Plan de la fiche sur
Les métamorphoses du vampire de Charles Baudelaire :
Introduction
Le poème
Les Métamorphoses du vampire de
Charles Baudelaire fait partie des
Épaves, ces pièces condamnées qui furent censurées lors du procès des
Fleurs du mal en 1857. Voici donc un poème monstrueux puisqu’il dût rester caché jusqu’en 1945. On y retrouve, sous les traits du vampire, un thème obsessionnel chez Baudelaire : l’union, dans la femme, de l’amour et de la mort.
Texte du poème Les métamorphoses du vampire
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Lu par Thomas de Châtillon - source : litteratureaudio.com
Les métamorphoses du vampire
La femme cependant, de sa bouche de fraise,
En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
" Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
Et fais rire les vieux du rire des enfants.
Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés,
Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés,
Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
Timide et libertine, et fragile et robuste,
Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
Les anges impuissants se damneraient pour moi ! "
Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
Et que languissamment je me tournai vers elle
Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
Qui semblait avoir fait provision de sang,
Tremblaient confusément des débris de squelette,
Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.
Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal
La mort de Marat, 1907, Edvard Munch
Annonce des axes
I. La toute-puissance de la volupté
A. Un monstre d’érotisme
B. Déesse et prêtresse
II. L’envers de la volupté : la mort
A. Un poète affaibli ?
B. Du désir à l’horreur
Commentaire littéraire
I. La toute-puissance de la volupté
A. Un monstre d’érotisme
1. La mise en scène du corps féminin
Abolissant la tradition courtoise des blasons Renaissance, Baudelaire évoque un corps de chair voué au désir : connotations sexuelles de la " bouche de fraise ", féminité sensuelle ("seins", "lèvre humide", "buste"). Un corps naturel et sexuel mis en valeur par deux accessoires : le busc et le musc.
2. Une femme animale
La femme "naturelle" tant haïe par Baudelaire apparaît ici dans toute sa splendeur : la comparaison avec le serpent (cf. le Mal) est reprise par la femme elle-même ("Lorsque j’étouffe un homme"). Et ses paroles ressemblent à un attirant venin (vers 4).
3. L’anti-muse
La femme-vampire, puisqu’elle suce le sang (et l’inspiration ?) du poète, ne donne ni n’inspire rien : elle ne fait que prendre. L’ellipse entre les vers 16 et 17 suggère un avant et un après de la volupté, au cours de laquelle la femme prive le poète de ses forces.
B. Déesse et prêtresse
1. L’amour comme culte infernal
La femme est à la fois celle qui célèbre le culte de l’amour et celle qui est célébrée par ce culte. L’amour prend la forme d’un sacrifice où les rôles s’échangent d’un vers à l’autre (vers 12-13), où la tendresse est remplacée par la violence ("étouffer", "morsures").
2. La figure de la géante
Cette femme au corps démesuré se proclame elle-même géante : elle est l’univers entier (vers 9-10), dans une gradation explicite. Vision paradoxale d’une femme à la fois repoussante et fascinante, qui se déploie à la limite entre rêve et cauchemar.
3. La femme, souveraine diabolique
Le pouvoir de la femme-vampire n’est pas que charnel : elle détient des savoirs mystérieux dont elle se vante (vers 5-6 :
allitération en [s] et
diérèses). Une puissance telle qu’elle aboutit au sacrilège (vers 15-16) souligné par l’hypallage (vers 15, ce sont en réalité les hommes "qui se pâment d'effroi") : dotée d’un savoir mortifère, la femme prend des allures sataniques.
II. L’envers de la volupté : la mort
A. Un poète affaibli ?
1. L’éviction du masculin
Dans son discours, la femme semble escamoter le poète auquel elle s’adresse pourtant, "mon cher savant" prend alors un sens ironique. En effet, le masculin est chargé de connotations négatives comme la faiblesse morale ("pleurs", "antique conscience qui se perd") ou physique ("les vieux" et, vers 12, l’absence de résistance). A tel point qu’au vers 15, les amants disparaissent dans l’hypallage...
2. Le seul survivant de la volupté
Néanmoins, le poète est l’unique survivant puisque ses paroles encadrent et commentent celles de la femme. Il est à la fois une victime consentante et un témoin oculaire (vers 19-20). Son affaiblissement progressif est suggéré par l’adverbe " languissamment " (vers 18) qui indique plaisir et souffrance. La volupté s’avère en fait mortelle pour le bourreau, qui subit une mort en accéléré.
B. Du désir à l’horreur
1. Les métamorphoses de la femme
L’évocation de la femme débouche sur la figure fantastique du vampire, avec une transformation importante : ici, le vampire ne vit pas du sang de ses victimes, mais il pourrit sur place (vers 20). Comme dans
Une Charogne, le sang, dénué de connotations positives, transforme la vie en mort et la séduction en infection.
2. La femme objet de répulsion
La métamorphose de la femme en "outre" est dramatisée par l’enjambement (vers 19-20) : l’accent est mis sur le ventre, sur le sexe, en opposition radicale à la chair " triomphante " des premiers vers. La dernière étape de la métamorphose est l’état de squelette : animé (vers 25), sonore (vers 26), il garde malgré tout un élément féminin : la "tringle de fer" (vers 27) semble l’écho ironique du "busc" (vers 3). De l’une à l’autre, c’est un raccourci de la volupté à la mort.
Conclusion
Les contemporains de Baudelaire ont considéré que la seconde partie du poème
Les métamorphoses du vampire était une punition infligée au démon de la volupté : le procureur souligna cependant que la présence d’une " morale " ne justifiait pas la première partie du poème, jugée contraire aux bonnes mœurs ! Lire le poème comme la succession d’un péché et de sa punition est possible ; d’autres hypothèses peuvent être évoquées. Baudelaire ne dévoile-t-il pas ici un pan de sa vie, marquée par la syphilis ? D’autre part, ne peut-on pas lire ce texte comme le fantasme d’un poète se vengeant d’une muse qui lui échappe ?
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