Les obsèques de la Lionne

Jean de La Fontaine

Analyse linéaire









Introduction

    La Fontaine a commencé à écrire sous le règne de Louis XIV. Cette fable est tirée du second recueil, publié en 1694. L'une de ses protectrices était la marginale Mme de la Sablière. C'est par les contes, puis par les fables, sur le tard, que La Fontaine a connu la gloire. Le second recueil est dédicacé à Mme de Montespan. Les fables de ce recueil sont plus philosophiques, plus longues que celles du premier. Les fables sont liées les unes aux autres de façon fantaisiste :
      livre 7 => politique
      livre 8 => philosophique
La Fontaine est quelqu'un de poétique qui aime beaucoup la solitude ; il n'invente pas le sujet de ses fables (sauf pour une vingtaine), il les adapte.

Question possible à l'oral : En quoi cette fable est-elle construite comme une pièce de théâtre ?

Jean de La Fontaine
Jean de La Fontaine
par Hyacinthe Rigaud, 1690



Texte de la fable


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com

Les obsèques de la Lionne


La femme du Lion mourut :
Aussitôt chacun accourut
Pour s'acquitter envers le Prince
De certains compliments de consolation,
Qui sont surcroît d'affliction.
Il fit avertir sa Province
Que les obsèques se feraient
Un tel jour, en tel lieu ; ses Prévôts y seraient
Pour régler la cérémonie,
Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s'y trouva.
Le Prince aux cris s'abandonna,
Et tout son antre en résonna.
Les Lions n'ont point d'autre temple.
On entendit à son exemple
Rugir en leurs patois Messieurs les Courtisans.
Je définis la cour un pays où les gens
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu'il plaît au Prince, ou s'ils ne peuvent l'être,
Tâchent au moins de le parêtre,
Peuple caméléon, peuple singe du maître,
On dirait qu'un esprit anime mille corps ;
C'est bien là que les gens sont de simples ressorts.
Pour revenir à notre affaire
Le Cerf ne pleura point, comment eût-il pu faire ?
Cette mort le vengeait ; la Reine avait jadis
Etranglé sa femme et son fils.
Bref il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire,
Et soutint qu'il l'avait vu rire.
La colère du Roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi Lion :
Mais ce Cerf n'avait pas accoutumé de lire.
Le Monarque lui dit : Chétif hôte des bois
Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix.
Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles ; venez Loups,
Vengez la Reine, immolez tous
Ce traître à ses augustes mânes.
Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue ;
Et je l'ai d'abord reconnue.
Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige à des larmes.
Aux Champs Elysiens j'ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi.
J'y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose,
Qu'on se mit à crier : Miracle, apothéose !
Le Cerf eut un présent, bien loin d'être puni.
Amusez les Rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges,
Quelque indignation dont leur coeur soit rempli,
Ils goberont l'appât, vous serez leur ami.

    Jean de La Fontaine - Les Fables


Les obsèques de la lionne
Les obsèques de la Lionne



Analyse linéaire de la fable

Les axes étudiés ici sont la satire et l'art du fabuliste.
Ici la fable est divisée en 5 parties :

vers 1 à 16 : premier acte de la comédie
vers 17 à 23 : parenthèse et intervention du narrateur
vers 24 à 38 : coup de théâtre, deuxième acte
vers 39 à 51 : deuxième coup de théâtre, troisième acte
vers 52 à la fin : moralité

L'art du fabuliste : il a construit sa fable comme une pièce de théâtre. La moralité est tout au long de la fable, le récit est riche en pensées.

I) Le premier acte

1) Scène d'exposition : "la femme du lion mourut" ( v.1)
> économie des mots : art du fabuliste
> ambiguïté entre les animaux et les humains : satire

2) 2ème scène (v.2 à 5) : les condoléances
Plus longue que la scène 1 > excès des courtisans serviles
"s'acquitter" (v.3) > le verbe montre le devoir > aspect hypocrite des courtisans
"De certains compliments de consolation" (v.4) > périphrase, c'est plus majestueux, solennel
"Qui sont surcroît d'affliction" (v. 5 ) > passage au présent de vérité générale > vérité satirique (le roi est victime de sa propre étiquette)

3) 3ème scène (v.6 à 10) : préparation de la cérémonie
Tout au long de cette scène, on est dans le monde des humains.
"prévôts" (v.8) > contrôlent si tout le monde est là
"régler" (v.9) > cérémonie pleine de faste
Au cours de cette cérémonie, le roi va vérifier sa puissance et les courtisans vont se faire valoir, c'est un test de leur influence auprès du roi.
"Un tel jour, en tel lieu; ses prévôts y seraient" (v.8) > alexandrin > par ce rythme solennel, on a l'impression d'entendre le roi parler. Pour laisser l'ambiguïté, le rendez vous n'est pas précisé.

