Plan de la fiche sur
Le trésor et les deux hommes de Jean de la Fontaine :
Introduction
Deuxième recueil (1679). Fable 14 du livre IX. Thème : diversité des conditions, caprices de la Fortune.
Quelles significations suggérées ?
Texte de la fable
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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
Le trésor et les deux hommes
1. Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,
2. Et logeant le diable en sa bourse,
3. C'est-à-dire n'y logeant rien,
4. S'imagina qu'il ferait bien
5. De se pendre et finir lui-même sa misère,
6. Puisque aussi bien sans lui la faim le viendrait faire :
7. Genre de mort qui ne duit pas
8. A gens peu curieux de goûter le trépas.
9. Dans cette intention, une vieille masure
10. Fut la scène où devait se passer l'aventure.
11. Il y porte une corde, et veut avec un clou
12. Au haut d'un certain mur attacher le licou.
13. La muraille, vieille et peu forte,
14. S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.
15. Notre désespéré le ramasse, et l'emporte,
16. Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,
17. Sans compter : ronde ou non, la somme plut au sire.
18. Tandis que le galand à grands pas se retire,
19. L'homme au trésor arrive, et trouve son argent
20. Absents.
21. « Quoi, dit-il, sans mourir je perdrai cette somme ?
22. Je ne me pendrai pas! Et vraiment si ferai,
23. Ou de corde je manquerai. »
24. Le lac était tout prêt; il n'y manquait qu'un homme :
25. Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.
26. Ce qui le consola peut-être
27. Fut qu'un autre eût, pour lui, fait les frais du cordeau.
28. Aussi bien que l'argent le licou trouva maître.
29. L'avare rarement finit ses jours sans pleurs,
30. Il a le moins de part au trésor qu'il enserre,
31. Thésaurisant pour les voleurs,
32. Pour ses parents ou pour la terre.
33. Mais que dire du troc que la Fortune fit?
34. Ce sont là de ses traits; elle s'en divertit :
35. Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.
36. Cette déesse inconstante
37. Se mit alors en l'esprit
38. De voir un homme se pendre ;
39. Et celui qui se pendit
40. S'y devait le moins attendre.
Jean de La Fontaine, Fable XV, Livre IX.
Le trésor et les deux hommes
Jean de La Fontaine
Annonce des axes
I. Structure du récit
1. Le corps de la fable : vers 1 à 28 = un diptyque ?
2. La moralité : vers 29 à la fin
II. Analyse des deux scènes
1. Une structure théâtrale
2. Les personnages
3. Les objets
III. Moralité
1. Une maxime
2. Pas de morale unique
3. La place de l'argent dans notre société
Commentaire littéraire
I. Structure du récit
Le titre : opposition singulier/pluriel : conflit ou complicité ? l’auteur déjoue l’attente. Dénouement = hasard ?
1. Le corps de la fable : vers 1 à 28 = un diptyque ?
- Exposition : vers 1 à 8 : situer pour comprendre. Décor planté, situation amenée.
- 1ère scène : vers 9 à 17. Succession de distiques (vers regroupés par 2). Rythme
vif, les actions s’enchaînent. Les lieux puis les objets (vers 9-10), la découverte
(vers 13-14), dénouement (vers 15-17) qui correspond à un changement de situation et
de rythme.
- Transition : vers 18 à 20. simultanéité des actions, vers bi syllabiques frappant.
- 2nde scène : vers 21 à 28. 8 vers, alternance des rimes croisées/embrassées. Discours
direct (vers 22-23), coupure à l’hémistiche : question/réponses, pendaison (vers 24-25),
point de vue le l’avare (vers 26-27).
2. La moralité : vers 29 à la fin
- Réflexion sur la condition de l’avare (vers 29-32), rimes croisées. « mais » : rupture
- Evolution du texte : cas particulier à l’universel (vers 33-40). 8 vers, 4 rimes
croisées et 4 suivies. La Fortune qui se joue des hommes.
