Le Lièvre et la Tortue

Jean de la Fontaine





Plan de la fiche sur Le Lièvre et la Tortue de Jean de la Fontaine :
Introduction
Texte de la fable
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Introduction

    Le Lièvre et la Tortue est une des plus célèbres fables de Jean de la Fontaine. Les fables de la Fontaine furent éditées en 12 livres entre 1668 et 1694. Le Lièvre et la Tortue est la 10ème fable du livre 6.

    Cette fable est une réécriture de la fable d'Esope, La Tortue et le Lièvre.
        => Texte de la fable La Tortue et le Lièvre d'Esope

    Cette fable met en scène des animaux personnifiés, qui sont des allégories des caractères humains.
    Dans la fable Le Lièvre et la Tortue, La Fontaine met en scène un lièvre et une tortue qui décident de faire la course. Le Lièvre, sûr de sa rapidité, laisse tellement d'avance à la tortue avant de s'élancer qu'il perd finalement la course.

    Comme toujours dans les fables, La Fontaine cherche à plaire et instruire en même temps.


Texte de la fable


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Le Lièvre et la Tortue


Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons1, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but. - Sitôt ? Êtes-vous sage ?
Repartit l'animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d'ellébore2.
- Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux :
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.
Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire ;
J'entends de ceux qu'il fait lorsque prêt d'être atteint
Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D'où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de Sénateur3.
Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure4 à peu de gloire,
Croit qu'il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose
Qu'à la gageure. A la fin quand il vit
Que l'autre touchait presque au bout de la carrière5,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l'emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?

Jean de la Fontaine - Les Fables


Vocabulaire :
1. Gageons : parions
2. quatre grains d'ellébore : l'ellébore était utilisé autrefois pour soigner la folie. Selon l'expression "Avoir besoin de deux grains d'ellébore", 2 grains suffisaient mais ici le lièvre en "prescrit" 4 ce qui montre à quel point il pense que le pari de la tortue est fou.
3. Aller son train de Sénateur : aller lentement
4. Gageure : pari fou, fait en dépit du bon sens.
5. Au bout de la carrière : fin du parcours de la course



Le Lièvre et la Tortue - Jean de la Fontaine - Illustration de G. Doré / Streller
Le Lièvre et la Tortue - Jean de la Fontaine - Illustration G. Doré / Streller



Annonce des axes

I. La ténacité de la tortue
1. Un pari fou lancé par la tortue
2. Les efforts de la tortue

II. La nonchalance du lièvre
1. La vanité du lièvre
2. Le départ tardif du lièvre

III. Une fable pour instruire
1. La critique de la vanité
2. Une morale explicite
3. Une morale implicite ?



Commentaire littéraire

I. La ténacité de la tortue

1. Un pari fou lancé par la tortue

Dès la lecture du titre, le contraste entre les deux animaux transparaît car la tortue est le symbole de la lenteur alors que le lièvre est le symbole de la vitesse.

C'est la tortue qui est à l'origine du pari fou de gagner à la course le lièvre.
Utilisation de l'impératif "Gageons" qui montre que la tortue est pourtant sure d'elle.

Utilisation du discours direct qui rend la fable vivante et les échanges entre le lièvre et la tortue comiques.

La Fontaine veut montrer à quel point le pari est en apparence déséquilibré : "Notre Lièvre n'avait que quatre pas à faire". La Fontaine exagère les capacités du lièvre pour montrer à quel point le pari de la tortue est fou.

Par l'utilisation du pronom "'Notre", La Fontaine exprime de la pitié envers ce lièvre qui va perdre le pari, et donc être ridiculisé. La Fontaine anticipe donc le résultat de la course qui ne sera annoncé explicitement qu'à la fin de la fable, mais qui était déjà en réalité annoncé dès le premier vers dans la morale de la fable.

La Fontaine lui-même, en utilisant le mot "gageure" pour désigner le pari indique que ce pari est fou car une gageure désigne un pari fou, fait en dépit du bon sens.

"Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
Et leur fait arpenter les landes."
Rythme ternaire avec augmentation du nombre de syllabes (6 / 6 / 8) => montre à quel point le lièvre est rapide et peut même ridiculiser les chiens qui partent à ses trousses.

En effet, le pari de la tortue peut paraître fou, pourtant la suite de la fable prouvera le contraire.

