Plan de la fiche sur
Conseil tenu par les Rats de Jean de la Fontaine :
Introduction
La fable de
Jean de la Fontaine (1621 - 1695),
Conseil tenu par les Rats, est la deuxième fable du livre II, situé dans le premier recueil des Fables édité pour la première fois en 1668.
Comme souvent chez Jean de la Fontaine, cette fable est inspirée de celle d'un fabuliste antérieur à Jean de la Fontaine. Ici, c'est une fable d'Eustache Deschamps (vers 1340 - vers 1405) que La Fontaine a pris pour modèle (Le chat et les souris).
Conseil tenu par les Rats met en scène un groupe de rats opprimé par un chat qui décime leur population. Les rats décident donc d'attacher une sonnette au cou du chat pour pouvoir l'entendre arriver et fuir lorsque celui-ci s'approche. Par ce récit sous forme d'apologue, La Fontaine montre les difficultés de mettre en pratique les décisions prises et fait ainsi la satire des beaux parleurs et de la Cour.
Texte de la fable Conseil tenu par les Rats
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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
Conseil tenu par les Rats
Un Chat, nommé Rodilardus,
Faisait de Rats telle déconfiture
Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soû ;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un Chat, mais pour un Diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin
Le Galand alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des Rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Dès l'abord, leur Doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu'ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis ils s'enfuiraient sous terre ;
Qu'il n'y savait que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen ;
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.
L'un dit : Je n'y vas point, je ne suis pas si sot ;
L'autre : Je ne saurais. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus :
Chapitres, non de Rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.
Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus personne.
Jean de la Fontaine - Les Fables
Conseil tenu par les Rats - Illustration G. Doré (1867)
Annonce des axes
I. Une fable comique
1. Les caractéristiques de la fable
2. Le chat apparait comme un ennemi terrifiant
3. Une réalité bien plus triviale
II. Une fable satirique
1. La satire des beaux parleurs : ironie de La Fontaine
2. Décalage entre la parole et les actes
3. La morale : élargissement de l'exemple
Commentaire littéraire
I. Une fable comique
1. Les caractéristiques de la fable
Ce récit a les caractéristiques d'une fable : récit bref qui met en scène des animaux, auxquels on prête les qualités et les défauts des hommes. Les animaux sont ainsi des
allégories des caractères humains.
Les animaux sont personnifiés (ils parlent, ils ont des sentiments, "Doyen", "personnage"…).
2. Le chat apparait comme un ennemi terrifiant
Les 4 premiers vers de la fable présentent le chat comme un être sanguinaire. Le chat apparait ainsi tel un héros guerrier, terrorisant la population de rats.
Son nom "Rodilardus" est imposant : il est long (4 syllabes) et la terminaison latine en "us" donne à l'animal un aspect antique et imposant.
Le chat a décimé la population des rats : "on n'en voyait presque plus", "Le peu qu'il en restait". Il est ainsi le despote de tout un peuple de rats qui devient "la gent misérable".
Le terme "Déconfiture", renforcé par l'adjectif d'intensité "telle", désignait à l'époque de La Fontaine la déroute d'une armée, et rime avec "sépulture" => renforce l'idée de carnage des rats.
Les rats voient ce chat comme un "diable" : "Non pour un Chat, mais pour un Diable." Les mots "chat" et diable" sont tous deux placés à la fin des hémistiches pour bien montrer le parallèle entre les deux mots.
3. Une réalité bien plus triviale
Le nom évoque finalement plus celui d'un gros matou que d'un être terrifiant : il perd d'ailleurs sa terminaison en us dans la suite de la fable pour devenir "Rodilard". Rodilard : ce nom est un composé du latin rodere, ronger, et du mot français lard => c'est un gros matou bien gras.
Les rats habitent des "trous" => des trous à rats
Le chat est un "galand" seulement intéressé par les femelles et la nourriture : après avoir bien mangé, il cherche à forniquer. "Le Galand alla chercher femme" : le décalage entre la réalité du gros chat qui cherche à forniquer et la préciosité de l'expression "chercher femme" appliqué à un animal crée un effet comique.
C'est un chat de gouttière, car il va "haut" (sur les toits), ce qui pour les rats semble être loin alors qu'en réalité le chat peut être juste à côté mais il ne cherche plus à chasser les rats.
"au haut et au loin" : cette répétition du son [o] crée un effet dissonant, dévalorisant ainsi l'attitude du chat.
Le terme "sabbat" a le sens ici de grand vacarme => conduite obscène du chat.
Ce décalage entre l'apparence terrifiante du chat selon les rats et la réalité d'un gros chat occupé seulement à manger et à forniquer crée un effet comique.
La fable se place dans un
registre comique, voir burlesque : une triviale réalité exprimée avec un langage noble.
