Plan de la fiche sur
Le pouvoir des fables - Jean de la Fontaine :
Introduction
Jean de La Fontaine est un poète classique du XVIIème siècle qui a publié de nombreuses fables.
Le pouvoir des fables est la quatrième fable du livre VIII publié en 1678. Contrairement à son habitude, Jean de La Fontaine ne met pas en scène des animaux dans cette fable.
Le pouvoir des fables est dédié à M. De Barillon, ambassadeur de France en Angleterre auprès du roi d'Angleterre Charles II, que Jean de La Fontaine a rencontré à Paris. M. De Barillon doit de convaincre le roi d'Angleterre Charles II de ne pas se joindre à la triple alliance (l'Espagne, l'Autriche et la Hollande) contre la France (
page sur M. de Barillon).
L'extrait étudié ici est la deuxième partie de la fable (à partir de "Dans Athène autrefois"). Dans celle-ci La Fontaine veut montrer le pouvoir de la fable pour convaincre. Il montre ainsi un orateur ayant dans un premier temps recours à un discours rhétorique sans succès, puis qui parvient à capter l'attention de son auditoire grâce une fable simple.
Cette fable est une mise en abyme : une fable dans la fable, un
apologue dans l'apologue.
Texte de la fable (extrait étudié)
Télécharger Le pouvoir des fables (extrait étudié) - Jean de La Fontaine en version audio (clic droit - "enregistrer sous...")
Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
Le pouvoir des fables
Deuxième partie de la fable
Dans Athène1 autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, personne ne s'émut ;
L'animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l'écouter ;
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Céres2, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l'anguille et l'hirondelle ;
Un fleuve les arrête, et l'anguille en nageant,
Comme l'hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : « Et Céres, que fit-elle ?
- Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.
Quoi ? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe3 fait ? »
A ce reproche l'assemblée,
Par l'apologue réveillée,
Se donne entière à l'orateur :
Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'Âne4 m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
Jean de la Fontaine - Les Fables
Vocabulaire :
1 Athène : sans s pour des raisons de versification (éviter une syllabe).
2 Cérès : dans la mythologie romaine, déesse de l'agriculture, des moissons et de la fécondité.
3 Philippe : Philippe II de Macédoine (382 av. J.-C. - 336 av. J.-C.) qui veut envahir la Grèce. L'orateur athénien Démosthène prononcera des discours appelés les Philippiques, discours contre Philippe II de Macédoine (Philippe II de Macédoine).
4 Peau d'Âne : conte populaire, le conte de Perrault n'étant pas paru au moment où il écrit cette fable.
Le pouvoir des fables - Jean de la Fontaine
Annonce des axes
I. L'échec de l'argumentation rhétorique
1. Un orateur trop énergique
2. Le peuple indifférent
II. Le pouvoir des fables
1. Une fable simple mais efficace
2. Un peuple réceptif
3. La fable, un divertissement utile
Commentaire littéraire
I. L'échec de l'argumentation rhétorique
1. Un orateur trop énergique
L'orateur et le danger qu'il voit ne sont pas définis dans le début de la fable.
L'orateur a une cause noble car il veut servir sa patrie : "voyant sa patrie en danger".
L'orateur est énergique : "courut", "parla fortement", "tonna"…
L'orateur, voyant que le peuple ne l'écoute pas, augmente l'intensité du discours : il a recours à la
prosopopée (faire parler les morts), à des "figures violentes".
Mise en
rejet de "A ces figures violentes" pour le mettre en valeur => insistance sur le fait que
l'orateur essaie tout pour attirer l'attention du peuple, mais en vain.
Ainsi La Fontaine dévalorise l'orateur, et par ce biais fait une satire de la rhétorique classique. L'art de l'orateur est "tyrannique, l'orateur ne veut pas convaincre, mais veut "forcer les cœurs". Mise en opposition des termes "tyrannique" et "république" en fin de vers pour montrer que l'orateur ne s'inscrit pas dans la démocratie athénienne et a donc un discours en décalage par rapport à ce qu'attend le peuple.
Les mots utilisés par La Fontaine "orateur" et "harangueur" sont caricaturaux et montre son intention de dévaloriser ce personnage.
Utilisation du discours indirect qui rend la lecture ennuyeuse. Utilisation majoritaire d'alexandrins dans cette partie de la fable qui rend la lecture plus lourde.
