Plan de la fiche sur
La laitière et le pot au lait de La Fontaine :
Présentation
Jean de La Fontaine : (1621-1695) est un poète français de la période classique dont l'histoire littéraire retient essentiellement les
Fables et dans une moindre mesure les contes licencieux. On lui doit cependant des poèmes divers, des pièces de théâtre et des livrets d'opéra qui confirment son ambition de moraliste. Proche de Fouquet, Jean de La Fontaine reste à l'écart de la cour royale mais fréquente les salons comme celui de Madame de La Sablière.
Les Fables : elles constituent la principale œuvre poétique de la période classique, et l'un des plus grands chefs d'œuvre de la littérature française. Le tour de force de La Fontaine est de donner par son travail une haute valeur à un genre qui jusque-là n'avait aucune dignité littéraire et était réservé aux exercices scolaires de rhétorique et de latin. Elles ont été écrites entre 1668 et 1694. Il s'agit d'un recueil de fables écrites en vers, la plupart mettant en scène des animaux et contenant une morale au début ou à la fin. litté
Le premier recueil des Fables publié correspond aux livres I à VI des éditions actuelles. Il a été publié en 1668, et était dédié au dauphin. La Fontaine insiste sur ses intentions morales : "je me sers d'animaux pour instruire les hommes."
Le deuxième recueil des fables correspond aux livres VII à XI des éditions modernes. Il est publié en 1678, et était dédié à Madame de Montespan, la maîtresse du roi.
La Fable est un genre particulier : genre en vers ou en prose avec un récit qui illustre une idée générale : une moralité.
La laitière et le pot au lait : appartient au Livre 7 des Fables, livre avec lequel La Fontaine inaugure en 1678 le second recueil dédicacé à Madame de Montespan. L'animal n'est plus ici le personnage central du récit : le fabuliste met en scène une jeune paysanne entreprenante qui se rend à la ville et rêve de s'enrichir.
Introduction
Le poète, romancier et fabuliste Jean de La Fontaine est connu pour ses fables à l'aspect didactique et philosophique. «
La laitière et le pot au lait » appartient à cette tradition de courts récits illustrant une morale, qui cherchent à instruire tout en divertissant le lecteur.
C'est en se souvenant de son passage dans le monde rural que La Fontaine a écrit cette fable. Elle raconte les malheurs de la jeune laitière Perette.
Cette fable est inspirée d'une nouvelle de Bonaventure des Périers : La Fontaine recycle, reformule des choses déjà faites avant lui.
Nous allons dans un premier temps étudier la structure de la fable composée de 2 parties en échos. Puis dans un second temps, nous verrons que la moralité de cette fable est en quelque sorte dédoublée, ce qui la rend plus complexe. Enfin, nous verrons que derrière cette histoire se cache un débat philosophique important au 17ème siècle : la question des puissances de l'imagination.
Problématique : Qu'apporte cette fable de La Fontaine par rapport à celles des autres fabulistes ? En quoi est-elle plus originale ?
Texte de la fable
Télécharger La laitière et le pot au lait
- de La Fontaine en version audio (clic droit - "enregistrer sous...")
Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
La laitière et le pot au lait
Perrette sur sa tête ayant un Pot au lait
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple, et souliers plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait, en employait l'argent,
Achetait un cent d'œufs, faisait triple couvée ;
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile,
D'élever des poulets autour de ma maison :
Le Renard sera bien habile,
S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son ;
Il était quand je l'eus de grosseur raisonnable :
J'aurai le revendant de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée.
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,
Va s'excuser à son mari
En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait ;
On l'appela le Pot au lait.
Quel esprit ne bat la campagne ?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?
Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,
Autant les sages que les fous ?
Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux :
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :
Tout le bien du monde est à nous,
Tous les honneurs, toutes les femmes.
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi ;
On m'élit roi, mon peuple m'aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;
Je suis gros Jean comme devant.
Jean de La Fontaine, Les Fables
La laitière et le pot au lait - Gustave Doré (détail)
Annonce des axes
I. Une structure originale en écho
1. Les étapes du récit : un récit vif et efficace
2. Une saynète suivie d'une moralité
II. Le sens des moralités
1. Une moralité dédoublée : Une première moralité simple
2. La deuxième moralité plus complexe et personnelle
III. La question du moi et des puissances de l'imagination
1. Le Moi désigne la personnalité, le caractère
2. La vision de La Fontaine
Commentaire littéraire
I. Une structure originale en écho
Contrairement à la plupart des fables, nous avons ici un texte qui se dédouble pour mettre en évidence la moralité.