Finalement, c'est la tortue qui gagne, et elle se permet même de railler le lièvre dans les 4 derniers vers "Eh bien ! lui cria-t-elle […] Si vous portiez une maison ?".
L'utilisation du verbe "crier" et la raillerie de la tortue montrent que celle-ci n'a pas le triomphe modeste !

"Si vous portiez une maison ?" est placé en rejet après "que serait-ce" ce qui crée un effet d'attente et accentue le mordant de la raillerie de la tortue.


2. Les efforts de la tortue

Par une structure ternaire, La Fontaine montre les efforts de la tortue pour aller le plus vite qu'elle peut :
"Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur."

L'augmentation du nombre de syllabes : 2 ("Elle part") / 4 ("elle s'évertue") / 8 ("Elle se hâte avec lenteur") donne l'image de l'effort de la tortue qui s'étire de plus en plus pour aller le plus vite possible. Anaphore de "elle" qui rythme également ces deux vers.

"se hâte avec lenteur" => effet comique venant de l'antithèse entre les deux mots "se hâter" et "lenteur" relier par la préposition "avec" pour accentuer l'effet de décalage => Cela montre par l'humour que la tortue fait tout ce qu'elle peut selon ses capacités.
Festina lente est un adage latin signifiant "Hâte-toi lentement" que La Fontaine reprend donc ici.

Ainsi, elle répond à la raillerie du lièvre du début de la fable ("Ma commère, il vous faut purger / Avec quatre grains d'ellébore."). Ces échanges de raillerie rendent la fable comique et plaisante à lire.

=> La simplicité et la ténacité de la tortue la font apparaître comme un personnage sympathique aux yeux du lecteur.


II. La nonchalance du lièvre

1. La vanité du lièvre

Il est clair dès sa première réplique que le lièvre ne prend pas le défi au sérieux : "Repartit l'animal léger" au vers 5 montre qu'il n'est pas inquiet. Ce vers est mis en valeur car c'est un octosyllabe alors que le vers précédent est un alexandrin => la Fontaine insiste ainsi sur la nonchalance du lièvre par rapport à ce pari fou de la tortue.

Le lièvre dévalorise la tortue : "Ma commère". Puis il se moque de la tortue en la traitant de folle : "il vous faut purger / Avec quatre grains d'ellébore." => Il la traite de folle, avec exagération en utilisant le vocabulaire précis ("purger", "quatre grains d'ellébore"). La raillerie du lièvre prend la forme d'un conseil, ce qui la rend encore plus mordante.

Différence d'attitude entre le calme de la tortue et l'esprit de dérision du lièvre.

Rythme ternaire "pour brouter, / Pour dormir, et pour écouter / D'où vient le vent" qui montre à quel point le lièvre ne prend pas le défi au sérieux et préfère s'adonner à des distractions totalement inutiles ("écouter / D'où vient le vent") plutôt que de commencer la course. "D'où vient le vent" est placé en rejet pour attirer l'attention du lecteur sur le fait que les activités du lièvre sont inutiles.

"Lui cependant" : "Lui" placé en début de vers et suivi de l'adverbe "cependant" mette en évidence la différence d'attitude entre la tortue et le lièvre.

Le lièvre "méprise une telle victoire" car il la croit trop facile et déjà acquise => preuve de vanité.

Le lièvre "laisse la Tortue / Aller son train de Sénateur" ce qui montre qu'il ne se soucie pas du tout de l'avancée de la tortue, et ne pourra donc pas partir à point !

Le lièvre fait plus loin preuve de vanité en pensant que "qu'il y va de son honneur / De partir tard".

"Il broute, il se repose,
Il s'amuse à toute autre chose"
Encore une fois, utilisation du rythme ternaire, avec augmentation du nombre de syllabes => montre à quel point le lièvre est sûr de lui et ne prête pas attention à la tortue.

Utilisation du verbe "s'amuser" => montre encore une fois que le lièvre ne prend pas la course sérieusement.

=> La vanité du lièvre le fait apparaître comme un personnage antipathique aux yeux du lecteur.