L'orateur paraît s'agiter en vain, et est ainsi tourné en ridicule par La Fontaine : gradation des efforts dans "Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put." => dès le vers suivant le lecteur voie que le résultat de cette agitation est nul.
2. Le peuple indifférent
La Fontaine dévalorise le peuple, dès le vers 1 en le qualifiant de "vain et léger", deux adjectifs peu élogieux.
Ensuite, il définit le peuple par la métaphore "L'animal aux têtes frivoles". D'habitude La Fontaine humanise des animaux dans ses fables, ici il fait le contraire en utilisant la métaphore d'un animal pour qualifier le peuple. "Animal" est au singulier et "têtes frivoles" est au pluriel -> animal à plusieurs têtes = allusion à une créature mythologique.
Malgré la violence des propos de l'orateur,
le peuple n'écoute pas l'argumentation rhétorique de l'orateur. "On ne l'écoutait pas" -> le pronom indéfini "on" représente un peuple peu identifié et agissant comme une entité homogène, et non comme une somme d'individus différents.
La Fontaine dévalorise encore le peuple en indiquant que l'orateur sait "exciter les âmes les plus lentes" (= les idiots), mais ici cela ne marche même pas sur le peuple.
Parallélisme de construction : "Le vent emporta tout, personne ne s'émut" rythme 6 / 6 pour insister sur le fait que le peuple n'a pas su entendre les avertissements de l'orateur.
"Etant fait à ces traits" -> le peuple a entendu trop d'orateurs et ne fait donc plus attention à leurs discours.
L'orateur est conscient du fait que personne ne l'écoute : "il en vit".
Le peuple est présenté comme puéril, il regarde des "combats d'enfants" plutôt que d'écouter les paroles de l'orateur => ironie de la Fontaine car l'orateur invite à se battre pour une cause sérieuse, le pays, et le peuple préfère regarder des enfants qui se battent pour jouer. Plus loin, nous avons également "de contes d'enfants son peuple s'embarrasse". Et le dernier vers du poème affirme qu'il faut "amuser [le monde] comme un enfant".
II. Le pouvoir des fables
1. Une fable simple mais efficace
La Fontaine montre le changement d'attitude de l'orateur par une question : "Que fit le harangueur ?" => effet d'attente pour lecteur.
Passage du discours indirect au discours direct => La Fontaine rend ainsi le récit plus vivant.
Utilisation de vers plus courts que dans le début de la fable -> lecture plus facile, plus rapide.
La fable racontée par l'orateur est très simple, elle paraît inventée rapidement par l'orateur pour attirer l'attention du public. Elle est courte (4 vers et demi), et n'est pas terminée.
L'orateur a recours à un personnage mythologique, Cérès, et à deux animaux (l'anguille et l'hirondelle).
Dans la mythologie romaine, Cérès, est la déesse de l'agriculture, des moissons et de la fécondité.
La fable de l'orateur est peu palpitante : pas de surprise (l'anguille nage, et l'hirondelle vole). Parallélisme de construction, appuyé par le mot "comme" pour insister sur ce parallélisme qui rend l'histoire lourde et peu intéressante : "et l'anguille en nageant, / Comme l'hirondelle en volant".
Nous avons donc une fable (celle de l'orateur) dans une fable (celle de La Fontaine) => C'est une mise en abyme.
L'orateur utilise son personnage de fable, Cérès, pour faire ses reproches au peuple "Un prompt courroux / L'anima contre vous". Mise en exergue du mot "courroux" (= colère) en fin de vers.
Utilisation de points d'exclamation qui soulignent le courroux qui est en fait celui de l'orateur et non celui de Cérès qu'il fait parler pour lui.
"Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?" =>
Référence à Philippe II de Macédoine (382 av. J.-C. - 336 av. J.-C.) qui veut envahir la Grèce =>
ce n'est qu'ici que la fable est replacée dans un cadre historique précis. L'orateur athénien Démosthène prononcera des discours appelés les Philippiques, discours contre Philippe II de Macédoine.
Utilisation du verbe "falloir" au dernier verbe pour montrer que les fables sont indispensables pour communiquer un message de façon efficace.
2. Un peuple réceptif
L'assemblée réagit à la fable de l'orateur, de façon rapide "à l'instant", énergique "Cria" et unanime "tout d'une voix" => changement nette d'attitude par rapport au début de la fable.
La Fontaine emploie le terme d'
apologue, qui permet de "réveiller" le peuple.