1. Les étapes du récit : un récit vif et efficace
* vers 1 à 11 : Récit. C'est la présentation de Perette : ses habits, le mobile du voyage, ses pensées. La présentation est à l'imparfait, c'est le temps de la description et de l'habitude. Il y a de nombreux adjectifs qui montrent sa simplicité et son aise. Le champ lexical du mouvement et le champ lexical de la détermination montre qu'elle apparaît comme quelqu'un de déterminé, elle donne une impression positive. De plus l'utilisation de "notre" dans "notre laitière" (vers 7), nous met en confiance et amène une certaine complicité entre le personnage et le fabuliste ou lecteur.
* vers 12 à 21 : Discours direct. Monologue intérieur, la laitière rêve.
* vers 22 à 27 : Récit. Retour à la réalité brusque. Le temps est celui du présent de l'énonciation. Il y a le dénouement du drame, la chute de l'histoire.
* vers 28 et 29 : Récit. Perette et son histoire sont passées à la postérité.
L'efficacité de la fable est due à la vivacité et à l'alternance récit/discours.
2. Une saynète suivie d'une moralité
Une saynète est une petite comédie bouffonne, à mi-chemin entre l'opérette et la chanson comique.
Le récit constitue une saynète :
La partie récit constitue une saynète, une petite scène de théâtre composée ici d'un seul personnage qui rêve à haute voix jusqu'au vers 6 = présentation de Perrette (personnage codifie un statut de paysan ; elle n'a mis qu'un seul jupon, des chaussures sans talon…).
Le comique au service de la morale :
Ensuite grâce au discours direct nous entrons directement dans les pensées de Perette -> monologue qui s'en suit d'une chute (coup de théâtre) : ce qui lui donne un côté comique.
* vers 1 à 28 : tonalité humoristique ; vers 29 farce.
Rythme rapide -> rapidité de la marche, de l'envol des rêves. Lexique : souligne la rapidité du personnage et de ses pensées "grands pas" (vers 4), "agile" (vers 5), "diligent" (vers 11) (qui agit avec empressement et attention).
* "prétendait" montre qu'elle pense mais que cela ne va pas se passer comme elle veut = ironie. Désignation du personnage : "Perette" (vers 1) -> prénom courant et populaire, "notre laitière" (vers 7) -> familiarité + complicité et "La dame de ces biens" (vers 24) -> prestigieux => au départ le personnage est une simple paysanne qui au fur et à mesure de ses rêves va se transformer en une "dame" = ironie. De plus le vers 23 "Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée" montre qu'elle redescend très vite dans la réalité, bien plus vite qu'elle n'était arrivée dans ses rêves.
Plus elle avance, plus elle quitte la réalité, plus elle délire. Grâce à l'utilisation des verbes, du présent à tord puis du futur (elle se projette dans l'avenir). Pour finir le futur devient le passé pour elle.
Les temps sont le futur et le présent -> confond réalité présent. Le narrateur, qui est omniscient, décrit les rêves de Perette. En personne ambitieuse, elle fait déjà ses comptes. Progression triplement marquée:
1/ discours direct.
2/ lexique (qui donne des transformations successives) lait - argent - cent œufs - couvée - poulet - cochon - une vache et son veau.
3/ les temps verbaux : le présent (actualise la rêverie), le futur (elle se projette dans l'avenir), imparfait et passé simple (confusion entre réalité et rêve).
=> Mélange des temps -> confusion et prend ses rêves pour la réalité, elle vit déjà ce qu'elle rêve.
Utilisation du rythme : versification très riche (alterne les vers de 8 et de 12 syllabes sans structure pour varier le rythme) : les fables doivent être très plaisantes et divertissantes.
C'est donc une petite saynète comique montrant le délire d'une paysanne prenant ses rêves pour la réalité.
II. Le sens des moralités
1. Une moralité dédoublée : Une première moralité simple
La deuxième partie est une moralité qui complexifie les choses. D'abord, La Fontaine généralise l'histoire de Perette. Il recommence l'histoire de Perette mais avec lui-même : de nouveau un petit récit. L'intérêt est d'impliquer le lecteur.
