Les Deux Amis

Jean de la Fontaine





Plan de la fiche sur Les deux amis de Jean de la Fontaine :
Introduction
Texte de la fable
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    La Fontaine (1621 - 1695) est un auteur classique qui a vécu sous le règne de Louis XIV donc pendant la deuxième moitié du XVIIème siècle. La Fontaine a vécu une grande amitié avec Fouquet (ministre des finances) et lui est toujours resté très fidèle.

    Inscrit dans le Classicisme, le fabuliste marquera ses contemporains par la subtilité de son art nourri de Phèdre et Esope.

    Cette fable intitulée « Les Deux Amis » est issue du second recueil des Fables ; il s'agit de la fable XI du Livre XIII. A travers le récit d'une amitié entre deux amis vivant au Monomotapa, une province africaine éloignée de la France, La fontaine veut inciter le lecteur à réfléchir aux vertus de l'amitié.

    Une fable contient un enseignement – une morale qui est destinée à nous faire réfléchir, elle a une visée didactique. Une fable est en plus composée du récit avant la morale. Les fables ont pour but de plaire et d'instruire. Cette fable est un apologue.

La fable Les deux amis suit le schéma narratif classique d'une fable :
    - une situation initiale (ici vers 1 à 4) : on présente les deux amis
    - un élément perturbateur (ici vers 5 à 7) : le cauchemar de l'un des deux amis
    - des péripéties (ici vers 8 à 19) : l'ami réveillé pose des questions à celui qui a fait le cauchemar
    - une situation finale (ici vers 19 à 23) : l'inquiétude de chacun se dissipe
Ici la morale de la fable se place à la fin des vers 24 à 31 et est la suivante : un ami véritable se doit d'être généreux, attentionné et prévenant.


Texte de la fable


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com

Les Deux Amis


Deux vrais Amis vivaient au Monomotapa ;
L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre.
            Les amis de ce pays-là
            Une nuit que chacun s'occupait au sommeil,
Et mettait à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme ;
Il court chez son intime, éveille les Valets :
Morphée avait touché le seuil de ce palais.
L'Ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ;
Vient trouver l'autre, et dit : Il vous arrive peu
De courir quand on dort ; vous me paraissez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme :
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Était à mes côtés ; voulez-vous qu'on l'appelle ?
Non, dit l'Ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
            Je vous rends grâce de ce zèle.
Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ;
J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.
            Ce maudit songe en est la cause.
Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble, lecteur ?
Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.
Qu'un Ami véritable est une douce chose !
Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;
            Il vous épargne la pudeur
            De les lui découvrir vous-même.
            Un songe, un rien, tout lui fait peur
            Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Jean de la Fontaine - Les Fables


Vocabulaire :
Monomotapa : Royaume d'Afrique australe
Morphée : dieu de la mythologie grecque, divinité des rêves prophétiques. Il donne le sommeil en touchant une personne avec des pavots, et lui donne également des rêves pour la nuit.



Les 2 Amis - Jean de la Fontaine
Les Deux Amis - Jean de la Fontaine



Annonce des axes

I. Une amitié sincère et réciproque
1. Les deux personnages
2. La sincérité
3. Un sentiment omniprésent

II. Une critique sociale ?
1. Un cadre oriental et une fable à portée universelle
2. Mise en valeur de l'utopie et critique de la société française
3. Interpellation du lecteur



Commentaire littéraire

I. Une amitié sincère et réciproque

1. Les deux personnages

Les deux amis sont nobles, effectivement, on peut le déduire du fait que La Fontaine parle de « palais », l'ami réveillé propose de « l'argent » à son ami et sort son « épée ». Dans ce « palais » il y a des « valets » et une « esclave ». Ainsi, les deux amis sont dits nobles puisqu'ils ont des épées. La noblesse est censée être une noblesse de cœur, de courage physique, morale et de la générosité mais certains nobles sont couards – peureux.


2. La sincérité

Dès le premier vers, l'adjectif « vrais » montre la sincérité de l'amitié. Au vers 26, l'adjectif « véritable » reprend cette idée.
Le chiasme du deuxième vers « L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre » insiste encore sur cette idée et montre que ces deux amis partagent tout.

La Fontaine utilise un vocabulaire affectif psychologique puisqu'à travers la fable il y a des sentiments affectueux entre les deux amis. L'amitié est très présente dans cet apologue puisqu'on passe par de très grandes nuances et gammes de sentiments. On passe de la crainte à la tristesse.
On peut aussi observer une très grande finesse d'observation entre les deux amis ce qui montre la générosité de l'ami réveillé. Ce dernier lui propose de l'aide avec son arme, de l'argent et propose même les services d'une esclave avec laquelle il dormait, ceci montre une réelle sincérité puisque l'ami réveillé a tout anticipé. Un véritable ami anticipe nos besoins ce qui est une très bonne qualité d'écoute et d'observation.

Pour les deux amis, leur amitié passe même avant leur sommeil, puisque celui qui a eu le cauchemar s'est précité chez son ami pour savoir si celui-ci allait bien, alors qu'il ne l'a rêvé que « un peu triste ». Cela démontre une réelle sincérité dans cette amitié puisque le besoin de l'autre passe avant le sien.