L'assemblée "se donne entière à l'orateur" =>
totale victoire de l'orateur grâce à l'utilisation de la fable.
Ainsi,
La Fontaine fait une apologie de la fable et montre son pouvoir de capter l'attention de ceux qui l'écoutent / la lisent.
3. La fable, un divertissement utile
Dans Le pouvoir des fables, La Fontaine montre que la fable est le meilleur moyen pour persuader, car elle permet d'instruire par le divertissement.
La Fontaine adresse également un message politique à M. Barillon et au roi de France Louis XIV : dans sa fable c'est Athènes qui risque d'être envahie par Philippe II de Macédoine, retranscrit au moment de l'écriture de cette fable c'est la France qui pourrait être envahie par l'Angleterre.
Dans la dernière partie de cette fable, de façon assez inhabituelle,
La Fontaine révèle son amour pour les fables "moi-même", "plaisir extrême", "amuser" et montre que la fable est plaisante. "plaisir extrême" =>
hyperbole pour insister sur son amour pour les fables.
"Si Peau d'Ane m'était conté" La Fontaine parle ici du conte populaire, le conte de Perrault n'étant pas paru au moment où il écrit cette fable.
Utilisation du "Nous" pour dire que les fables agissent sur tout le monde. La Fontaine s'inclue dans ce "nous".
Dans les deux derniers vers,
La Fontaine ne parle plus de l'utilité des fables, mais bien seulement de leur vocation à amuser : "Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant.". "cependant" placé en contre-rejet crée un effet d'attente sur le dernier vers du poème.
Conclusion
Dans
Le pouvoir des fables, La Fontaine grâce à une mise en abyme de la fable, démontre le pouvoir de cet art et revendique son amour pour les fables.
La Fontaine réalise un apologue dans l'apologue pour montrer que ce qu'il fait dans ses fables est le meilleur moyen d'instruire : pour instruire, il faut avant tout divertir. A la toute fin du texte, La Fontaine n'insinue-t-il pas qu'il est même plus important de divertir que d'instruire ?
Texte complet de la fable
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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
Le pouvoir des fables
A M. De Barillon
La qualité d'Ambassadeur
Peut-elle s'abaisser à des contes vulgaires ?
Vous puis-je offrir mes vers et leurs grâces légères ?
S'ils osent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
Vous avez bien d'autres affaires
A démêler que les débats
Du Lapin et de la Belette :
Lisez-les, ne les lisez pas ;
Mais empêchez qu'on ne nous mette
Toute l'Europe sur les bras.
Que de mille endroits de la terre
Il nous vienne des ennemis,
J'y consens ; mais que l'Angleterre
Veuille que nos deux Rois se lassent d'être amis,
J'ai peine à digérer la chose.
N'est-il point encor temps que Louis se repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouverait las
De combattre cette Hydre ? et faut-il qu'elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras ?
Si votre esprit plein de souplesse,
Par éloquence, et par adresse,
Peut adoucir les cœurs, et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons ; c'est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse.
Cependant faites-moi la grâce
De prendre en don ce peu d'encens.
Prenez en gré mes vœux ardents,
Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son sujet vous convient ; je n'en dirai pas plus :
Sur les éloges que l'envie
Doit avouer qui vous sont dus,
Vous ne voulez pas qu'on appuie.
Dans Athène1 autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut
A ces figures violentes
Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, personne ne s'émut ;
L'animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l'écouter ;
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Céres2, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l'anguille et l'hirondelle ;
Un fleuve les arrête, et l'anguille en nageant,
Comme l'hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : « Et Céres, que fit-elle ?
- Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.
Quoi ? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
Et du péril qui la menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe3 fait ? »
A ce reproche l'assemblée,
Par l'apologue réveillée,
Se donne entière à l'orateur :
Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'Âne4 m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.
Jean de la Fontaine - Les Fables
Vocabulaire :
1 Athène : sans s pour des raisons de versification (éviter une syllabe).
2 Cérès : dans la mythologie romaine, déesse de l'agriculture, des moissons et de la fécondité.
3 Philippe : Philippe II de Macédoine (382 av. J.-C. - 336 av. J.-C.) qui veut envahir la Grèce. L'orateur athénien Démosthène prononcera des discours appelés les Philippiques, discours contre Philippe II de Macédoine (Philippe II de Macédoine).
4 Peau d'Âne : conte populaire, le conte de Perrault n'étant pas paru au moment où il écrit cette fable.
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