Le Vieux chat et la jeune souris

Jean de la Fontaine

Analyse linéaire





Plan de l'analyse de Le Vieux chat et la jeune souris de Jean de la Fontaine :
Introduction
Texte de la fable
Plan de la fable pour une analyse linéaire
Analyse linéaire
Conclusion



Introduction

    Sous le règne de Louis XIV, les écrivains dépendent du mécénat et du pouvoir royal, ils n'avaient pas de liberté pour critiquer directement les membres de la royauté ou du clergé. Jean de La Fontaine (1621 - 1695), avec les fables, réalise un équilibre entre les exigences classiques et la critique, qui est implicite dans ses fables grâce notamment au recours aux animaux.
    Cette fable, la cinquième du livre XII, réalise une des variations possibles sur le thème du chat et de la souris. L'action est la même que celle du « Petit poisson et le pêcheur », un petit poisson supplie un pêcheur de l'épargner, mais la morale en est différente : le pêcheur qui n'épargne pas le poisson est approuvé par l'auteur, alors que le chat- même si la souris est critiquée- est condamné.
    Le titre encore une fois introduit une tension et un déséquilibre, mais la vieillesse du chat, en opposition avec la jeunesse de la souris, est compensée par le rapport de force inégal dû à la nature, entre le prédateur et sa proie. Le lecteur peut donc s'attendre à ce que l'affrontement se termine par la mort du souriceau.
    La parole -pourtant habile de la souris- se fait ici inutile face à un adversaire tout-puissant et sans pitié (rapprochement possible avec d'autres fables « Le Loup et l'Agneau », « La Cigale et la fourmi »).

    Quelle que soit la piste abordée, il vous faudra comment La Fontaine délivre un enseignement ambigu et surprenant.


Texte de la fable


Télécharger Le Vieux chat et la jeune souris - Jean de La Fontaine en version audio (clic droit - "enregistrer sous...")
Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com

Le Vieux chat et la jeune souris


Une jeune Souris de peu d'expérience,
Crut fléchir1 un vieux Chat implorant sa clémence2,
Et payant de raisons le Raminagrobis3.
Laissez-moi vivre : une Souris
De ma taille et de ma dépense
Est-elle à charge en ce logis ?
Affamerais-je, à votre avis,
L'Hôte et l'Hôtesse, et tout leur monde ?
D'un grain de blé je me nourris ;
Une noix me rend toute ronde.
à présent je suis maigre ; attendez quelque-temps.
Réservez ce repas à messieurs vos enfants.
Ainsi parlait au Chat la Souris attrapée.
L'autre lui dit : tu t'es trompée.
Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours ?
Tu gagnerais autant de parler à des sourds.
Chat et vieux pardonner ? cela n'arrive guère.
Selon ces lois, descends là-bas4,
Meurs, et va-t'en tout de ce pas
Haranguer les sœurs filandières5.
Mes Enfants trouveront assez d'autres repas.
Il tint parole6. Et pour ma Fable,
Voici le sens moral qui peut y convenir.
La jeunesse se flatte7 et croit tout obtenir :
La vieillesse est impitoyable.

Jean de la Fontaine - Les Fables


Vocabulaire :
1 fléchir : convaincre
2 clémence : pitié
3 Raminagrobis : personnage de Pantagruel (Tiers Livre) de Rabelais, qui désigne un poète. De raminer, ronronner, XIVe siècle, et grobis (gros chat mâle).
4 descends là-bas : dans l'estomac du chat, donc le chat va manger la souris
5 filandières : dont le métier est de tisser. Ici, représentent les Parques, divinités qui font la vie de chaque homme en la filant sur des fuseaux, ou la mort en coupant le fil
6 Il tint parole : donc il mangeât la souris
7 se flatte : s'illusionne, se fait des idées



Le Vieux chat et la jeune souris - Jean de la Fontaine - Illustration



Plan de la fable pour une analyse linéaire

I. Le discours de la souris pour tenter de se sauver des griffes du chat - Vers 1 à 13
II. La réponse impitoyable du chat - Vers 14 à 22
III. La morale - Vers 22 à 25