II. Une fable satirique
1. La satire des beaux parleurs : ironie de La Fontaine
En apparence, l'assemblée réunie est formelle et sérieuse :
- le sujet discuté est important : "la nécessité présente" de combattre le chat qui met en péril la population des rats
- solennité de la réunion mise en valeur par le vocabulaire : "tint chapitre"
- l'assemblée est dirigée par le "Doyen" des rats, le grand âge devant montrer la respectabilité de ce personnage. La Fontaine l'appelle même "Monsieur" : "Monsieur le Doyen".
- éloquence du "Doyen" : ton didactique," il fallait" "opina" dont les paroles sont rapportées au discours indirect
- la solution proposée semble indiscutable : "ainsi" marque la conséquence immédiate et logique.
Les rats suivent l'avis du "Doyen" : "Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen". La réaction de l'assemblée est enthousiaste : " Chose ne leur parut à tous plus salutaire" et unanime : "à tous".
Mais Jean de La Fontaine ridiculise cette assemblée par quelques traits d'ironie :
- l'assemblée se tient "en un coin", ce qui ne connote pas un lieu très approprié pour une réunion importante,
- le "Doyen" est présenté comme une "personne fort prudente", alors que la solution proposée est fort dangereuse pour le rat qui la fera (attacher le grelot au chat). Le lecteur comprend donc déjà que c'est n'est pas le "Doyen" qui réalisera les propositions qu'il énonce. C'est une allusion piquante aux formes des assemblées qui se tiennent parmi les hommes et qui sont souvent tenues par des personnes d'un certain âge.
- le "Doyen" ne consulte pas le peuple pour trouver la solution : il est le sujet du verbe "opina", et "il fallait" a une valeur d'ordre.
- le vers "Qu'il n'y savait que ce moyen" montre les limites du "Doyen" qui ne trouve pour résoudre son problème qu'une solution en réalité non faisable.
2. Décalage entre la parole et les actes
La Fontaine commente de façon ironique la solution proposée en un vers qui constitue une phrase de constat sans appel : "La difficulté fut d'attacher le grelot". Le mot "grelot" est péjoratif et montre l'absurdité de la solution.
La belle union qui a suivi le discours du Doyen ("Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen ; / Chose ne leur parut à tous plus salutaire.'')
vole en éclat dès qu'il faut passer à l'acte.
Les rats refusent d'agir, chacun avec une raison ("je ne suis pas si sot", "Je ne saurais"). Mise en valeur par le discours direct qui transcrit les paroles exactes des participants, assez laconiques et qui n'ouvrent pas la porte à discussion.
La réponse "je ne suis pas si sot" renvoie à l'imbécilité de la solution proposée par le Doyen.
Opposition entre "Chacun" et "à tous'' qui montrait l'unité et "L'un" et "L'autre" qui montre que chacun redevient individualiste lorsqu'il s'agit de passer à l'action.
Le résultat est l'inaction :
"Si bien que sans rien faire
On se quitta."
"sans rien faire" est placé en fin de vers, et est ainsi mis en valeur.
3. La morale : élargissement de l'exemple
La fin de la fable est une sorte de morale, ou plutôt de constat désabusé. La Fontaine prend lui-même la parole par l'intermédiaire de la première personne du singulier pour nous livrer son expérience personnelle et donner son avis : "J'ai […] vus".
La Fontaine fait une généralisation en passant des rats aux hommes d'Eglise ("moines", "chanoines"), puis à "la cour" (du roi, de justice…), et implicitement à toutes les personnes ayant ce type de comportement car le mot "cour" peut être interprété comme désignant une assemblée qui doit prendre une décision.
Le vers "Voire chapitres de chanoines" contenant deux fois le son [cha] renvoie au chat de l'histoire précédente.
Les quatre derniers vers en
octosyllabes, séparés par un saut de ligne du reste de la fable, en résume l'essentiel :
"Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus personne."
Les
rimes croisées montrent les oppositions : "délibérer / exécuter" et "foisonne / personne".
Ainsi, la fable "Conseil tenu par les Rats" est un véritable apologue : un récit qui a pour fonction d'illustrer une leçon morale qui peut être formulée explicitement. La visée de l'apologue est donc argumentative. L'apologue propose des personnages et des situations symboliques, représentatifs de la morale que l'auteur veut en dégager.
Conclusion
La fable
Conseil tenu par les Rats de
Jean de la Fontaine est donc un apologue qui cherche à plaire pour instruire. Cette fable comique dénonce des décisions non réalistes qui ne sont donc pas suivies d'acte.
Ouverture :
Les animaux malades de la Peste : le Lion a l'art de la parole, mais pas le courage de se dévouer pour les autres.
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