Introduction
En 1668,
La Fontaine fait publier le premier recueil de ses
Fables dont est extrait
Le Loup et l'Agneau.
Cette fable illustre une morale et met en scène des animaux pour mieux évoquer les hommes. Elle met en évidence une réalité cruelle à portée universelle : le dialogue entre le loup et l’agneau met en évidence le comportement de celui qui non seulement exerce sa violence sur le plus faible mais cherche à la justifier.
Lecture du texte
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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
Le Loup et l'Agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Jean de La Fontaine, Les Fables
Plan de l'analyse linéaire
I. La morale - Vers 1 et 2
II. Deux personnages opposés - Vers 3 à 11
1. L'apparition des personnages
2. Le loup
3. L’agneau
III. Deux argumentations différentes - Vers 12 à la fin
1. Argumentation de l’agneau : rigoureuse et naïve
2. Argumentation du loup : la mauvaise foi
3. Le dénouement
Analyse linéaire
I. La morale
Vers 1 et 2
La morale de la fable Le loup et l'agneau apparaît dès le premier vers, rendant ainsi prévisible la fin de la fable.
La Fontaine ne nous donne ni leçon de vie, ni conseil pratique :
c'est ici un simple constat sans appel plus qu'une morale : "La raison du plus fort est toujours la meilleure".
L'utilisation du présent de vérité générale donne une valeur universelle à ce constat. Cependant, dans la fable le narrateur prend le parti de l'agneau en le montrant comme un animal sensible, au contraire du loup qui sera décrit comme un "bête cruelle" (vers 18).
Le vers 2 "Nous l'allons montrer tout à l'heure" crée un effet d'attente, et incite à lire le reste de la fable.
II. Deux personnages opposés
Vers 3 à 11
1. L'apparition des personnages
Du vers 3 à 6, c'est la
présentation des deux personnages (2 vers chacun).
Déjà l'agneau apparaît plus innocent que le loup :
- Equilibre de la métrique des vers : 2 octosyllabes pour l'agneau, contre un alexandrin et un décasyllabe pour le loup
-
Cadre idyllique pour l'agneau "se désaltérait dans […] onde pure", idée de la nature pure et nourricière
- Le loup apparaît brusquement (présent de l'indicatif "survient")
-
Le loup apparait déjà belliqueux "qui cherchait aventure".
2. Le loup
Le loup apparaît cruel, tyrannique, supérieur.
Champ lexical de la haine : "plein de rage", "colère"… Le Loup se comporte en prédateur, soumis à ses instincts, à sa "faim", à ses pulsions agressives et cruelles : son discours est plein de menaces - "Tu seras châtié" -, d'affirmations sans fondement.
Royauté : "sire", "majesté"…
Loup = symbole de la force
Dédain envers l'agneau.
C'est d'abord un fait matériel que le loup reproche à l'agneau : "troubler [son] breuvage" (vers 7).
Le loup n'attend pas la réponse de l'agneau, il l'a déjà condamné sans appel, comme le marque le futur : "Tu seras châtié" (vers 9). Noter l'
allitération en [t] dans "Tu seras châtié de ta témérité" qui résonne comme un roulement de tambour et semble donner un sens irréfutable à la phrase.
Le loup est supérieur à l’agneau au niveau physique, mais également au niveau "social".
L’agneau s’adresse au loup par la 3ème personne du singulier, ce qui est une marque de respect.
Le loup s'adresse à l’agneau par la 2ème personne du singulier -> manque de respect.
3. L'agneau
L'agneau est un être doux et innocent, honnête et respectueux. Le lecteur a d'autant moins de peine à passer du monde animal au monde humain que La Fontaine nous y prépare. Quand l'agneau s'adresse au loup comme un modeste sujet à son roi ("Sire", "Votre Majesté").
La Fontaine nous invite à voir derrière le récit animalier les rapports de force de la société humaine du XVIIème siècle, sous la monarchie absolue de Louis XIV.
Compassion du lecteur, pitié envers l’agneau.
III. Deux argumentations différentes
Vers 12 à la fin
En plaçant la morale de la fable au premier vers "La raison du plus fort est toujours la meilleure", La Fontaine annonce directement l'issue de l'affrontement entre le loup et l'agneau. Ce "procès" (vers 29) est donc truqué. Le narrateur qui se veut objectif annonce implicitement ce qui doit arriver et le loup déploie des trésors de rhétorique et de mauvaise foi, pour justifier le meurtre de l’agneau qui reste naïf et honnête.
1. Argumentation de l’agneau : rigoureuse et naïve
L'argumentation de l'agneau est à l'opposé de celle du loup. En nombre de vers, elle équivaut à peu près à celle du loup mais la répartition des répliques est bien différente. A partir du vers 12,
l'agneau essaie de répondre de façon pertinente et réfléchie à trois reprises aux attaques du loup.
L'agneau apparaît naïf, il répond de façon rationnelle et réfléchie face à un loup qui a de toute façon déjà décidé de la fin des débats.
Les répliques de l'agneau sont de plus en plus courtes, laissant sentir qu'il comprend l'inutilité de sa parole face à l'agressivité aveugle du loup. Sa dernière réplique, sous la forme de quatre monosyllabes, "Je n’en ai point", est à peine esquissée. L'agneau ne cherche plus à construire son plaidoyer, il perd pied devant les attaques hargneuses du loup qui lui confisque la parole.
2. Argumentation du loup : la mauvaise foi
Les arguments irréfutables qu'oppose l'agneau sont balayés sans contre-arguments valables par le loup qui nie l'évidence.
le loup répète son accusation sans tenir compte des arguments valables de l'agneau, mais sous une forme plus ramassée et plus hargneuse - en trois mots : "Tu la troubles" (vers 18).
Le loup quitte ensuite le domaine des faits et du présent pour invoquer de prétendues assertions calomnieuses proférées "l'an passé" ("tu médis", vers 19).
Sous les apparences d’une logique implacable, l'argumentation du loup est en fait de mauvaise foi. Il finit par "On me l'a dit : il faut que je me venge." vers 26 -> mensonge. Le recours au pronom indéfini "on" montre que le loup n'a pas d'argument rationnel à opposer à l'agneau.
3. Le dénouement
Les 3 derniers vers de la fable (vers 27 à 29 "Là-dessus […] Sans autre forme de procès") décrivent le dénouement prévisible. Le rythme rapide de ces 3 octosyllabes montre que la sentence est donnée rapidement, comme un procès qui tournerait court.
Conclusion
Il s’agit dans cette fable de déployer une histoire dont l’issue est connue d’emblée. L’argumentation logique et sincère de l’agneau est broyée par la mauvaise foi du loup et la morale initiale prend tout son sens. La raison du plus fort ne représente pas la logique du plus brillant mais les motifs ultimes du puissant qui ne sont pas littéralement les meilleurs mais qui triomphent de tout. La fable
Le Loup et l'Agneau de la Fontaine est donc une dénonciation du pouvoir et de la justice sous Louis XIV.
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