- Rupture du rythme, vers impairs (vers 39-40)
II. Analyse des deux scènes
1. Une structure théâtrale
La fable est « une ample comédie en 100 actes divers dont la scène est l’univers ».
Il y a une unité de temps et de lieu. Un personnage unique, un registre tragi-comique : la rupture de ton.
- Présentation : participe présent («n’ayant ») souligne la persistance de la pauvreté.
Tournures négatives. Point de vue omniscient : on passe de la situation aux pensées.
Le conditionnel : hypothétique, 1ère distance. Alternances octosyllabes (réflexion
du narrateur) / alexandrins (expression de la condition pathétique). Les rimes
suivies : tragédie traditionnelle. « goûter le trépas » construction oxymorique : ironie.
- « aventure » dédramatise. Décalage entre la pendaison et la manière dont elle est racontée : précise, froide, détachée, dérision. Mise en relief du dénouement,
revirement total de situation, le misérable devient riche et heureux. Enjambements
et rejets : vivacité du rythme.
- Le trésor absent : expressivité de l’enjambement et du vers bi syllabique. Le rythme rapide va crescendo. Présentation humoristique de la pendaison, choquante car aucun pathétisme.
2. Les personnages
- Un « Homme » : la majuscule fait de lui un symbole. Défini uniquement par son
rôle : le pauvre qui devient riche. « notre » : complicité, affectif, indique
le parti pris du fabuliste, « désespéré » : ironique. Le retournement spectaculaire,
c’est aussi le changement de statut social. Le malheureux devient « sire » :
l’argent confère à l’Homme son identité… « le galant » : libertin = La Fontaine
- L’« homme au trésor » : précisément quand il n’en a plus : ironie. Périphrase
qui illustre la dépendance, il n’est rien par lui-même. « celui-ci » s’oppose à « notre »,
distance ++. Pas d’émotion du lecteur devant la présentation humoristique de
la pendaison. La dernière pensée prend du recul, c’est l’expression de son vice
poussée à l’extrême. « aussi bien… » : parallélisme de construction, mais les
rôles sont inversés.
3. Les objets
L’Homme devient « il », il s’efface devant les objets qui passent à la 1ere place. Ils semblent dotés de volonté.
- Le Trésor : champ lexical de la richesse exploité ++, allitérations en [l], son rôle déterminant.
- La masure : non décrite, simplement définie par sa vétusté qui devient symbole de la fragilité de la condition humaine.
- La corde : « licou » : animal, personnifiée, avide de son pendu, incarne la destinée. Le lac est la
métaphore du piège de l’avarice Ironie dans la conclusion en
chiasme : « le licou aussi bien que l’argent »
III. Moralité
1. Une maxime
Portée universelle. C’est d’abord la dénonciation de l’avarice, qui détient en
elle son propre châtiment. Les allitérations en [r], « enserre » vers 30 : les serres,
les griffes de l’avare l’étouffent. « thésaurisant » détourné de son but (« pour…pour…pour … ») : juste retours des choses. L’avarice conduit l’Homme à sa perte.
2. Pas de morale unique
« mais » (vers 33) : changement d’orientation. Le fabuliste s’interroge, il n’affirme
plus et invite le lecteur à sa propre conclusion. Une réflexion libre sur le caractère imprévisible de la destinée. Représentation allégorique de la Fortune qui s’amuse
aux dépends de l’Homme « plus…plus » : sadisme. A l’image du Dieu Antique, sourd
et indifférent. Un rythme vif et allègre, drôle de contraste.
3. La place de l’argent dans notre société
Sans lui, on est rien. Différents rapports à l’argent : un bien nécessaire ou une accumulation malsaine.
Conclusion
L’art du conteur, le plaisir de la narration, la vivacité du ton. Un modèle classique (et le thème de la réflexion sur l’Homme), une thématique moderne car païenne, réflexion sur la destinée qui préfigure la préface de
Candide de
Voltaire.
La diversité du récit, des sources d’inspiration et d’interprétation : diversité-devise.
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