4) 4ème scène (v.11 à 16) : la cérémonie
"Jugez si chacun s'y trouva" (v.11) > nouvelle intervention du narrateur, complicité avec le lecteur. Il souligne en même temps la toute puissance du roi.
"Le prince aux cris s'abandona" (v.12) > Le lion s'abandonne aux cris de la douleur devant tout le monde : c'est un acteur > satire
"Et tout son antre en résonna" (v.13) > retour au monde animalier car la satire allait trop loin
"Rugir en leur patois messieurs les courtisans" (v.16) > vers très ironique le "patois" montre le manque d'éducation et fait référence aux hommes alors que "rugir" est le propre des animaux.


II) Intervention du narrateur

7 vers qui coupent complètement le récit. La Fontaine a besoin de s'expliquer tout de suite et de crier son indignation. Il utilise un alexandrin, mais qui n'est pas ironique du tout.

v.18 > caractère changeant des animaux montré par le chiasme et par une antithèse ou un oxymore. On note que le mot "indifférent" est à la rime, et le caractère hypocrite des courtisans est souligné par le fait que "être" et "paraître" sont aussi à la rime.

v.21 > retour aux animaux > La Fontaine assimile les courtisans à des animaux > insulte
"caméléon" dénote l'esprit changeant des courtisans
"singes" l'esprit flatteur

v.22 > on remarque une antithèse ("un"/"mille") et une hyperbole ("mille")
v.23 > les ressorts sont les courtisans, pas les animaux (référence à la théorie de Descartes). C'est une moralité vibrante


III) Le deuxième acte

1) scène 1 : coup de théâtre
"le cerf ne pleura point." > on remarquera qu'il y a un point à l'hémistiche.
v.26 > présence du narrateur omniscient qui arrête une fois de plus son récit pour nous expliquer pourquoi
v.27 > octosyllabe pour mettre en valeur le mot "étrangler" > satire

2) scène 2 : Les conséquences
v.28 > "flatteur" > satire de la cours
v.29 > mise en valeur par un octosyllabe de l'excès et de la calomnie
On remarque que "dire" (v.28) rime avec "rire" (v.29)

3) scène 3 : la colère du roi
v.31 > la virgule met le mot "terrible" en valeur, ce qui souligne la cruauté du roi.
Opposition entre Salomon et le roi > nouvelle pique de satire
Un nouveau retour aux animaux (v.31/32) feutre la satire

4) scène 4 : discours du roi, au style direct > satire du roi
Le mépris est marqué par un langage majestueux
L'excès du lion est marqué par l'utilisation d'un vocabulaire religieux
Le roi aime le mensonge : "tu ris" > disproportion entre faute et sentence
La colère du roi est montrée par une ponctuation saccadée


IV) Troisième acte

"Digne moitié" > sens ambigu
Le passage à l'octosyllabe imite le chuchotement de la confidence
"Ami" souligne qu'il pleuré; d'autre part la lionne va être déifiée.

1) scène 1
Cérémonie d'apothéose pour la reine > c'est flatteur pour le lion car il risque d'être divinisé aussi. Le fait que le discours de la lionne soit entièrement en alexandrins souligne la majesté de la lionne et l'hypocrisie du cerf.
"champ"/"charmes" > allitération pleine de douceur, de chaleur; on a tout un ensemble de sonorités extrêmement douces.
v.46 > voir la feuille pour l'accentuation
v.47 > allitérations en [s] et sons naseaux. On note des accents très symétriques.
v.49 > coquetterie de la reine. Le cerf justifie pourquoi il a attendu pour révéler le secret.

2) scène 2
v.50 > le changement très rapide de comportement des courtisans >> cela renforce l'idée que La Fontaine exposait déjà aux vers 21, 22, 23 : la satire des courtisans. Ce changement permet de faire du deuil de la reine une fête joyeuse la célébrant.
Le cerf, quant à lui est récompensé de son mensonge (v.51) >> satire des courtisans
juxtaposition d'un mot chrétien à un mot païen : "Miracle" et "Apothéose"
Les courtisans s'empressent de flatter le roi; c'est aussi pour eux un soulagement de ne plus avoir à pleurer >> satire

3) scène 3
v.51 > le dénouement
Le cerf, quant à lui est récompensé de son mensonge (v.51) >> satire des courtisans.


V) La seconde moralité

La moralité dénonce l'hypocrisie des courtisans mais surtout la vanité et la naïveté des rois :
"Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges,
Quelque indignation dont leur coeur soit rempli,
Ils goberont l'appât ; vous serez leur ami" >> du moment que le mensonge plaît au roi, ce dernier y croira.
La Fontaine s'adresse à nous, il donne des impératifs, il remet en cause avec beaucoup d'audace la toute puissance royale >> les rois sont esclaves de la flatterie >> satire


Conclusion

    En conclusion, dans la fable Les obsèques de la lionne La Fontaine a accordé une grande place à la satire de la cour et du roi, tout en hésitant pas à prendre la parole lui-même et à railler le "peuple singe du maître" et le maître aussi.


Vidéo présentant le passage d'un candidat au bac de français sur Les obsèques de la Lionne :





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Merci à Charlotte pour cette analyse de Les obsèques de la Lionne - Jean de la Fontaine