* (la morale implicite, vers 1 à 29) Il ne faut pas prendre ses rêves pour la réalité. [ou] Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
* (vers 30 à 40) "chacun" (vers 34), "tous" et "toutes" (vers 37), "nos" (vers 35) ainsi que les deux questions rhétoriques vers 30 et 31 et avec le vers 33 "Autant les sages que les fous ?" nous montre que tout le monde et toutes les catégories sont concernés =
universalité de la morale. A partir du vers 38, Jean de la Fontaine, lui aussi rêve avec les "je" vers 38, 39, 41, et 42, il est comme Perette.
Ensuite cette moralité devient personnelle. On voit bien comment il passe du général au personnel : Quel, Qui ? Puis personnage historique puis « tous » « chacun » puis « nos, nous » pour enfin « quand je suis seul ».
2. La deuxième moralité plus complexe et personnelle
Chacun = tous individuellement
"Chacun songe en veillant" = tout le monde rêve en étant éveillé.
- Jeu de mot sur son prénom : "Je suis gros
Jean comme devant" (Jean de La Fontaine).
Même structure que pour Perette : plus elle avance en rêvant plus le rêve devient délirant. Tout comme elle, il rêve de plus en plus, tout comme elle, il rêve de richesses.
La Fontaine prouve que tout le monde a les mêmes ambitions : richesse, honneur, être populaire.
III. La question du moi et des puissances de l'imagination
1. Le Moi désigne la personnalité, le caractère
Philosophie du 17ème siècle, Question du Moi : Qui est le "je" ? Qui est le "Vous" ? Aucune certitude, peut-être que l'on croit que les autres existent, peut-être ce n'est qu'une illusion.
Au 17ème siècle : les Pensées de Blaise Pascal :
Son hypothèse : Le Moi est détestable car il nous empêche de voir la réalité.
Exemple : le Moi c'est comme un homme qui regarde le Monde à sa fenêtre -> vision limitée ne correspond pas à la réalité.
3 solutions :
- on saute à pieds joints dans l'eau -> plonger dans la réalité,
- rester sur la berge -> rester avec le Moi
- on essaie de flotter -> entre les deux
Descartes est d'accord : "Il pense donc il est" ce n'est pas la personne qui imagine que je suis, que je puisse, que je pense.
Bossuet : écrivain religieux comme Pascal
La plupart des gens qui parle de l'illusion et du Moi critique ce Moi, car pour eux ce n'est pas bien.
Au 17ème siècle, contrairement à ce que l'on peut attendre Jean La Fontaine ne condamne pas le rêve.
2. La vision de La Fontaine
Jean de la Fontaine nous montre les dangers de l'imagination : la confusion, la fausseté, l'erreur. L'imagination peut devenir source d'égarement pour l'homme (vertige, ivresse…).
En effet, l'imagination peut laisser agir nos sens sans contrôle et, comme Perette, nous conduit à l'erreur.
Mais l'imagination ne nous pousse à l'erreur que si nous nous abandonnons totalement au délire.
Exemple : la paranoïa de Don Quichotte s'accompagne de phases de lucidité.
On peut ici faire référence à Pascal et ses Pensées :
Il invente le concept de "Puissances de l'imagination" :
- l'imagination est plus forte que la raison,
- l'imagination peut avoir des effets sur le jugement,
- l'imagination est indispensable.
Au contraire, La Fontaine dit que Rêver l'existence c'est plaisant, agréable et que c'est bien. D'ailleurs dans un texte à sa deuxième protectrice, Mme La Sablière, il dit qu'il a vécu dans l'imaginaire, du moins qu'il a trouvé cela très agréable et que OUI cela peut être condamnable mais c'est un réel plaisir. L'imagination est un refuge nécessaire qui compense la médiocrité du réel.
"Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux"
Avec le rythme des vers 35 à 48 : le rythme prend de l'ampleur à mesure que le rêve avance. Beaucoup de ";", les figures s'enchaînent : tout cela harmonieusement.
Lui, Jean de La Fontaine, aime se laisser guider par les puissances de l'imagination et il le dit : "il n'est rien de plus doux" -> parti pris contre ceux qui trouvent cela condamnable.
Conclusion
Jean La Fontaine écrit de la poésie sous forme de saynètes très vivantes pour raconter un sentiment ou un événement. Toute son histoire est crédible. Il apporte une variété et un art poétique au 17ème siècle. Il donne à ses fables un écho d'actualité ou de débat philosophique, et non le rôle éducatif pour enfant ou du moins pas seulement. Il fait de la fable un genre moraliste (écrivain qui étudie les mœurs en général pour s'en moquer).
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