Pistes de lecture :
Un dialogue de sourds
Une éloquence inutile
Une mort annoncée
La mise en scène de la fable
Les portraits du chat et de la souris
La fable comme scène théâtrale
Une morale ambiguë

Etudier la composition de la fable :
- Vers 1-3 : Exposition par le narrateur de la situation initiale
- Vers 4-12 Discours de la souris (9 vers)
- Vers 13-14 : Intervention du narrateur
- Vers 14-21 : Discours du chat (8 vers)
- Vers 22-25 : Conclusion du narrateur et morale.


Analyse linéaire

I. Le discours de la souris pour tenter de se sauver des griffes du chat - Vers 1 à 13

La souris va tenter par le discours de se sauver du chat. Cependant, montrer ce qui laisse prévoir la tragédie dès le début de la fable.
- Le titre.
- absence de dialogue (la souris parle, puis le chat).
- Vers 1 : « de peu d'expérience ».
- Vers 2 : « crut » -> l'illusion de la souris sur le sort qui l'attend est annoncée par le verbe modalisateur.
- Vers 3. Le verbe payer déprécie à l'avance le discours de la souris.
- Vers 3. Le nom du chat, « Raminagrobis » -> puissance. Remarquer que le chat a un nom, alors que la souris n'en a pas -> Avant même le faux dialogue, le narrateur intervient donc pour souligner la tragédie qui s'annonce.

Mettre en relief la maîtrise de la rhétorique qu'a la souris et analyser son discours.
- Prise de parole de la souris : 9 vers (sur les 25 qu'en contient la fable) -> aisance dans l'élocution.
- But de son discours : dissuader le chat de la manger.
- Sa supplique est loin de manifester le désordre d'une terreur non contrôlée. Au contraire, elle révèle une maîtrise achevée du langage.
- Elle va tenter de capter la bienveillance du chat en mettant en relief son insignifiance.

Vers 4-10. Premier argument : je suis trop petite pour constituer une proie de choix.
- Vers 4. Modalité injonctive (« Laissez-moi vivre ») qui annonce une démonstration.
- Vers 4-8. Deux interrogations rhétoriques qui soulignent combien sa présence n'est pas une charge.
* Opposition entre sa petitesse et le dérangement qu'elle peut causer.
* Vers 8. Enumération amplificatrice qui suggère aussi combien elle est peu importante.
- Vers 9-10. La souris insiste sur sa petitesse et rappelle qu'elle se nourrit de très peu. Evoquer ici le grain de blé et la noix (unités de mesure pour d'infimes quantités).

Vers 11-12. Deuxième argument : Il semble le plus fort, mais l'argument est par trop fallacieux : la souris s'adresse aux intérêts mêmes du chat, et fait appel à ses sentiments paternels.
- L'octosyllabe cède la place à l'alexandrin. Le vers s'allonge tandis que le temps qu'il reste à vivre à la souris suit le mouvement inverse.
- Modalités injonctives qui semblent donner des conseils au chat (« attendez », « réservez »).
- Forme du respect le plus flatteur pour la descendance du chat (« Messieurs vos enfants », vers 12).
- L'attente qu'elle préconise (vers 11) n'est pas présentée comme étant une demande intéressée, mais au contraire paraît défendre les intérêts du chat -> humilité : elle présente le but de son existence comme lié à la jouissance du chat.
- Discours habile d'une jeunesse talentueuse à qui il manque d'être en situation de force. La jeune souris n'est qu'une « souris attrapée » ; la rime du vers 13 qui clôt ce premier temps du dialogue met en avant le fait que cette situation ne l'autorise par à raisonner.

Vers 13. « attrapée » fait écho à « de peu d'expérience » -> impuissance de la souris et inutilité de ses paroles (mieux vaudrait tenter de fuir). Chiasme : « Ainsi parlait au chat la souris… ».

Le chat laisse parler la souris sans intervenir -> silence lourd de menaces.


