", "palpite", "fume").
De même, les "nuits d'hiver" évoquent un extérieur hostile, alors que le "feu qui palpite et qui fume" évoque un intérieur chaleureux.

Au vers 2, les allitérations en [p] et en [f] ("près du feu qui palpite et qui fume") imitent la sonorité du feu (crépitement et sifflement). On peut remarquer une sorte de chiasme sonore ([f][p]/[p][f]) qui crée un effet de cocon protecteur. De plus, le verbe palpiter évoque un cœur qui bat, ce qui personnifie et donne vie au feu.
Ce feu crée une ambiance chaleureuse, propice à la rêverie.

Le terme "Ecouter" du vers 2 est surprenant pour l'évocation de souvenirs. C'est une synesthésie. Cela montre que ces souvenirs sont très vivants, et fait écho au bruit du feu (vers 2) et des carillons (vers 4).

Au vers 3, l'allitération en [l] ("Les souvenirs lointains lentement s'élever") donne l'image du balancement des souvenirs qui s'élèvent. Les souvenirs semblent s'élever, comme emportés par la fumée du vers 2. Les souvenirs sont donc en train de s'en aller, de s'effacer.
L'allitération avec la sifflante [s] ("souvenirs", "s'élever") donne également l'image de ces souvenirs qui s'échappent. L'adjectif épithète "lointains" montre bien que ces souvenirs remontent à un temps révolu.
On a ici une évocation de la fuite du temps, thème récurrent de la poésie.

Le vers 4 associe encore les souvenirs à une image positive : "les carillons qui chantent". Les carillons sont personnifiés : ils ne sonnent pas, ils chantent. L'allitération en [k] imite le bruit de tintement de ces carillons (carillons qui), allitération d'ailleurs débutée au vers 2 ("écouter").

Les deux mots à la rime "fume" (vers 2) et "brume" (vers 4) évoquent une notion de fumée, mais "fume" est associé à la chaleur protectrice du feu, à l'intérieur, alors que "brume" est associé au froid, à l'extérieur.
Le premier quatrain s'achève donc sur une note de spleen avec le mot "brume", mais pas encore très appuyée.

Tout le premier quatrain fait donc écho à "amer et doux" du vers 1 : les souvenirs rassurent et procurent du plaisir (ils sont donc "doux"), mais ils finissent toujours par s'effacer avec le temps (d'où l'amertume). Le passé donne de la joie, car il s'exprime dans des souvenirs strictement intérieurs, alors que le présent amène le spleen, il consiste à affronter l’extérieur, le froid.


II. La cloche, un objet symbolique personnifié
Deuxième quatrain (vers 5 à 8)

Le deuxième quatrain évoque la vitalité, représentée par la cloche.

La cloche est personnifiée ("gosier vigoureux" au vers 5, "alerte et bien portante" au vers 6 "jette un cri" au vers 7), et le champ lexical de la vitalité lui est associé ("vigoureux", "alerte, "bien portante"). L'allitération en [g] dans "gosier vigoureux" appuie sur cette vigueur.
Le verbe jeter ("Jette […] son cri" au vers 7) montre aussi l'énergie de la cloche.

L'utilisation de la préposition "malgré" au vers 6 ("malgré sa vieillesse") montre l'admiration du poète pour la cloche : elle a su résister à la vieillesse, donc au temps qui passe.

La cloche, symbole de l'église et de la religion, est justement ici associée au champ lexical de la religion au vers 7 ("fidèlement", "religieux"). La diérèse au vers 7 sur le mot "religieux" (prononcé en 4 syllabes et non 3 pour faire l'alexandrin : re/li/gi/eux) crée une insistance sur ce mot.

La cloche est également associée à la rigueur militaire au vers 8, avec la comparaison au "vieux soldat". Ce "vieux soldat qui veille" représente la sécurité et l'expérience.
La cloche a donc deux qualités : le pouvoir d'élévation (rapport avec la religion), et la discipline (rapport avec le militaire).

On peut penser que la cloche est pour le poète un modèle pour s'élever vers l'idéal, et échapper au spleen, c'est l'anti-spleen.