2. Le départ tardif du lièvre

"A la fin" commence la phrase qui montre le changement d'attitude de lièvre et son départ dans la course, mais par l'utilisation du mot "fin", La Fontaine montre déjà que la course est finie et que lièvre part trop tard.
"Il partit comme un trait ; mais les élans qu'il fit
Furent vains"
La description de l'effort tardif, et son échec son placés dans 1 vers et demi pour tout de suite montrer cet échec et donc insister sur la défaite du lièvre.
"Furent vains" est placé en rejet : mise en valeur du fait que les efforts du lièvre ne servent à rien, car trop tardifs.
"Il partit comme un trait" est placé sans connecteur logique avec ce qui précède, seulement séparé par un signe de ponctuation (la virgule) => montre la promptitude du départ du lièvre.

Cette expression "partir comme un trait" est familière et montre que La Fontaine se moque du lièvre.


III. Une fable pour instruire

1. La critique de la vanité

Dès le début de la fable, la vanité du lièvre apparaît car il demande à la tortue si elle n'a pas perdu la raison. Finalement c'est elle qui gagne la course, montrant ainsi que ses propos étaient sensés, contrairement à ceux du lièvre.

Le lièvre fait preuve de vanité en vaquant à toute sorte d'occupations inutiles plutôt que de se soucier de l'avance de la tortue.
On retrouve ici la critique de la vanité chère à la Fontaine (voir les commentaires des fables Le Corbeau et le Renard, La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf).

La vanité est ici punie puisque le lièvre perd son pari, et doit subir les moqueries de la tortue !

A noter que la tortue est également, par certains aspects, vaniteuse : c'est elle qui est à l'origine du pari, et elle nargue le lièvre à la fin de la fable.


2. Une morale explicite

La morale est explicite et est placée au premier vers de la fable :
"Rien ne sert de courir ; il faut partir à point".

L'efficacité de cette morale tient en sa brièveté : un vers seulement.
Ce vers est un alexandrin classique, avec une césure à l'hémistiche matérialisée par le signe de ponctuation ";".

C'est d'ailleurs devenu une expression populaire.

Ainsi La Fontaine veut prouver que quel que soit ses moyens, la persévérance permet d'arriver à son but, et qu'au contraire des capacités exceptionnelles ne servent à rien si elles ne sont pas exploitées avec vigueur.
Cette morale, au présent de vérité générale, a une portée universelle.

Le pari fou de la tortue peut étonner le lecteur, car un lièvre est bien plus rapide qu'une tortue, mais la morale placée au premier vers laisse déjà penser au lecteur que la tortue va gagner le défi, et ainsi suscite l'envie de lire pour découvrir par quel moyen.

Il s'en suit l'apologue à proprement parler : le récit de la course qui illustre la morale du premier vers. L'apologue est annoncé par le second vers "Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage".

Les exagérations de La Fontaine pour montrer la lenteur de la tortue et les capacités de vitesse du lièvre n'ont donc pour but que de convaincre le lecteur du bien-fondé de sa morale.

La fable est plaisante, drôle, rythmée. Les variations d'alexandrins et d'octosyllabes rendent sa lecture rythmée et rapide. La Fontaine cherche ainsi à instruire en divertissant, la façon la plus efficace selon lui.


3. Une morale implicite ?

Les fables sont souvent l'occasion pour Jean de la Fontaine d'exercer une critique acerbe de la monarchie et de la noblesse.
Ainsi, le lecteur attentif peut trouver un sens caché à la fable "Le lièvre et la Tortue", une morale nouvelle.
Nous pourrions ainsi voir que les nobles, qui sont riches de naissance, sont ceux qui "partent à point" représentés par la tortue, et le peuple, défavorisé et exploité par la noblesse, serait ainsi représenté par le lièvre.
Ainsi, la noblesse "gagne dans la vie", même sans aucun talent particulier car ils sont biens partis dans la vie, c'est-à-dire "bien nés" alors que le peuple, même avec des talents avérés, ne pourra jamais surpasser cette noblesse car eux ne sont pas bien nés.

Ainsi La Fontaine dénonce cette injustice sociale qui est que la noblesse est privilégiée, et que le peuple ne peut se hisser socialement contre cette classe privilégiée et bien partie dans la vie.





Conclusion

    Ainsi, la fable Le Lièvre et la Tortue de Jean de la Fontaine est un apologue qui permet de convaincre le lecteur de la morale placée au premier vers, mais il permet également de l'élargir pour la rendre universelle : la persévérance permet de réussir même sans les meilleurs atouts, et une prédisposition naturelle ne vaut rien si elle n'est pas exploitée.



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