II. La réponse impitoyable du chat - Vers 14 à 22

Etudier le discours du chat.
- Vers 14. Deuxième hémistiche : réponse du chat -> pas de dialogue avec la souris.
* « tu t'es trompée » -> erreur de communication (non de raisonnement) : la souris s'est trompée d'interlocuteur.
* Le chat tutoie la souris (qui le vouvoyait) -> le chat est en position de force.
- Vers 15. Cette erreur de la souris a quelque chose d'offensant pour le chat.
* Question oratoire -> l'orgueil du chat, la conscience qu'il a de sa puissance.
* Présence forte de la première personne (« est-ce à moi que… ») -> fierté.
- Vers 15-16. Rimes pleines d'ironie : « discours » / « sourds ».
- Vers 16. Ton sarcastique (« tu gagnerais autant… »).
- Vers 17. La leçon qu'il adresse à la souris prend une valeur générale (« chat et vieux, pardonner ? »). La forme infinitive souligne cette généralisation (il est semblable à tous ceux de sa race).
- Vers 18-20. Le chat en appelle donc aux lois de la nature -> sentence de mort (« meurs et va-t-en ») présentée comme une conséquence inéluctable de ces lois de la nature.
* Le chat est impitoyable, de par sa nature -> causticité envers la souris et son éloquence.
* Modalité impérative (« meurs ») -> décision irrévocable.
* « haranguer les sœurs filandières » -> ironie (se moque des qualités oratoires de la souris).
* Vers 18-19. Octosyllabes et césures au milieu du vers par ponctuation forte -> le chat est cassant.
- Vers 21. Répond aux propos de la souris (vers 12), ironiquement -> dévalorise son argument.

Le dénouement remarquable d'efficacité dramatique : « Il tint parole » (v. 22), euphémisme terrible pour évoquer cette mort de la souris prévisible dès le début.


III. La morale - Vers 22 à 25

(à partir de « Et pour ma Fable »)

Etudier le rôle de la morale.
- Le lecteur pourrait s'attendre à une morale critiquant le chat qui représente les puissants, et défendant les humbles comme la souris (cf. « Le Loup et l'agneau », « les Animaux malades de la peste »).
- Or, la moralité est plus complexe. Le narrateur ménage d'autres moralités possibles et parfois opposées.
- Explicitement : critique de l'arrogance de la jeunesse (cf. « Le Vieillard et les trois jeunes hommes »), mais aussi critique de la vieillesse (« la vieillesse est impitoyable ») dont la sécheresse de cœur est soulignée (cf. rôle du vieillard dans « le Vieillard … »).
- Implicitement : le narrateur semble ne pas vouloir prendre parti et laisse à son lecteur, selon qu'il est jeune ou vieux, le soin de donner une portée à cette fable : la jeunesse est appelée à être plus sensée et adresser des discours qui tiennent compte de leurs destinataires, et la vieillesse à être plus souple et moins intransigeante -> visée politique peut-être aussi. Le vieux chat ne serait-il pas Louis XIV ?





Conclusion

    Cette fable Le Vieux chat et la jeune souris dessine l'évolution de La Fontaine : du conseil moral, de l'avertissement, vers le constat d'un fait humain, d'une vérité d'expérience. Il n'enseigne plus le bien ou ce qui devrait être, mais il apprend à connaître le monde ; à défaut de cette connaissance la jeunesse se flatte, c'est-à-dire se leurre, tandis que la vieillesse aguerrie est impitoyable.
    Cette souris ne savait pas à quoi elle était destinée, ce chat avait appris à être ce qu'il est. Leçon pessimiste qui rend compte des morales partielles du récit : l'éloquence ne vaut que par l'adéquation à son destinataire, la raison du plus fort est toujours la meilleure (« Le Loup et l'Agneau »), et s'enrichit peut-être d'allusions politiques sur l'intransigeance de Louis XIV vieillissant.



Si vous avez aimé cette analyse de Le Vieux chat et la jeune souris de Jean de La Fontaine, vous aimerez aussi les analyses des fables suivantes :


Retourner à la page sur l'oral du bac de français 2025 !