L'adverbe de quantité « peu » dans « un peu triste » insiste sur le fait que l'ami qui a fait le rêve est très attentif au bien être de son ami. De plus, l'effet d'attente pour savoir pourquoi l'ami qui a fait le rêve se rend chez son autre ami et cette raison invoquée finalement si peu convaincante créent un effet comique.

Cette amitié est concrète et sincère puisqu'elle exclut l'avarice (l'ami réveillé lui propose sa bourse) la couardise (l'ami réveillé a porté son épée et est prêt à se battre) et également la jalousie (puisque l'ami réveillé est prêt à céder l'esclave ‘assez belle' qui couchait avec lui pour que son ami se sente moins seul pendant la nuit).
Notons également une allitération en [n] dans « Non, dit l'Ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point » insistant sur la négation.


3. Un sentiment omniprésent

Le sentiment de l'amitié est tellement fort et entoure toute la fable ainsi il est omniprésent. Cette omniprésence est inévitable dans la vie des deux amis. Ce sentiment entoure leurs actes car même en rêve ils pensent l'un à l'autre ; la pensée de l'autre ne les quitte jamais.

Aux vers 6 et 7 il y a une accélération des actions avec une énumération des verbes :
« Un de nos deux Amis sort du lit en alarme
Il court chez son ami, éveille les valets. »
Cette utilisation de la parataxe des verbes au présent dramatise le récit, ce qui nous renvoie à l'empressement de l'ami.
Au vers 10 on voit également une énumération qui élimine tous les liens logiques en créant une parataxe :
« L'Ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme,
Vient trouver l'autre, et dit […] »
L'enchaînement des actions montre l'empressent de l'ami mis en évidence par l'accélération des actions de l'ami réveillé.
A la suite de cela, l'ami réveillé questionne son ami avec empressement, on ressent cet empressement grâce à la présence d'enjambements et de césure :
« N'auriez-vous point perdu votre argent au jeu ? […]
Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle
Etait à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ? »
Un rythme heurté avec des phrases interrogatives nombreuses qui anime l'inquiétude de l'ami réveillé, celui-ci explique la situation à son ami.


II. Une critique sociale ?

1. Un cadre oriental et une fable à portée universelle

Certains auteurs contournent la censure en se servant de pays utopiques rappelant l'Orient. Effectivement, dans cette fable, de nombreux élément font référence à un cadre oriental tels que le « Monomotapa », « le palais » ou encore « l'esclave ».
Ce climat oriental plaît et dépayse le lecteur ce qui l'invite à réfléchir sur cette amitié utopique.

Les deux personnages sont indéterminés par l'utilisation de pronoms indéfinis. Effectivement La Fontaine utilise « l'un et l'autre » « chacun » « ils » « l'ami couché » ou encore « qui d'eux ». Cette indétermination donne à la fable un caractère généralisant. Par ceci, La Fontaine veut nous partager une amitié et un cadre idéal, effectivement le Monomotapa est un pays imaginaire, presque à connotation utopique. Ces deux amis représentent donc une allégorie de l'amitié.


2. Mise en valeur de l'utopie et critique de la société française

Les vers 3 et 4 sont décrochés avec des octosyllabes :
« Les amis de ce pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre ».
Le « dit-on » est une remarque ironique par rapport à la société française de La Fontaine et incite le lecteur à regarder cette société d'un œil critique. Peut-être fait-il allusion à l'hypocrisie de la société qui nous entoure ? Les amis dans cette société française du XVIIème siècle sont-ils de vrais amis agissant pour le bien de l'autre ou de faux amis agissant pour leurs propres intérêts ?

La Fontaine met en valeur cette critique de la société grâce au décrochement topographique. Egalement cette critique est au présent, tandis que le reste du texte est au passé, ce qui montre bien que La Fontaine souhaite le fait ressortir aux yeux du lecteur.

De plus, comme précisé précédemment, les deux amis semblent appartenir à la noblesse, c'est donc de la part de La Fontaine une critique implicite du manque de sincérité de l'amitié de cette classe sociale.


3. Interpellation du lecteur

Pour plaire à son lecteur La Fontaine utilise ici la proximité en le tutoyant et le questionnant.
Au vers 7, La Fontaine implique déjà le lecteur avec « Un de nos deux Amis », le déterminant possessif « nos » qualifiant l'auteur, La Fontaine, et le lecteur.

La Fontaine présente un défi philosophique au lecteur au vers 24 :
« Qui d'eux aimait le mieux ? Que t'en semble lecteur ? »
La question paraît insoluble, car dans cette fable les deux amis paraissent s'aimer autant l'un que l'autre, mais la question de La Fontaine incite le lecteur à réfléchir sur ce qu'est l'amitié.
La fable raconte une amitié utopique car les deux amis sont idéaux, ils se complètent. Cette générosité se manifeste par l'inquiétude. Il n'y a donc pas de réponse possible à faire car l'union des deux fait la parfaite amitié.





Conclusion

    Dans cette fable rythmée et plaisante qu'est Les Deux Amis, La Fontaine invite le lecteur à réfléchir sur l'amitié grâce à deux amis dont l'affection l'un pour l'autre est tellement sincère qu'elle semble relever de l'utopie.
    Comme souvent, La Fontaine réalise également une critique de la société, et notamment du manque d'amitié véritable chez les nobles et courtisans de la société française du XVIIème siècle. Mais ce thème est universel et est encore d'actualité aujourd'hui.



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Merci à Iris pour cette analyse sur Les Deux Amis de La Fontaine