III. Le spleen du poète qui mène à la mort de l'âme
Premier et deuxième tercets (vers 9 à 14)

Les deux tercets montrent la montée du spleen chez le poète.

Le pronom personnel "Moi" qui débute le vers 9 marque une rupture et annonce clairement que c'est maintenant le poète qui parle de lui. L'allitération en [m] ("Moi, mon âme") redouble la marque de la première personne.

Baudelaire annonce que son "âme est fêlée" (vers 9), cela fait référence au titre du poème "la cloche fêlée", son âme est donc cette cloche fêlée, et c'est donc l'antithèse de la cloche bienheureuse et vigoureuse du second quatrain.
L'idée d'âme fêlée du vers 9 est reprise avec le nom "blessé" du vers 12. Une fêlure est presque invisible, ce qui traduit l'idée que la blessure d'une âme est invisible, intérieure.

Dans ces deux tercets, le vocabulaire est clairement plus triste que dans le début du poème, en lien avec le spleen du poète ("ennuis", "air froid", "nuits", "affaiblie", "râle", "morts", etc.).

La rime suffisante de "ennuis" et "nuits" (vers 9 et 10) montre que la nuit est le temps du spleen, et met en relief l'ennui du poète, son spleen.
Les rimes aussi se font plus ennuyeuses, puisque 4 rimes en [i] se suivent au vers 9 à 12, ce qui est très rare dans un sonnet (on devrait avoir 2 rimes différentes).

Dans tout le premier tercet, les allitérations en [f] et en [v] évoquent le son du froid vent d'hiver.

En fait, les deux tercets reprennent les thèmes des deux quatrains, mais sous forme d'antithèses :
- chaud ("feu qui palpite et qui fume" du vers 2) / froid ("air froid des nuits" du vers 10)
- bruit ("carillons qui chantent" du vers 4, "cri" du vers 7) / silence ("voix affaiblie" du vers 11)
- chants agréables ("bruit des carillons qui chantent" du vers 4, "cri religieux" du vers 7) / râle ("râle épais d'un blessé" du vers 12)
- mouvement ("alerte et bien portante" du vers 6) / immobilité ("sans bouger" du vers 14)
- vie (deuxième quatrain) / mort (deuxième tercet).

Ce système d'antithèses montre la différence du poète et son spleen, les antithèses vont dans le sens d'une dégradation, d'une chute.

Si le premier tercet montre un affaiblissement ("voix affaiblie"), le deuxième tercet est associé à la mort avec un champ lexical de la mort très présent ("râle", "blessé", "sang", "morts", meurt", "sans bouger").

Tout d'abord, le poète se sent délaissé puisque il se compare à "un blessé qu'on oublie" au vers 12.
Le vers 13 est fait de deux hyperboles très visuelles "lac de sang", "grand tas de morts", qui insistent sur l'idée de la mort. On peut remarquer une sorte de chiasme sonore dans le vers 13 ("Au bord d'un lac de sang, sous un grand tas de morts" : [or][a][an] / [an][a][or]) qui crée l'image d'un piège qui se referme sur le poète, alors que ce même procédé au vers 2 évoquait un écrin protecteur.

Dans tout ce dernier tercet, l'allitération en [s] imite le dernier souffle du blessé.

Dans le dernier vers, l'horreur de la mort est appuyée par l'antithèse entre "sans bouger" et "dans d'immenses efforts" qui donne l'impression de quelqu'un enterré vivant, qui voudrait se débattre mais ne pourrait bouger.

Le spleen est le moteur de la création poétique, comme le montre le verbe "vouloir" au vers 10 ("Elle veut de ses chants peupler l'air froid des nuits").
La création du poète est comparée au "râle épais d'un blessé", elle est donc en effet le fruit du spleen et de la souffrance, cette création est donc douloureuse. Mais le spleen, l'ennui, est dangereux car il détruit aussi la volonté du poète, et le rend incapable d’action, le paralyse, et enfin le tue.





Conclusion

    Dans le poème La Cloche Fêlée, Baudelaire exprime sons spleen. En contraste avec la cloche vigoureuse et pleine de vitalité, le poète est en proie au spleen, il est comme paralysé, comme mort.


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